TUNIS: Le limogeage du ministre tunisien de la Santé en plein pic de contamination au coronavirus fragilise encore plus le gouvernement de Hichem Mechichi, pris depuis des mois dans une profonde crise politique et dont la gestion de la pandémie est pointée du doigt.
"Tous les jours il y a du cafouillage dans la gestion du Covid", a reconnu le chef du gouvernement dans un discours tard mardi, pour justifier la décision quelques heures plus tôt de limoger le ministre Faouzi Mehdi.
Il a notamment critiqué l'ouverture temporaire de la vaccination à tous les adultes, annoncée par M. Mehdi le soir pour le lendemain, et qui s'est traduite mardi par une ruée sur les vaccins, avec quelques bousculades et beaucoup de déçus.
Des milliers de jeunes ont pu se faire vacciner alors que les vaccins étaient jusque-là réservés aux plus de 50 ans et quelques professions prioritaires, mais le nombre de doses disponibles s'est avéré largement insuffisant et l'organisation défaillante.
"Prendre une décision du jour au lendemain est populiste", a accusé le chef du gouvernement, qualifiant cette opération, interrompue à la dernière minute mercredi, de "criminelle".
Mais ce désaveu met en lumière un manque de stratégie face au rebond annoncé de la pandémie, qui menace de faire effondrer le système de santé, éprouvé par des pénuries d'oxygène, de lits de réanimation, et de personnel.
Avec ses quasi 18.000 morts pour 12 millions d'habitants, le pays a l'un des pires taux de mortalité au monde.
Il comptabilise 1,4 décès pour 100.000 habitants par jour en moyenne sur les 7 derniers jours, en deuxième position derrière la Namibie selon un comptage réalisé par l'AFP à partir de bilans officiels mercredi. L'OMS souligne néanmoins que la Tunisie est "plus transparente" que beaucoup d'autres pays.
La tendance des contaminations est à la baisse par rapport à la semaine précédente (-20%), mais le nombre de nouveaux cas quotidiens reste bien supérieur à celui du Maroc, de la Libye ou de l'Algérie voisine.
Et les rassemblements familiaux de l'Aïd, fête religieuse musulmane mardi et mercredi, pourraient faire repartir la courbe vers le haut.
"Il y a eu des décisions contradictoires, un manque de mise en oeuvre des restrictions, et surtout un manque d'anticipation", estime le politologue Selim Kharrat.
Des générateurs d'oxygène fournis début juin par Paris ne sont toujours pas complètement opérationnels et un hôpital de campagne offert en avril par Washington n'a été monté qu'en juillet.
Cinq ministres
"On a un chef du gouvernement qui utilise ses ministres comme des fusibles pour absorber le mécontentement -- mais jusqu'à quand va-t-il tenir?" interroge M. Kharrat.
La diplomatie tunisienne a été lente à se mobiliser pour obtenir les vaccins et aides médicales cruciales.
Un Congrès de la puissante confédération syndicale UGTT a été autorisé début juillet tandis que les mariages et autres rassemblements ont été interdits.
Le port obligatoire du masque, ou encore l'interdiction de circuler entre les régions ont été peu appliquées.
Le gouvernement lui-même s'est rassemblé dans un hôtel haut de gamme sur la côte le week-end dernier.
Le contraste entre les photos de la piscine de l'hôtel publiées par un ministre sur les réseaux sociaux, et une vidéo montrant le chef d'un petit hôpital pleurant d'impuissance face au manque d'oxygène, a déclenché une volée de critiques.
La population est déjà exaspérée par les luttes de pouvoir entre président, gouvernement et Parlement, ainsi qu'au sein d'une Assemblée morcelée.
Résultat de cette instabilité: en 18 mois, la Tunisie a eu cinq ministres de la Santé.
Le gouvernement de Hichem Mechichi, technocrate nommé par le président Kais Saied en août 2020, est paralysé par un remaniement avorté en janvier.
Une dizaine de portefeuilles, dont les titulaires devaient être remplacés pour obtenir le soutien du mouvement islamiste Ennahdha -- principal parti parlementaire -- ont ainsi été confiés à des ministres intérimaires après le refus opposé par M. Saied aux changements proposés.
Le nouveau ministre de la Santé par intérim, Mohamed Trablesi, occupe déjà le poste très lourd des Affaires sociales.
Signe de la frustration ambiante: des appels à manifester contre toute la classe politique dimanche, jour de la République, ont fleuri sur les réseaux sociaux, sans organisateurs clairement identifiés.