Le «choc et la crainte» qui entourent la prise de contrôle rapide de l'Afghanistan par les talibans ont procuré à Israël une occasion rêvée pour intensifier sa violence contre les Palestiniens.
Au cours de la semaine dernière, alors que les médias grand public étaient submergés d'informations sur l'effondrement de Kaboul et la prise de contrôle par les talibans, Israël a alimenté les inquiétudes américaines tout en intensifiant sa campagne contre les Palestiniens.
Avant ces événements, les grands médias américains ne couvraient que très légèrement les actes de violence commis par le gouvernement israélien contre les Palestiniens – une violence qui a pourtant coûté la vie à quatre individus la semaine dernière et à plus de quarante personnes au cours des trois derniers mois seulement.
Les médias américains pourraient-ils faire encore moins? Oui, car l’ensemble de la nation se concentre sur la résurrection des talibans en Afghanistan.
Cette augmentation du nombre de morts s’explique par la décision qu’a prise l'armée israélienne d'autoriser ses soldats chargés de protéger les colons juifs à user de balles réelles contre les manifestants. Les soldats utilisent des balles Ruger de calibre 22. Mais comme l’armée les qualifie de «non létales» – et que, par ailleurs, le gouvernement israélien censure tous les reportages des médias sur les Palestiniens –, on parle bien peu du nombre de morts palestiniens dans les médias américains.
Si quatre Israéliens avaient été tués, l’événement ferait les gros titres des plus grands journaux américains, et les émissions de télévision et de radio en parleraient – mais il n’en va pas de même avec le meurtre, lundi dernier, de quatre Palestiniens.
Israël affirme dans un communiqué que ses soldats chassaient des «terroristes» à Jénine lorsqu'ils ont essuyé des tirs et qu’ils ont dû se défendre, tuant quatre personnes et en blessant une cinquième.
Les Palestiniens prétendent que les soldats israéliens ont tiré n’importe comment et sans se soucier de ceux qu’ils ont tués.
Le Washington Post n'a pas contesté la version israélienne des événements et n’a écrit que quelques lignes sur la mort des quatre Palestiniens, tandis qu’il a consacré douze paragraphes au gouvernement vénézuélien qui s’apprête à reprendre les pourparlers avec ses rivaux et aux incendies de forêt qui font rage dans la périphérie d'Athènes.
Israël est plus qu'un allié américain: c'est un acteur important de la construction de l’opinion publique américaine, et ses alliés sont des contributeurs majeurs aux budgets de la campagne politique américaine.
Ray Hanania
Reuters a rédigé un long article sur le fait que le président américain Joe Biden avait qualifié le Hamas d’«organisation terroriste» lors d'une communication téléphonique avec le président palestinien, Mahmoud Abbas, samedi dernier. Et il n’a publié qu’un court texte de présentation de quatre paragraphes au sujet des meurtres, répétant les affirmations d'Israël relatives à la légitime défense.
N'oubliez pas que, en Israël, tous les reportages qui portent sur les Palestiniens doivent être approuvés par les censeurs israéliens avant d’être publiés. Dans de nombreux cas, les médias d'information embauchent un journaliste israélien qui se trouve être un sympathisant d’Israël pour couvrir ces événements. Ils ne courent aucun risque d'être sanctionnés. D’ailleurs, les journalistes qui ne sont pas israéliens peuvent être expulsés sur un coup de tête.
Pire encore, les reportages des médias ont été censurés par l'armée.
Les grands médias américains refusent d’aborder ce sujet parce que, d’un point de vue professionnel, il est embarrassant que leurs reportages soient soumis à l'approbation du gouvernement. Partout ailleurs, cette censure poserait problème – mais pas aux États-Unis, ni quand il s’agit du gouvernement israélien.
Ce qui se passe en Afghanistan permet d’occulter pour les rédacteurs en chef le fardeau de la culpabilité, même si les médias américains sont conscients des agissements d'Israël. Ils peuvent à loisir remplir leurs pages de reportages critiques qui dénigrent les talibans, parce que ces derniers sont les terroristes qui ont donné le pouvoir à Oussama ben Laden.
Il est aisé de parler de cette situation car il est inutile de peser ses mots comme c'est le cas avec Israël. Ce dernier est plus qu'un allié américain: c'est un acteur important de la construction de l’opinion publique américaine, et ses alliés sont des contributeurs majeurs aux budgets de la campagne politique américaine.
Bien que des journalistes américains d'origine arabe aient des liens avec l'un des vingt-deux pays arabes, il y a beaucoup plus de journalistes juifs américains, parmi lesquels certains possèdent la double nationalité israélienne; ils défendent les actions d'Israël plus souvent qu'ils ne les critiquent.
Cependant, le reportage n'est pas un commentaire d'opinion: il est censé être objectif et évoquer tous les points de vue . Le commentaire d'opinion, lui, se fonde sur l'analyse personnelle et subjective des faits que rapporte son auteur.
Les médias américains comptent beaucoup moins de réacteurs arabes que juifs, et l'impact de ce phénomène est très net.
L'aggravation de la crise en Afghanistan permet aux médias américains d'être encore moins objectifs et moins justes dans leur couverture du conflit israélo-palestinien. En effet, ils n'ont pas du tout besoin d'être factuels. Tout ce qu'ils sont tenus de faire est de suivre les règles de censure d'Israël, de supprimer les faits auxquels le gouvernement israélien s'oppose et de s'assurer que la sécurité militaire d'Israël a la priorité lorsque des articles sont publiés.
• Ray Hanania est un ancien journaliste et chroniqueur politique primé à l'Hôtel de ville de Chicago. Il peut être contacté sur son site Internet personnel à l'adresse www.Hanania.com. Twitter : @RayHanania
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com