Les États-Unis se retirent, la Chine se prépare à entrer en scène

Le cofondateur des talibans, le mollah Abdel Ghani Baradar, à gauche, et le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, posent pour une photo lors d’une rencontre à Tianjin, en Chine, le 28 juillet 2021. (Photo, Li Ran/Xinhua via AP)
Le cofondateur des talibans, le mollah Abdel Ghani Baradar, à gauche, et le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, posent pour une photo lors d’une rencontre à Tianjin, en Chine, le 28 juillet 2021. (Photo, Li Ran/Xinhua via AP)
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Publié le Mercredi 25 août 2021

Les États-Unis se retirent, la Chine se prépare à entrer en scène

Les États-Unis se retirent, la Chine se prépare à entrer en scène
  • Si la Chine s’implique en Afghanistan sans parvenir à y instaurer la paix, ce sont les investissements chinois qui risqueront d’être la cible des extrémistes
  • Pékin, qui ne veut surtout pas s’enliser dans le bourbier que les États-Unis et l’URSS ont connu, fait preuve d’une grande vigilance dans sa façon d’aborder le problème afghan

Voilà que les grandes puissances régionales cherchent à pallier le départ des États-Unis d’Afghanistan et le vide qui en résulte. En tête de liste viennent la Russie et la Chine. Moscou fait preuve d’une grande prudence et a choisi de rehausser sa désignation des talibans de «terroristes» à «radicaux». Pékin, de son côté, regarde l’Afghanistan à travers les lunettes de son initiative Belt and Road («Ceinture et Route»). Les Chinois ont déjà mis en place de vastes infrastructures dans les régions situées à proximité du nord de l’Afghanistan et poursuivent ces projets à un rythme soutenu, aussi bien dans ces régions qu’au Pakistan, notamment à Lahore et à Gwadar.

En Afghanistan, la Chine espère avant tout que le conflit ne se propagera pas au-delà des frontières de ce pays. À bien des égards, la stabilité instaurée en Afghanistan par les États-Unis a offert à Pékin une toile de fond propice à étendre ses ambitions dans la région. Pourtant, c’est Washington qui a fait le gros du travail en y consacrant sang et argent. La Chine ne manifeste pas d’affinité ou d’intérêt inhérent pour aucune partie afghane. Dans le meilleur des cas, elle préférerait ne pas voir l’allié puissant que sont les États-Unis s’imposer à la frontière occidentale de ce pays. Ainsi, les vastes échanges entre les forces armées et les services de renseignement du Pakistan et de la Chine ont sans doute été inspirés par la méfiance que nourrit Islamabad à l’égard du gouvernement de Kaboul depuis de nombreuses années.

En effet, Pékin entretient d’ores et déjà de bonnes relations commerciales avec le gouvernement de Kaboul, mais aussi avec les talibans. Elle investit actuellement dans une mine de cuivre située aux abords de Kaboul ainsi que dans des champs pétrolifères dans le nord du pays. Par ailleurs, l’université de Kaboul abrite un institut qui porte le nom de Confucius. La plupart de ces investissements risquent de ne pas survivre à la prise de pouvoir. Or, les talibans ont déjà annoncé qu’ils accueillaient volontiers les investissements chinois dans la reconstruction de l’Afghanistan.

Au cours de l’histoire, les talibans ont noué des liens étroits avec le Pakistan, qui représente pour Pékin un allié de plus en plus important. En outre, les talibans se sont rapprochés de l’Iran, leur ennemi d’antan, en réponse à l’occupation américaine qui remonte à une vingtaine d’années. Il est intéressant de constater que les intérêts des deux parties en conflit en Afghanistan s’accordent sur une coopération régionale avec la Chine, mais aussi avec les proches alliés de Pékin dans la région, à savoir le Pakistan et l’Iran – cette convergence de vues pourrait jeter les bases nécessaires à la paix dans la région, une paix inattendue mais convenable pour nombre de personnes qui en subiront les conséquences.

Les talibans ont déjà annoncé qu’ils accueillaient volontiers les investissements chinois dans la reconstruction de l’Afghanistan

Dr Azeem Ibrahim

Cependant, ces circonstances sont temporaires et changeantes. Par le passé, les talibans ont fait preuve d’un esprit indépendant et belliqueux par-dessus tout. De leur côté, les services de renseignement pakistanais continueront à jouer un rôle de joker dans les affaires régionales. En outre, la région regorge d’autres acteurs extrémistes de moindre envergure qui pourraient saper les efforts de coopération entre les grands acteurs.

Il incombe donc à Islamabad de se montrer vigilant, puisqu’il ne souhaite certainement pas voir le Tehreek-e-Taliban Pakistan s’inspirer, avec une certaine jalousie, de ses homologues de l’autre côté de la frontière pour constituer un émirat islamique. 

En outre, la manière dont la Chine aborde ses engagements diplomatiques constitue également un important facteur de risque: Si Pékin applique, pour une quelconque raison, sa «diplomatie du guerrier loup» de plus en plus décapante à l’encontre des principaux acteurs, la situation pourrait revenir au chaos habituel.

Sur cette toile de fond, Pékin fait preuve d’une grande vigilance dans sa façon d’aborder le problème afghan. Les dirigeants ne veulent surtout pas s’enliser dans le même bourbier que celui dans lequel se sont retrouvés les États-Unis et l’Union soviétique, ni supporter le retour de flamme islamiste si jamais la situation dérape. Les activités de la Chine sont restées discrètes dans la mesure où celle-ci souhaite nier autant que possible son implication dans la politique mondiale.

La Chine s’active dans les coulisses diplomatiques, mais tout engagement apparent en Afghanistan sera dissimulé par des voiles occultants. Les investissements économiques seront ainsi entrepris par des entreprises «privées», les questions portant sur la sécurité des projets économiques seront gérées par des groupes de mercenaires privés, les financements et les garanties passeront probablement par nombre d’intermédiaires, et ainsi de suite. Cette stratégie se démarque dans une large mesure de la diplomatie d’investissement habituelle que la Chine a peaufinée au cours des vingt dernières années, dans laquelle elle ne cache pas ses activités mais les exploite plutôt pour promouvoir sa stratégie sur le plan national et international.

Cependant, le succès ou l’échec des interventions de Pékin dans le pays n’est pas nécessairement préjudiciable, si l’on tient compte de l’objectif initial des États-Unis au lendemain des attentats du 11 Septembre: empêcher l’Afghanistan de servir de refuge aux groupes terroristes. Si l’intervention de la Chine parvient à instaurer un climat de stabilité dans la région, elle aura plus de chances que les États-Unis d’éradiquer le radicalisme qui pourrait gagner l’Occident. Toutefois, si la Chine s’implique en Afghanistan sans parvenir à y instaurer la paix, ce sont les investissements chinois qui risqueront de retenir l’attention des extrémistes qui combattent les «ennemis extérieurs».

 

Le Dr Azeem Ibrahim est directeur au Center for Global Policy et auteur de The Rohingyas: Inside Myanmar’s Genocide (Hurst, 2017). 

Twitter: @AzeemIbrahim 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com