En commentant la dernière élection présidentielle en Iran, la journaliste américaine Robin Wright a prédit le passage du pays perse à une sorte de «one-party state» («État à parti unique») qui mettrait fin à des décennies de confrontation idéologique et politique entre les deux courants conservateur et réformiste. (The New Yorker du 18 juin 2021).
L'issue du scrutin, connue d'avance après le retrait de la dernière figure centriste de la course (Mohsen Mehralizadeh), consacrera la mainmise des religieux radicaux sur la scène politique, évinçant les derniers remparts contre le monolithisme théocratique.
Le système politique iranien institué après la révolution de 1979 se fondait sur un équilibre boiteux entre les instances de décision non élues, qui accaparent l'essentiel des pouvoirs, et les fonctions de responsabilité élues, qui sont le reflet d’une dynamique sociale hétéroclite et souvent réfractaire aux dogmes de la révolution théocratique.
C'est ainsi que s'est forgé, après la disparition de l'imam Khomeini, un schisme qui a structuré la vie politique iranienne entre une tendance conservatrice radicale bien ancrée dans les institutions relevant du Guide de la révolution (gardiens de la révolution, Conseil des gardiens de la Constitution, Conseil du discernement de l'intérêt supérieur du régime, le pouvoir judiciaire) et une tendance réformiste, aux pouvoirs exécutifs limités, qui, à plusieurs reprises, a accédé à la présidence de la République.
Les années de règne de l'ancien président Mohammed Khatami (1997-2005) ont constitué la période éclatante et influente du mouvement réformiste, qui a alors occupé le devant de la scène politique et culturelle. Des figures de proue de la vie intellectuelle, comme le philosophe Abdelkarim Sourouch et le religieux libéral Mostafa Melekian, ont accompagné ce mouvement d'émancipation, introduisant les idéaux des Lumières dans la grille conceptuelle de la révolution islamique et supplantant l'utopie messianique de l'ère khomeiniste.
Cependant, la fin tragique et sanglante du mouvement vert de 2009 a fragilisé et amoindri la dynamique réformiste, dont les deux symboles sont toujours assignés à résidence: l'ancien Premier ministre Mir Hossein Moussavi et l'ancien président du Parlement Mehdi Kharroubi.
La presse libérale étant muselée, l'appareil judiciaire instrumentalisé dans la politique de répression systématique des opposants politiques au régime de velayat-e faqih («gouvernement du docte», NDLR), l’Iran s'est graduellement dirigé vers un autoritarisme total qui a fini par verrouiller les derniers espaces de choix libre.
Bien que le président de la République islamique d'Iran, Hassan Rohani, n'eût par le passé aucun lien notoire avec le mouvement réformiste, son élection a été largement saluée par le mouvement libéral, qui a vu dans son penchant pragmatique et dans son positionnement centriste – qui le distingue partiellement de la mouvance radicale – l'ossature même du régime régnant à Téhéran.
Rohani, pur produit de la machine révolutionnaire khomeiniste, a senti, grâce à son instinct politique, la nécessité de composer avec les enjeux de l'échiquier stratégique international. Il a donc saisi les exigences d'une ouverture sur le monde. Toutefois, sa marge de décision est très réduite, et il a par ailleurs souvent été désavoué par le Guide de la révolution, parrain fort de l'aile conservatrice radicale.
L'élection minutieusement arrangée du candidat favori du «système», Ebrahim Raïssi, s'inscrit donc dans cette logique de blocage définitif des espaces de liberté et d'alternance; le régime iranien est ainsi en train de ressembler à un gouvernement «à parti unique», comme l'avait prédit Robin Wright.
Raïssi, qui a occupé les plus hautes fonctions judiciaires et a été désigné comme responsable des pires exécutions contre les opposants au régime iranien, est le successeur potentiel de l'ayatollah Khamenei.
Le courant libéral et la tendance réformiste du régime de la «révolution islamique» sortent des dernières élections affaiblis et déstructurés, même si la dynamique contestataire demeure très vive dans les rangs d'une jeunesse qui ressent amèrement les aléas des politiques d'isolement et de réclusion, ainsi que les effets néfastes des sanctions internationales imposées à l'Iran de l'extérieur.
La reprise des négociations avec les États-Unis, même si elle conduisait à un nouvel accord sur le dossier nucléaire iranien et à l'allègement des sanctions prises par l'ancien président Trump, n'aurait pas d'impact significatif sur l'image ternie de l'Iran, qui s'engage sur une voie de radicalisation autoritaire sans précédent.