Cette semaine a été particulièrement symbolique en matière de transition énergétique, notamment grâce à deux événements qui peuvent être perçus comme des points de repère sur la route vers l'objectif de zéro émission nette de carbone et d'une planète plus propre d’ici à 2025, comme le prévoit l'accord de Paris sur le changement climatique.
Le premier événement relève d'une déclaration faite par l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Celle-ci a en effet annoncé que tout nouvel investissement dans les combustibles fossiles devrait être immédiatement interrompu si nous souhaitons atteindre les objectifs en matière de climat.
Cette annonce n'est pas une mince affaire venant de l'AIE, organisation conçue pour défendre les intérêts des consommateurs de pétrole, mais qui a toujours entretenu des relations étroites avec les producteurs, y compris l'Arabie saoudite et les autres pays membres de l'OPEP+.
Cette relation deviendra probablement moins amicale après que l'AIE a sciemment rejeté la stratégie de lutte contre le changement climatique avancée par l'Arabie saoudite et entérinée l'année dernière par le Groupe des Vingt (G20). L'économie circulaire du carbone (CCE) est un dispositif qui vise à lutter contre le changement climatique mais qui continue à bénéficier des bénéfices économiques générés par les hydrocarbures qui constituent les carburants les plus efficaces jamais utilisés par les hommes.
En réalité, en voyant l'AIE condamner l'économie circulaire du carbone et marcher sur les traces de Greta Thunberg en rejetant de manière cavalière toute forme d'hydrocarbures, on comprend mieux pourquoi la transition énergétique progresse si lentement. L'autre événement qui a attiré mon attention est lui aussi profondément symbolique. Lamborghini, le constructeur italien de voitures de sport très appréciées par les passionnés de voitures à travers le monde, a fait part de sa volonté de passer au mode entièrement électrique dans la seconde moitié de la décennie.
Cette nouvelle a été aussi choquante pour les fans de la marque que l'a été la volte-face de l'AIE pour les investisseurs en énergie. Qu’adviendrait-il de l'accélération vertigineuse de ces voitures ? Le grésillement de l'échappement, si réjouissant, tombera-t-il aux oubliettes ?
J'ai rencontré Stephan Winklemann, PDG de Lamborghini, lors de sa visite éclair à Dubaï durant laquelle il a tenté de rassurer les clients que le message essentiel – un design attrayant et une vitesse vertigineuse – restera intact.
M. Winklemann a précisé que l'objectif de sa firme est de proposer, durant les années à venir, des véhicules hybrides - moteur à combustion interne (MCI) et électrique - pour la gamme Lamborghini actuelle avant de lancer une super-voiture entièrement électrique vers 2027. Par la suite, la société se mettra en quête d'un carburant synthétique propre entièrement nouveau.
La marque Lamborghini est une organisation commerciale qui sait lire les signes du changement climatique et qui se rend compte qu'elle devra s'adapter si elle veut continuer à vendre des voitures. Elle agit de manière responsable vis-à-vis de l'environnement, certes, mais l'enjeu est financier.
Frank Kane
Lamborghini reconnaît qu'il n'est pas le premier fabricant de super-voitures à prévoir un avenir post-MCI. Tous les grands concurrents ont déjà développé des véhicules électriques (VE) ou prévoient de le faire très prochainement. Aux États-Unis, Tesla et Lucid produisent déjà des VE, et Mercedes, Volkswagen et General Motors envisagent de décaler entièrement leur flotte au mode électrique.
Cette tendance à privilégier les VE rejoint la nouvelle position de l'AIE. Cette dernière a par ailleurs appelé à mettre un terme aux ventes de moteurs à combustion interne d'ici à 2035, ce qui entraînerait des répercussions majeures sur l'industrie pétrolière.
En 2019, le carburant consommé par les véhicules de tourisme, essentiellement les voitures à moteur à combustion interne, représentait 25 % de la demande mondiale de pétrole, tandis que les autres moyens de transport, fret terrestre, aérien et maritime, en absorbaient un quart. La disparition de cette part de marché portera un coup sévère à l'industrie du pétrole dans le monde.
Les véhicules électriques (VE) représentent certes un marché en pleine croissance. Cependant, leur proportion par rapport à l'ensemble des véhicules circulant sur les routes du monde reste infime et bien inférieure à 10%. Cette tendance semble vouée à changer rapidement en raison de la pression exercée par les gouvernements et les constructeurs d'automobiles soucieux de l'environnement.
Alors, cela ne justifie-t-il pas la nouvelle approche « verte » de l'AIE ? Pas du tout.
Lamborghini est une organisation commerciale qui sait lire les signes du changement climatique et qui se rend compte qu'elle devra s'adapter si elle veut continuer à vendre des voitures. Elle agit de manière responsable vis-à-vis de l'environnement, certes, mais l'enjeu est financier.
L'AIE, quant à elle, est une organisation internationale qui devrait défendre les intérêts de l'ensemble de ses membres, y compris les pays producteurs de pétrole et la grande majorité des consommateurs du monde qui ne peuvent pas se payer le luxe de choisir le mode d'alimentation de leurs véhicules.
Dans son enthousiasme naissant pour la lutte contre le changement climatique qui anime l’Occident, l'AIE ne devrait pas tourner le dos à tous ces gens.
- Frank Kane est un journaliste d'affaires primé basé à Dubaï.
Twitter: @frankkanedubai
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com