La société iranienne avance vers la violence

Place Valiasr à Téhéran, capitale de l'Iran, le 16 juin 2021. (AFP)
Place Valiasr à Téhéran, capitale de l'Iran, le 16 juin 2021. (AFP)
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Publié le Jeudi 17 juin 2021

La société iranienne avance vers la violence

La société iranienne avance vers la violence
  • Ce sont les nombreuses lacunes dans la lutte contre la violence qui la font naître et dominer, conduisant la société à son effondrement, qui se manifeste tel un volcan en éruption
  • Le bien-être des familles iraniennes a atteint son niveau le plus bas depuis des décennies et aura tendance à baisser encore à l’avenir

Cette phrase clé, prononcée par certains sociologues iraniens, est compatible avec les récents événements: les crimes familiaux, les meurtres d’enfants, les meurtres commis par les hommes contre leurs épouses dans les villes périphériques du pays, le suicide et les vols constituent des aspects de la diminution de la sécurité psychosociologique, qui est la source de l’augmentation de la violence.

Une société ne se retrouve pas du jour au lendemain dans un bain de violence, même pas en un mois ou en plusieurs années. Ce sont les nombreuses lacunes dans la lutte contre la violence qui la font naître et dominer, conduisant la société à son effondrement, qui se manifeste tel un volcan en éruption. 

En Iran, les personnes qui symbolisaient la paix, la tolérance et l’expérience se présentent aujourd’hui comme des bombes de violence circulant dans les rues, les bus et les métros.

Au sein de la société iranienne, la violence a pris une dimension plus importante après la fameuse fatwa de Khamenei qui a interdit l’importation des vaccins reconnus en provenance de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis. Cette mauvaise gestion de la pandémie, qui est le résultat d’un système dysfonctionnel, a accentué les tensions internes en Iran.

Cette violence est également une conséquence des grandes disparités entre les classes sociales et de la brutalité perpétrée par les forces de sécurité ainsi que par les responsables l’application de la loi, qui imposent aux Iraniens des restrictions, les malmènent et les mettent en difficulté, tuant les frontaliers ainsi que les transporteurs de carburant. Une citation du prophète de l’islam, extrêmement célèbre en Iran, entraîne la confusion: elle dit qu’une société pourrait vivre longtemps dans l’infidélité, mais ne le pourrait pas dans la pauvreté et l’oppression.

En Iran, 80% des ménages vivent entre le seuil de pauvreté absolue et celui de la survie. Ils ne peuvent pas répondre aux besoins indispensables à leur survie que sont la nourriture, l’eau potable, les services de santé, l’éducation, l’accès au logement et l’air. Les Nations unies définissent le seuil de la pauvreté absolue en 2020 à 2,19 dollar [1 dollar = 0,82 euro, NDLR] par individu et par jour. En monnaie iranienne, ce seuil est de 50 000 tomans. Un ménage de quatre personnes est en dessous du seuil de pauvreté absolue si son revenu mensuel est en dessous d’environ 6 millions de tomans.

Le bien-être des familles iraniennes a atteint son niveau le plus bas depuis des décennies et aura tendance à baisser encore à l’avenir, même en cas de levée des sanctions économiques.

Raïssi est le principal responsable du massacre, en 1988, des prisonniers politiques. Voici un exemple des nombreuses manifestations de haine sociale qui s’expriment contre lui: les foules rassemblées par le régime au stade Takhli d’Ahwaz, qui furent transportées de force de tout le Khouzistan et des communes voisines et à qui on avait promis de l'argent, ont interrompu le discours de Raïssi en criant: «On n’a pas d'eau, on n’a pas d'eau!».

Les enfants éboueurs, les mineurs travaillant dans les rues, dans les métros, dans les ateliers et pour des enseignes anonymes, les femmes chefs de famille: c’est devenu le décor habituel des villes iraniennes. L’exploitation et le travail des enfants constitue une usurpation de leurs droits. Ces petits travailleurs clandestins s’exposent chaque jour aux risques d’agression, de blessure, d’humiliation et, dans le contexte actuel, à la contamination de Covid-19.

À mesure que le nombre de ces enfants augmente grandit l’ombre de l’effondrement social iranien, qui peut être faible, moyen ou élevé; en Iran, nous avons dépassé le juste milieu et nous nous situons aujourd’hui dans la zone critique.

Cette situation alarmante pousse les Iraniens à profiter de toute occasion pour exprimer leur désaccord et leur mécontentement vis-à-vis de la structure et de la gouvernance des mollahs. Ils ont ainsi brûlé les affiches et les banderoles de la compagne d’Ebrahim Raïssi, candidat préféré de Khamenei et le futur président potentiel, qui, pour atténuer ces manifestations de haine populaire à son égard, a ordonné aux forces gouvernementales de cesser d'installer ses affiches de candidature présidentielle.

Raïssi est le principal responsable du massacre, en 1988, des prisonniers politiques. Voici un exemple des nombreuses manifestations de haine sociale qui s’expriment contre lui: les foules rassemblées par le régime au stade Takhli d’Ahwaz, qui furent transportées de force de tout le Khouzistan et des communes voisines et à qui on avait promis de l'argent, ont interrompu le discours de Raïssi en criant: «On n’a pas d'eau, on n’a pas d'eau!».

La conséquence directe de cette colère et de cette haine est le boycott général de la farce électorale de Khamenei. Lors de la prière du vendredi 11 juin à Mechhed, le mollah Alam al-Huda, représentant de Khamenei et chef de prière, a évoqué cet embargo en disant: «L'ancien système a vécu et touche à sa fin». Il a ajouté que cet embargo général, la colère universelle et la protestation s’exprimaient partout et en toute occasion.

Ebrahim Raïssi évite d’apparaître dans des rassemblements qui l’exposent à l'indignation du peuple et aux questions des journalistes. Les Iraniens n'ont pas oublié les auteurs du massacre de 1988 et des meurtres de la mi-novembre 2019, parmi lesquels figurent Khamenei et Raïssi. Les exécutions quotidiennes leur rappellent constamment l’oppression du régime. Leur haine s’intensifiera le jour où Raïssi, l'ayatollah des exécutions, sera nommé président de la République islamique, car alors la terreur s'enracinera dans l’ensemble du système. 

À Qazvin, le sermon de vendredi disait qu’une organisation d'hypocrites (nom qu’utilise le régime pour désigner les opposants jurés des moudjahidine) essayait de forcer les Iraniens à participer aux élections en adoptant trois approches distinctes de celle des élections, et qu’il visait à déclencher une guerre civile. Hojjatoleslam Khezri a prétendu que ces approches consistaient à diviser le peuple, à décourager sa participation aux élections et à détruire les personnalités de la révolution (Raïssi), incitant ainsi à une guerre civile.

Cette guerre civile est la réaction naturelle aux dizaines de milliers d’exécutions quotidiennes, au meurtre des jeunes lors du soulèvement de 2019 et au massacre des prisonniers politiques en 1988. Qui sème le vent récolte la tempête.

Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.

Twitter: @h_enayat

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.