L'Arabie saoudite vient de célébrer le 91e anniversaire de la création de l'État moderne à Diriyah, un lieu de grande ampleur symbolique et d'intérêt stratégique sans égal.
J'ai assisté en janvier 1999 à Riyad à la conférence scientifique internationale consacrée au centenaire du Royaume, qui a été l'occasion de présenter des communications de grande valeur sur l'historique de l'État et le processus de restauration de l'entité politique saoudienne entrepris par le roi visionnaire Abdelaziz.
Les facteurs du succès du projet politique du roi Abdelaziz me paraissent tourner autour de deux axes majeurs: l'appréhension objective et réaliste des structures sociales et culturelles locales et la saisie minutieuse et perspicace des enjeux internationaux et de leurs impacts sur l'équation régionale en voie de recomposition.
Le roi Abdelaziz n'a pas restauré le modèle de l'imamat classique; il était conscient des impératifs de l'organisation politique moderne. S'il a gardé le mode de légitimation religieuse incontournable dans l'espace socioculturel local, il a été soucieux de doter le nouvel État d'institutions modernes, d'y ancrer le principe de la citoyenneté égalitaire et de consolider son statut diplomatique sur l'échiquier international.
La période entre les deux guerres mondiales a été déterminante dans la genèse du nouveau Moyen-Orient. Elle a été marquée par des événements de haute importance: la dislocation de l'Empire ottoman, la création des nouvelles entités politiques en Syrie, en Irak, au Liban, l'indépendance de l'Égypte et la déclaration du royaume égyptien.
Le roi Abdelaziz a pu réaliser son grand dessein en dépit des stratégies coloniales européennes qui s'articulaient sur le modèle de l'entité ethnique ou confessionnelle, l’incarnation d'une identité nationale homogène ou d'un pluralisme communautaire régulé par de nouvelles normes institutionnelles. La politique des mandats européens au Moyen-Orient (accords Sykes-Picot, conférence de San Remo...) visait, au-delà du partage de la région en zones d'influence entre les puissances européennes, la création de nouvelles entités politiques dans l'Orient arabe selon le paradigme de l'État-nation moderne.
Le modèle de fédéralisme confessionnel au Liban était le standard de l'ingénierie politique européenne dans la région; il fut tenté en Syrie, en Palestine et en Irak, sans grand succès. Les élites multiconfessionnelles du «Croissant fertile», animées par un sentiment panarabiste fort, ont mis en échec ce projet de repli identitaire suicidaire.
Le roi Abdelaziz a réussi la première œuvre d'unification dans l'espace arabe, construisant un édifice solide au croisement des centres névralgiques du Proche-Orient: le golfe Arabique, la mer Rouge et le sud de la péninsule Arabique. L'Arabie saoudite est ainsi devenue le pivot stratégique de la région, le pôle attractif de son économie, la force stabilisatrice dans une zone de conflits endémiques.
Si la période du roi fondateur et de ses premiers successeurs a été une phase d'institution et de mise en place des structures fonctionnelles de l'État, le Royaume connaît depuis les cinq dernières années une grande dynamique de réforme et de relance.
Cette dynamique peut-être cernée à deux niveaux complémentaires:
D’une part, le passage d'une économie de rente axée sur le pétrole à une nouvelle économie numérique basée sur l'intelligence artificielle, les nouvelles sources d'énergie et le développement des ressources humaines locales. Cette orientation nouvelle permettra à l'Arabie saoudite d'occuper une place de choix dans la nouvelle configuration économique mondiale.
D’autre part, la consolidation de l'identité nationale solidaire sur la base de la légitimité des acquis concrets et perceptibles dont bénéficient le citoyen saoudien. Les dernières réformes sociales ont favorisé l'émergence de la notion d'individu libre et autonome intégré dans la communauté nationale et affranchi des entraves relatives aux appartenances tribales et locales.
Un intellectuel moderniste saoudien de grande renommée m'a confié tout dernièrement: «J'ai été durant une longue période sous l'influence des régimes gauchistes révolutionnaires arabes et très critique vis-à-vis de notre contexte local; j'ai compris aujourd'hui que les utopies enchantent les esprits, mais débouchent couramment sur les malheurs, et que notre réalité, en définitive, est meilleure que les expériences qui m'ont ébloui. Aujourd'hui, mon espoir est immense, et je suis rassuré de pouvoir dire que nous sommes sur le bon chemin.»
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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