Il y a quelques semaines, le président Joe Biden a paru inflexible lorsqu’il a essayé de convaincre les Américains et le monde entier que les États-Unis n’avaient plus rien à faire en Afghanistan et qu’il était grand temps de mettre fin à une guerre qui a duré vingt ans. Au cours de ce conflit, les bases d’Al-Qaïda dans le pays ont été détruites et le chef de cette organisation, Oussama ben Laden, a été tué au Pakistan; le gouvernement afghan, affaibli, porte désormais un lourd fardeau.
«Les États-Unis ont fait ce qu’ils devaient faire en Afghanistan: se débarrasser des terroristes qui nous ont attaqués le 11 septembre, rendre justice aux victimes en tuant Oussama ben Laden, et réduire la menace terroriste pour éviter que l’Afghanistan ne serve de base à des attaques contre les États-Unis. Nous avons atteint ces objectifs», a déclaré de la Maison Blanche Joe Biden.
Conformément aux directives de Biden, les troupes américaines ont en grande partie déserté leurs bases en Afghanistan deux mois avant le délai fixé, faisant fi des préoccupations croissantes des renseignements américains sur l’avenir du pays et de la forme que prendrait le nouveau gouvernement dans ce pays ravagé par la guerre. Plusieurs chefs militaires, politiques et experts en terrorisme ont signalé l’incapacité du gouvernement afghan à limiter l’influence grandissante des talibans sans la puissance de feu américaine; Biden n’en a pas moins décidé de remettre le sort du pays entre les mains des Afghans.
Depuis des mois, des pourparlers se tiennent entre les hauts représentants du gouvernement afghan et des talibans à Doha, au Qatar, pour tenter de trouver une solution pacifique et de façonner l’avenir politique du pays, en vain. En revanche, le mouvement fondamentaliste islamiste, qui avait jadis servi de refuge à Oussama ben Laden, progresse, lui, rapidement. Il a déjà pris le contrôle de plus d’un tiers des 407 districts afghans, ce qui a provoqué le déplacement forcé de quelque 270 000 personnes depuis le mois de janvier.
Pendant ce temps, les combattants talibans resserrent leur emprise sur les périphéries de Kaboul. Ils attendent le bon moment pour affronter les forces de sécurité afghanes. Certaines troupes régulières ont déjà rendu les armes dans différentes régions du pays.
Après vingt ans de guerre, mille milliards de dollars américains dépensés (1 dollar = 0,85 euro), 2 448 morts et 20 722 soldats américains blessés, les talibans ont gagné.
Après vingt ans de guerre, mille milliards de dollars américains dépensés, 2 448 morts et 20 722 soldats américains blessés, les talibans ont gagné.
Dalia al-Aqidi
Les femmes et les jeunes filles afghanes, qui avaient cru un instant qu’elles auraient la possibilité de forger leur propre avenir, ont abandonné cet espoir. Leur désir est de faire des études, de gagner leur vie et d’être indépendantes.
La semaine dernière, l’ancien président George W. Bush, celui qui avait déclaré la guerre au mouvement Al-Qaïda en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001, a exprimé des inquiétudes sur la manière dont le groupe radical traiterait les personnes les plus vulnérables et les plus innocentes en Afghanistan. «Je crains que les filles et les femmes afghanes ne subissent d’indicibles souffrances», confie-t-il lors d’un entretien télévisé, tenant la décision de Biden pour une «erreur».
Depuis 2016, des présentatrices télé et des animatrices radio ont été tuées par des hommes armés ou ont péri dans des attentats à la voiture piégée. En mars, des militants de Daech ont revendiqué l’assassinat de trois femmes qui travaillaient pour une chaîne de télévision à l’est de l’Afghanistan.
En Afghanistan, les femmes ont obtenu le droit de vote en 1919, soit un an avant les Américaines. Elles ont progressivement acquis davantage de droits jusqu’à l’avènement des talibans. Selon un rapport publié par le département d’État américain au début des années 1990, à Kaboul, 70% des enseignants, 50% des fonctionnaires, 50% des étudiants et 40% des médecins étaient des femmes. Entre 1996 et 2001, sous le règne des talibans, elles ont dû abandonner leurs ambitions et leurs rêves, car les sanctions et les restrictions imposées aux femmes étaient très sévères. Les écoles et les universités destinées aux femmes ont été fermées et les travailleuses se sont vu contraintes de quitter leur emploi; enfin, l’accès aux soins de santé et à la nourriture leur a été refusé.
Bush a bien décrit la situation des droits des femmes afghanes sous le règne des talibans lors de la conférence de Varsovie pour la lutte contre le terrorisme, au mois de novembre 2001. Il a alors tenu les propos suivants: «Les femmes sont emprisonnées chez elles. Elles se voient refuser l’accès aux soins de santé de base et à l’éducation. La nourriture envoyée pour venir en aide aux personnes affamées est volée par leurs dirigeants. Les monuments religieux des autres confessions sont détruits. Il est interdit aux enfants de faire voler des cerfs-volants ou de chanter des chansons. […] Une fillette de sept ans est battue sous prétexte qu’elle porte des chaussures blanches.»
Si les gouvernements à travers le monde, l’ONU (l’Organisation des Nations unies) et les ONG mondiales ne prennent pas les mesures préventives nécessaires, l’histoire se répétera. Ce n’est pas parce que les États-Unis ont décidé d’abandonner les femmes afghanes que le reste du monde doit les suivre.
Il est nécessaire que les voix de ces femmes soient entendues lors des pourparlers de Doha. Les quatre femmes qui font partie de l’équipe de négociation du gouvernement devraient protéger les avantages qu’elles ont durement acquis au cours des vingt dernières années.
Nous avons la responsabilité de protéger chaque mère qui a eu le courage d’envoyer sa fille à l’école et chaque fille qui a appris à épeler le mot «liberté». Nous avons une dette envers le genre humain.
Dalia al-Aqidi est chercheure principale au Center for Security Policy de Washington.
Twitter: @DaliaAlAqidi
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com