TUNIS: Les Tunisiens risquent de ne pas sortir de sitôt de la nouvelle flambée de Covid. Essentiellement pour deux raisons: les incohérences des dirigeants, et l’incivisme d’une bonne partie des citoyens.
Moins de 50 décès dus au Covid-19 en juin 2020, plus de 17 000 treize mois plus tard. Comment les Tunisiens s’y sont-ils pris pour se retrouver dans une situation sanitaire aussi catastrophique? Comment expliquer que la Tunisie paie aujourd’hui un si lourd tribut lors de la troisième vague de la pandémie, après avoir réussi à limiter les dégâts lors des deux premières?
Deux médecins, l’un généraliste et l’autre chirurgien, s’accordent pour imputer, sous le sceau de l’anonymat, la rapide et dangereuse aggravation de la crise sanitaire à la fois aux autorités et aux Tunisiens d’une façon générale.
Les deux premières erreurs commises dans la gestion de la pandémie l’ont été par le précédent gouvernement dirigé par Elyes Fakhfakh (janvier-juillet 2020). «L’autosatisfaction exprimée par ce dernier à la fin de la première vague nous a coûté cher, car elle a fait baisser le niveau de la vigilance, déjà très bas», explique un médecin.
Ensuite, la deuxième maladresse a consisté à ne pas exiger de test PCR des touristes et Tunisiens résidant à l’étranger à leur arrivée en Tunisie.
Le reproche adressé à l’actuel gouvernement, dirigé par Hichem Mechichi depuis le 2 septembre 2020, est autre: l’indécision. N’ayant pas les moyens d’assumer le coût économique, donc financier, d’une politique axée prioritairement sur la lutte contre la Covid-19, l’État n’a pas voulu ou pu mettre en place le dispositif nécessaire pour une lutte efficace contre la pandémie. Un dispositif comprenant la distribution gratuite de masques et de gel aux plus démunis, l’augmentation du nombre de bus et de rames de métro…
De ce fait, les autorités n’ont cessé depuis dix-huit mois de louvoyer entre fermeté et laisser-aller. Plus d’une fois, les pouvoirs publics ont manqué de fermeté, et sont revenus sous la pression sur certaines mesures, comme la fermeture des cafés et restaurants lors du confinement de mai. «La faiblesse du gouvernement permet aux lobbys touristique et industriel de dicter leur loi», explique un chirurgien.
Les Tunisiens reprochent enfin aux dirigeants actuels d’avoir ajouté à la crise sanitaire une crise politique, ne permettant pas la mise en place de mesures efficaces contre la pandémie.
Depuis près de vingt mois, la Tunisie est en effet paralysée par le bras de fer que se livrent au sommet de l’État le président Kaïs Saïed, le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), et le mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi étant tapi derrière le chef du gouvernement, Hichem Mechichi.
«Cette crise politique a été néfaste. Elle a retardé la prise de décision», note un médecin opérant dans le privé. Si la Tunisie a entamé la campagne de vaccination seulement le 13 mars, soit près de cinq semaines après le Maroc (29 janvier 2021) et l’Algérie (1er février), c’est en particulier parce qu’elle a tardé à entreprendre à temps les démarches nécessaires pour obtenir des vaccins.
Le citoyen lambda, qui aime tant casser du sucre sur le dos des politiques, n’est pas non plus exempt de tout reproche. «Il est dans le déni total de la maladie», s’insurge un médecin tenant un cabinet dans un quartier populaire de Tunis. Pour beaucoup, la Covid-19 est «une banale grippe» et le vaccin «un truc créé pour nous contrôler».
Une mentalité qui complique la tâche des commerçants. Ceux qui veulent faire respecter les gestes barrières finissent souvent par y renoncer. «Au début de la première vague de Covid-19, j’ai posté un employé à l’entrée de ma supérette pour qu’il mesure la température des clients et leur fournisse du gel. Beaucoup ont protesté contre ces mesures jugées vexantes, et m’ont même boycotté. Aujourd’hui, je me limite à me protéger ainsi que mon équipe», témoigne la mort dans l’âme le gérant d’une supérette dans la médina de Tunis.
On comprend dès lors pourquoi les Tunisiens risquent de ne pas sortir de sitôt de la Covid-19.