Alors que huit étudiants du royaume d’Arabie saoudite se distinguaient durant l’Olympiade de physique nordique-baltique 2021 avec une médaille d’or, deux d’argent et deux de bronze, un cataclysme a secoué le monde olympique près de 8 600 kilomètres plus loin. En neuf jours, 350 000 Japonais ont signé une pétition qui demande l’annulation des Jeux olympiques de Tokyo 2020.
On ne peut comparer deux compétitions que tout oppose, mais on doit s’interroger sur leur dimension symbolique, leur «mythologie», comme l’aurait dit Roland Barthes. D’un côté, les contraintes sanitaires amènent la tenue en ligne d’un concours régional, initialement réservé à quatre pays baltiques, et lui donnent une accessibilité et une visibilité internationales. De l’autre, ces mêmes contraintes fragilisent le plus grand événement multisport international. Alors, allons-nous assister à une annulation des Jeux de Tokyo? Partageons-nous les craintes des Japonais?
Cette pétition intervient dans un contexte de hausse des cas de Covid-19 au Japon – avec un faible taux de vaccination et la propagation de nouveaux variants – et d’un état d’urgence à Tokyo ainsi que dans plusieurs préfectures qui devaient accueillir des camps d’entraînement. Ensuite, elle s’inscrit dans un contexte très politique. Elle fut initiée par l’avocat Kenji Utsunomiya, candidat malheureux au poste de gouverneur de Tokyo l’année dernière, qui déclara: «Les Jeux ne devraient avoir lieu que si le Japon peut accueillir des athlètes et des visiteurs étrangers sans restriction. Nous ne sommes pas dans cette situation, et donc les Jeux devraient être annulés.»
Intelligemment, il soutient la valeur et l’ADN des Jeux, leur dimension universelle et l’hospitalité du territoire-hôte. Mais il demande que les ressources médicales soient réservées aux besoins de la population locale et non à ceux des Gaikokujin («étrangers») de la famille olympique. 70% de la population japonaise s’opposent maintenant aux Jeux olympiques de juillet 2021.
Quant au Comité international olympique (CIO), il reste fermé.
Juridiquement, le contrat de ville-hôte comporte bien un article sur une annulation potentielle, mais, à part les cas de «guerre ou désordre civil», il est de son seul ressort de décider de l’annulation s’«il a des motifs raisonnables de croire, à sa seule discrétion, que la sécurité des participants aux Jeux serait sérieusement menacée ou compromise pour quelque raison que ce soit».
Il est en pleine conformité avec la charte olympique, qui stipule qu’il doit assurer la santé des athlètes et promouvoir des sports sûrs. Les signatures récentes avec le gouvernement chinois, puis avec Pfizer, garantissant la mise à disposition de vaccins pour les athlètes et personnels techniques, le CIO s’est donc mobilisé pour «assurer la santé des athlètes».
En conséquence, si le Japon devait annuler unilatéralement le contrat, les risques et les pertes financières incomberaient alors au comité d’organisation local.
Sous la pression nationale, le couple CIO-gouvernement japonais doit donc œuvrer de conserve en termes de communication et d’opérations. Il lui faut s’adapter tout en restant dans le cadre de son contrat. C’est une des grandes forces du CIO: depuis le président Samaranch, puis sous la conduite du président Rogge et du directeur exécutif des Jeux, Gilbert Felli, les équipes olympiques ont développé des compétences uniques pour soutenir les comités d’organisation (Cojo). Et elles ont souscrit des assurances sophistiquées.
Notons toutefois que, si ces assurances couvrent les dépenses concrètes des organisateurs, des sponsors, des diffuseurs et certaines parties prenantes ne soutiendront pas, quant à elles, les coûts ou les manques à gagner de toutes les fédérations internationales et des comités nationaux olympiques ni ceux qui sont liés aux investissements du territoire-hôte: infrastructures, rénovations ou capacités hôtelières…
Bis repetita placent? Les Jeux de 1940 devaient se tenir à Tokyo. Ils furent annulés pour cause de guerre. Les engagements de l’empire du Soleil levant aux côtés de l’Allemagne nazie amenèrent par la suite les membres du CIO à privilégier Londres pour la première édition après-guerre, en 1948. Les premiers Jeux à Tokyo n’eurent lieu qu’en 1964 et ils célébrèrent la reconnaissance du retour du Japon sur la scène internationale. Pour 2020, il y avait aussi une signification particulière: après une longue stagnation économique, le tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima, le retour de la flamme olympique devait consacrer la résilience et la force du Japon.
Nous l’avons compris, derrière la question de la suppression des Jeux de Tokyo, c’est la pérennisation de la famille olympique et donc également l’avenir des méga-événements sportifs qui sont posés.
Le conservatisme de la société japonaise, sa relation au sport sont liés à son histoire, son insularité, mais aussi à sa démographie. L’âge médian au Japon est actuellement de 48,4 ans. Il est donc normal de comprendre le déplacement du débat sur le terrain des valeurs de protection, de conservation, voire de prudence. A contrario, des pays jeunes (l’âge médian est de 31,8 en Arabie saoudite et de 32,6 aux Émirats arabes unis), voire des pays intermédiaires (38,4 en Chine, 39,6 en Russie ou 42,3 en France) ont naturellement une attitude plus optimiste et plus engagée vis-à-vis du sport.
La crise sociale et sociétale de la pandémie est vécue différemment en fonction de nos psychés nationales et de nos perceptions du monde, donc de nos priorités. L’annulation des Jeux de Tokyo ne sera pas fatale à la Coupe du monde Qatar 2022, aux Jeux d’hiver de Pékin 2022, à la FISU 2023 d’Ekaterinbourg [Universiade d’été, NDLR] ou à Paris 2024. Notre humanité en a besoin: le sport ne nous fait pas vivre plus vieux, mais nous fait vivre plus jeunes.
Philippe Blanchard a été Directeur au Comité International Olympique puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation et des sports et esports du futur.
Twitter : @blanchard100
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français