Les Libanais sont les perdants dans ce nouveau gouvernement

Najib Mikati quittant la mosquée Al-Omari à Beyrouth, le 10 septembre 2021. (Photo, AFP)
Najib Mikati quittant la mosquée Al-Omari à Beyrouth, le 10 septembre 2021. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 14 septembre 2021

Les Libanais sont les perdants dans ce nouveau gouvernement

Les Libanais sont les perdants dans ce nouveau gouvernement
  • Face à la pression internationale exercée par la France et les États-Unis, l’élite politique s’est montrée disposée à s’y plier, bien que le gouvernement ne comprenne aucun des spécialistes indépendants exigés par Paris et Washington
  • Il est peu probable que de véritables réformes aient lieu. Au mieux, le gouvernement introduira des changements cosmétiques pour donner l’impression d’une réforme

C’est avec les larmes aux yeux que le Premier ministre libanais Najib Mikati a formé un nouveau cabinet vendredi, censé sortir le pays de l’impasse politique dans laquelle il se trouve depuis plus d’un an. Toutefois, il est peu probable que ce nouveau gouvernement apporte les changements qu’attendent désespérément les Libanais et la communauté internationale.

M. Mikati a promis qu’il s’efforcerait de mettre fin aux pénuries de carburant, de médicaments et de denrées alimentaires, et de freiner l’effondrement du pays. Néanmoins, le Premier ministre a ajouté qu’il ne possède pas de « baguette magique » et que toute solution nécessite la collaboration des différentes parties.

À quelques exceptions près, le cabinet est une recréation de l’élite corrompue actuelle, chaque dirigeant sectaire bénéficiant de sa part des portefeuilles lucratifs. On a promis des réformes aux Libanais, mais le ministère des Finances, qui est responsable de réaliser tout audit, demeure entre les mains du président du Parlement, Nabih Berri. Quant au nouveau ministre des Finances, Youssef Khalil, il est un ancien haut fonctionnaire de la banque centrale qui a joué un rôle douteux dans la crise financière du pays.

Le ministère des Finances constitue toujours une «caverne d’Ali Baba» pour l’élite politique, ce qui garantit que personne ne pourra remettre en question la manière dont l’argent a été dépensé au cours des trois dernières décennies.

M. Mikati joue la carte de la compassion, verse des larmes de crocodile et dit avoir le cœur brisé lorsqu’il voit une mère incapable d’acheter des médicaments pour son enfant malade. Cependant, dans les coulisses de ce feuilleton, le Premier ministre a un passé mouvementé et n’est pas la personne la mieux placée pour apporter des réformes ou la justice au peuple libanais. Il a été accusé d’avoir réalisé des gains illicites en utilisant des prêts immobiliers subventionnés par l’État pour acheter des appartements luxueux, ainsi que d’avoir conclu des accords impliquant la privatisation du réseau de téléphonie mobile du Liban dans les années 1990.

 

«Le peuple est désespéré et prêt à accepter n’importe quoi. Ceux qui réclamaient un changement du système semblent maintenant prêts à se contenter d’une légère amélioration du taux de change de la monnaie locale par rapport au dollar américain.»

Dania Koleilat Khatib

 

Rares sont ceux qui connaissent les tenants et les aboutissants de l’accord entre M. Mikati et le président Michel Aoun qui a conduit à la formation du gouvernement, qui savent si Aoun a réellement renoncé au «tiers de blocage» du cabinet pour contrôler toutes les décisions gouvernementales, et s’il l’a fait, quelles garanties il a reçues en retour. Mais une chose est sûre: les Libanais sont les perdants dans tout cela.

L’élite politique a joué le jeu du désespoir et de l’épuisement, mettant les gens à genoux pour qu’ils baissent leurs exigences. Au départ, les groupes de la société civile ont demandé un changement complet de la structure politique et son remplacement par une classe «propre» de professionnels. Les gens sont descendus dans la rue, mais leurs appels sont tombés dans l’oreille d’un sourd. La classe politique a profité de la misère des gens qui luttent pour satisfaire leurs besoins fondamentaux et qui n’ont ni le temps ni l’énergie pour protester.

Le peuple est désespéré et prêt à accepter n’importe quoi. Ceux qui réclamaient un changement du système semblent maintenant prêts à se contenter d’une légère amélioration du taux de change de la monnaie locale par rapport au dollar américain. En ce qui concerne la pression internationale exercée par la France et les États-Unis, l’élite politique s’est montrée disposée à s’y plier, bien que le gouvernement qu’elle a formé ne comprenne aucun des spécialistes indépendants exigés par Paris et Washington.

La semaine dernière, à la suite de la visite d’une délégation du Congrès américain au Liban, M. Aoun s’est engagé à ce qu’un gouvernement soit formé en quelques jours. Il a tenu sa promesse et la communauté internationale a poussé un soupir de soulagement. Cependant, nous ignorons les mesures que prendra ce gouvernement et, comme l’élite politique reste aux commandes, il ne faut pas s’attendre à grand-chose. Il est peu probable que de véritables réformes aient lieu. Au mieux, le gouvernement introduira des changements cosmétiques pour donner l’impression d’une réforme.

L’élite politique peut maintenant se concentrer sur les élections et sur les moyens d’écraser l’opposition naissante au régime. Certains voudraient considérer la formation du gouvernement comme une bonne nouvelle, mais, en réalité, c’est le même vieux disque qui se répète.

 

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheuse affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’Université américaine de Beyrouth.

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com