Marine Le Pen présidente?

La présidente du parti d'extrême droite français Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, discute avec des journalistes à La Trinité-sur-Mer, le 6 mai 2021, lors d'une visite de campagne avant les élections régionales de juin 2021 dans la région Bretagne. (Sébastien SALOM-GOMIS / AFP)
La présidente du parti d'extrême droite français Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, discute avec des journalistes à La Trinité-sur-Mer, le 6 mai 2021, lors d'une visite de campagne avant les élections régionales de juin 2021 dans la région Bretagne. (Sébastien SALOM-GOMIS / AFP)
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Publié le Vendredi 07 mai 2021

Marine Le Pen présidente?

Marine Le Pen présidente?
  • Le Rassemblement national, formation d’extrême droite dirigée par Marine le Pen, est devenu une force politique incontournable
  • Comment ne pas penser que Marine Le Pen a ressenti une immense satisfaction devant ces membres de «la Grande Muette» qui décident de rompre le silence que le devoir leur impose?

Depuis plusieurs mois, en France, les événements se succèdent et conduisent au même constat: le Rassemblement national, formation d’extrême droite dirigée par Marine le Pen, est devenu une force politique incontournable.

Prenons les événements qui se sont succédé ces dernières semaines sans ordre chronologique précis; en effet, ce n’est pas la chronologie qui importe ici, mais l’accumulation des épisodes.

Le 21 avril dernier, le magazine Valeurs actuelles publie une tribune, signée par une vingtaine de militaires français, essentiellement des généraux, qui dénonce «un délitement qui frappe notre patrie» à travers «un certain antiracisme» ainsi que «l’islamisme et les hordes de banlieues».

«Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre dans la société», ajoutent les auteurs de cette tribune, ce qui entraînera «au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active [armée active, NDLR]» – en d’autres termes, un putsch militaire.

Comment ne pas penser qu’elle a ressenti une immense satisfaction devant ces membres de «la Grande Muette» qui décident de rompre le silence que le devoir leur impose pour reprendre à leur compte les thèses qu’elle défend?

 

Arlette Khouri

Comment ne pas penser que cette tribune, fermement condamnée par la ministre des Armées, Florence Parly; par le chef d’État-Major des armées, François Lecointre; et par le Premier ministre, Jean Castex, constitue du pain béni pour Marine Le Pen?

Comment ne pas penser qu’elle a ressenti une immense satisfaction devant ces membres de «la Grande Muette» qui décident de rompre le silence que le devoir leur impose pour reprendre à leur compte les thèses qu’elle défend?

La lâcheté des gouvernants et les dangers exacerbés qui guetteraient la France tandis que ses dirigeants angéliques se gargarisent de slogans antiracistes et humanitaires ont toujours été ses thèmes de prédilection pour haranguer les Français et provoquer leur sursaut.

Comment ne pas jubiler quand des militaires, même si parmi eux beaucoup sont à la retraite, défient leur hiérarchie et qu’ils essuient des sanctions pour avoir mis en garde, tout comme elle, contre l’islamisme et les hordes d’immigrés qui essaiment dans les banlieues françaises?

Grâce à cette tribune, Marine Le Pen a très clairement marqué un point, comme le montrent également les réactions des différentes forces politiques.

Du côté de la droite républicaine, ce n’est guère mieux. L’ancienne garde des Sceaux et actuelle députée au Parlement européen Rachida Dati a tenu à rejouer une partition chère à de nombreuses personnalités de son parti, Les Républicains.

Arlette Khouri

Faisant preuve d’une cécité irresponsable, Jean-Luc Mélenchon a pris pour cible le président de la République, Emmanuel Macron. Pour le dirigeant de la France insoumise – formation d’extrême gauche –, la tribune des militaires est une nouvelle preuve de la nécessité de congédier Macron, car ce n’est pas l’extrême droite qui est dangereuse, selon lui, mais le président, parce qu’il se montre «complaisant» avec elle.

Du côté de la droite républicaine, ce n’est guère mieux. L’ancienne garde des Sceaux et actuelle députée au Parlement européen Rachida Dati a tenu à rejouer une partition chère à de nombreuses personnalités de son parti, Les Républicains.

Il fallait visiblement empêcher Le Pen d’accaparer les retombées de la tribune des militaires auprès de l’opinion publique: voilà qui amène la députée à déclarer que le contenu de la tribune «est une réalité».

Pour elle, la France est un pays «en proie à une guérilla urbaine», menacé par le terrorisme; une partie de ses citoyens se disloqueraient de la société.

Il s’agit là du vieil exercice pratiqué par la droite depuis des années, et dont les conséquences sont la banalisation du discours d’extrême droite et le renforcement de son assise populaire.

À tous ces points marqués par Marine Le Pen s’ajoute le résultat d’un sondage effectué par l’institut Harris qui indique que la tribune est soutenue par 58% des personnes interrogées.

Toujours au mois d’avril a lieu ce drame affligeant et choquant: un islamiste d’origine tunisienne assassine à coups de couteau la policière et mère de famille Stéphanie Monfermé à l’entrée du commissariat de Rambouillet, où elle travaillait.

Quelques jours plus tard, comme Rachida Dati, avec plus de doigté toutefois, la présidente du conseil régional d’Île-de-France, Valérie Pécresse, officialise sa candidature aux élections régionales du mois de juin. Au lendemain de son annonce, la femme politique, figure du parti Les Républicains, choisit d’aller au contact des forces de l’ordre.

Arlette Khouri

La nation est une nouvelle fois sous le choc après cet attentat qui a visé une représentante des forces de l’ordre; et cet acte odieux ne peut qu’apporter de l’eau au moulin du Rassemblement national.

Quelques jours plus tard, comme Rachida Dati, avec plus de doigté toutefois, la présidente du conseil régional d’Île-de-France, Valérie Pécresse, officialise sa candidature aux élections régionales du mois de juin.

Au lendemain de son annonce, la femme politique, figure du parti Les Républicains, choisit d’aller au contact des forces de l’ordre. Il s’agit, assure-t-elle, d’un choix symbolique, car elle a l’intention de prendre le sujet de la sécurité à bras le corps. Difficile, là encore, de ne pas percevoir l’impact de Le Pen en arrière-plan.

Par ailleurs, à bientôt un an de la prochaine élection présidentielle, la droite comme la gauche peinent à s’unir. En effet, les divisions semblent aussi nombreuses que les personnalités qui se considèrent comme présidentiables…

Pendant ce temps, Le Pen creuse son sillon sans grand effort, profitant d’une configuration sociale, économique, sécuritaire et même sanitaire favorable à ses thèses nationalistes.

L’étude menée par l’Institut Jean-Jaurès et par le quotidien Le Figaro indique clairement la croissance progressive de l’électorat lepéniste. Cette tendance est particulièrement sensible dans les milieux ouvriers, qui étaient autrefois le vivier de la gauche et de l’extrême gauche, ainsi que dans la tranche d’âge allant de 25 à 64 ans.

Élément non négligeable, la progression est nette parmi l’électorat féminin: c’est là la conséquence de la banalisation du mouvement ainsi que de la disparition de la dimension machiste qui émanait de son père fondateur, Jean-Marie Le Pen.

Cette tendance se vérifie dans plusieurs sondages successifs.

Le second tour de l’élection présidentielle de 2022 se jouera, comme en 2017, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Certains sondages les donnent au coude à coude, et d’autres indiquent que Le Pen devancera Macron au premier tour.

Les électeurs de gauche comme de droite sont de moins en moins enclins à voter par défaut pour faire barrage à l’extrême droite. La position de beaucoup d’entre eux pourrait se résumer ainsi: «Marine Le Pen présidente en 2022… et alors?».