Vingt ans après les attentats du 11-Septembre et la campagne militaire internationale menée par les États-Unis qui visait à contrôler l’Afghanistan, le retrait du dernier soldat américain avait été programmé à la fin du mois d’août 2021. Mais il semble que l’avancée foudroyante des forces talibanes sur tous les fronts, du Nord au Sud, ait poussé les Américains et les forces de la coalition occidentale qui opèrent depuis deux décennies sur le territoire afghan à accélérer l’évacuation du personnel diplomatique et de tous leurs ressortissants.
Voilà qui rappelle étrangement la débâcle américaine au Vietnam – plus précisément, le dernier jour de l’évacuation du personnel de l’ambassade, des employés locaux et des auxiliaires vietnamiens, par le toit de l’ambassade des États-Unis à Saigon. Les Américains ne se remettront jamais de cette humiliation. Les Vietnamiens du Sud, qui avaient misé sur le soutien américain pour empêcher une chute de leur capitale rapide et sans négociation, se rappelleront toujours que des milliers d’auxiliaires ont été abandonnés à leur destin tragique.
Le même scenario se renouvelle aujourd’hui à Kaboul, qui est tombé dimanche soir aux mains des talibans avant même que les derniers ressortissants américains et occidentaux ne réussissent à quitter la capitale. La parade des hélicoptères américains entre l’ambassade des États-Unis à Kaboul et l’aéroport international Hamid-Karzai est incessante, alors que des troupes de commandos de l’alliance sont dépêchées sur le terrain afin d’aider à sécuriser l’évacuation en catastrophe après l’effondrement de l’armée régulière afghane face aux forces talibanes.
Dimanche matin, le président de l’Afghanistan, Ashraf Ghani, a pris la route de l’exil et s’est réfugié dans le Tadjikistan voisin. Kaboul est tombé. Une page de l’histoire vient de se tourner, et l’amertume de ces millions d’Afghans qui, depuis dimanche, se sentent à leur tour lâchés par l’Amérique, est immense. Ce retrait, qui avait été décidé l’année dernière par Donald Trump puis fut hâtivement exécuté par Joe Biden, laisse beaucoup d’observateurs occidentaux furieux: ils ont l’impression de revivre les événements de Saigon, mais cette fois à Kaboul.
Il s’agit d’une véritable débâcle. Ce retrait ravive de bien mauvais souvenirs aux États-Unis, ceux de la débâcle du Vietnam en 1975.
Ali Hamade
Il est vrai que la décision avait été prise il y a un an, mais le président Biden aurait accéléré le processus en avançant la date du retrait complet au 31 août. On sait que, en 2020, les pourparlers de Doha entre les États-Unis et les talibans s’étaient conclus par un accord sur le retrait définitif des forces américaines, accompagné de la promesse des talibans d’œuvrer pour une solution politique négociée avec le gouvernement du président Ashraf Ghani en vue d’un partage du pouvoir. L’accord garantissait également le respect des droits des femmes et des minorités.
Il y a encore quelques mois, on ne se doutait pas que les forces du mouvement des talibans réussiraient à prendre le contrôle de l’Afghanistan aussi facilement. Des rapports des renseignements américains sur le terrain assuraient aux hauts responsables que l’armée afghane, forte de 350 000 hommes suréquipés en matériel de combat, serait à même de tenir tête aux talibans pendant de longs mois, et qu’elle aurait même les moyens de maintenir le contrôle des grandes villes en ne laissant aux talibans que les régions rurales.
La première grande surprise fut la décision prise par la Maison Blanche de hâter le retrait. Il y avait là de quoi semer le doute dans les rangs du gouvernement afghan. Ce doute s’est très rapidement transformé en une peur généralisée, qui a fini par sceller le sort du gouvernement. Ce dernier a perdu en deux semaine toutes les grandes villes. Un vent de panique a soufflé, un chaos généralisé s’est installé, aboutissant à l’effondrement des forces armées afghanes. Les troupes ont pris la fuite ou se sont massivement rendues aux talibans, qui, un peu partout dans le pays, ont avancé rapidement. À la surprise des forces talibanes elles-mêmes, villes et villages sont tombés par dizaines, du Nord au Sud, sans vrai combat, ce qui a permis aux «étudiants de la religion» d’encercler la capitale et ses environs avant même le retrait définitif des Américains et de leurs alliés de l’Otan.
Il s’agit d’une véritable débâcle. Ce retrait ravive de bien mauvais souvenirs aux États-Unis, ceux de la débâcle du Vietnam en 1975. Et les images de la fuite précipitée de l’ambassade américaine à Kaboul poussent les grands médias américains à exhumer la photo historique du dernier hélicoptère qui quitte le toit de l’ambassade des États-Unis à Saigon, les ultimes fuyards s’accrochant à une échelle de corde. Cette image est certes dramatique, mais elle l’est peut-être moins que celle de ces Afghans accrochés aux roues d’un transporteur de troupes américain et qui finissent par tomber de l’appareil en plein vol.
Ce retrait précipité, mal préparé, mal coordonné, s’apparente à une défaite de l’Occident. La chute de Kaboul, quelques heures avant que le président Ashraf Ghani ne quitte la capitale, aura le goût amer d’une faillite politique, militaire et morale. Et, quoi qu’en dise le président Biden, il est évident que ce retrait aurait pu mieux se dérouler, car sa gestion a été catastrophique. Il y a là de quoi saper le moral d’une armée qui a perdu la volonté de se battre.
L’histoire se rappellera les deux images de ces retraits, qui ressemblent à une fuite désordonnée et désastreuse. Une nouvelle cause perdue.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.