Vendredi 14 octobre, la vie de Lola, une adolescente de 12 ans, s’est arrêtée net sur le chemin qui la menait de son collège à son domicile de la résidence Manin, dans le XIXe arrondissement de Paris.
Vingt-quatre heures plus tard, la France découvrait avec effroi le portrait de cette petite fille au sourire radieux retrouvée morte dans une malle au pied de l’immeuble où elle résidait avec sa famille.
Elle a été violée, torturée puis tuée. Une fin de vie déchirante, abominable. Un crime à la fois odieux, incompréhensible et injustifiable.
Branle-bas de combat dans les rédactions: la machine médiatique s’est emballée autour de ce fait divers glaçant. Les détails sordides s’enchaînent: avant d’être retrouvé dans la cour de l’immeuble où habitait la jeune fille, son corps inerte a été baladé par une jeune femme pendant presque vingt-quatre heures dans plusieurs endroits de la capitale.
Enseveli de tissu et aspergé d’un liquide qui pourrait être de l’eau de Javel, le corps de Lola portait de multiples lésions sur le visage, sur le dos, et de larges entrailles au niveau du cou.
Le visage de l’adolescente était scotché et des inscriptions en rouge figuraient sur ses pieds, notamment un 0 et un 1.
Ayant exploité les bandes de vidéosurveillance de la résidence Manin, la police a rapidement interpellé la jeune femme, qui a été placée en garde à vue.
Selon les détails donnés par la procureure de Paris, Laure Beccuau, Lola aurait croisé la jeune femme dans l’entrée de l’immeuble. Cette dernière lui aurait demandé de la suivre dans l’ascenseur et de l’accompagner jusqu’au 6e étage, où elle était hébergée par sa sœur.
Elle dit ensuite lui avoir «imposé de se doucher avant de commettre sur elle des atteintes à caractère sexuel et des violences ayant entraîné la mort de l’adolescente».
L’horreur et l’émotion sont à leur comble. Des anonymes défilent devant la résidence Manin pour se recueillir, déposer une gerbe de fleurs ou un mot de compassion pour la petite Lola et sa famille.
Cela aurait pu être la fin de cet épisode d’épouvante, d’autant plus que la jeune femme interpellée a reconnu les faits; elle devra être soumise à une expertise psychiatrique approfondie avant d’être inculpée.
Exploitation politique
C’était sans compter avec certains politiciens qui ignorent tout de la décence et qui se sont saisis de cette tragédie macabre, faisant toutes sortes de raccourcis pour la transformer en affaire politique.
Dahbia B., âgée de 24 ans et présumée meurtrière de Lola, est algérienne. Elle n’a plus de titre de séjour en France et elle est sous le coup d’une décision d’expulsion du territoire français.
Tous les ingrédients sont donc réunis pour que certains hommes politiques – au premier rang desquels Éric Zemmour, candidat malheureux lors de la dernière élection présidentielle – s’emploient à recycler leur discours haineux.
Faisant abstraction de la douleur de la famille de Lola, Zemmour clame haut et fort que son meurtre est un «francocide», un crime «commis contre un Français par un étranger».
Ce ne serait donc pas un hasard malheureux si Lola a croisé le chemin de sa meurtrière, qui, avant d’être une Algérienne sans papiers, est une délinquante.
Mais, selon Zemmour, ce serait l’Algérienne et non la délinquante qui, sous l’accès d’une poussée de folie meurtrière dont les experts cherchent à comprendre le mécanisme, a tué l’adolescente.
Pour cet homme politique en panne de popularité depuis sa cinglante défaite, l’occasion était idéale pour brandir à nouveau ses thèses xénophobes selon lesquelles que les Français seraient tous exposés au danger d’une immigration galopante.
De son point de vue, le meurtre de Lola n’est pas un acte commis par un individu isolé, mais l’expression d’un danger national, incarné par les immigrés, qu’il faudrait à tout prix endiguer.
Ignorant les appels de la famille de la victime à éviter d’instrumentaliser le meurtre à des fins politiques, il s’est exprimé dans les médias et sur les réseaux sociaux sans la moindre retenue. Il a même appelé à un rassemblement à Paris autour de sa personne en hommage à l’adolescente.
Dahbia B. est la présumée meurtrière qui a ôté la vie à Lola, mais les politiciens impliqués dans la récupération politique de son meurtre ont volé à sa famille son deuil, son chagrin et sa douleur. - Arlette Khouri
Pendant cette manifestation, Zemmour et ses acolytes ont scandé sans vergogne ce slogan qui résume leur idéologie simpliste: «Migrants: assassins».
L’extrême droite et même une frange de la droite ne sont pas en reste. Bien qu’elles se soient désolidarisées de la thèse du «francocide» et qu’elles aient boudé le rassemblement organisé par Zemmour, elles ont réussi à se servir de ce drame d’une manière tout aussi nauséabonde.
Racisme décomplexé
Jordan Bardella, président par intérim du Rassemblement national, a vu dans le meurtre de la fillette une opportunité pour exprimer un racisme décomplexé.
Lola était «française et chrétienne», ont ainsi prétendu les figures de proue de l’extrême droite. Une telle affirmation a pour but d’attiser la haine en tirant profit du destin funeste d’une jeune adolescente.
À droite, les critiques émises par certaines personnalités républicaines à l’encontre de l’équipe au pouvoir sont également simplistes, mais leur tournure est plus politique.
Sur un ton dégagé, Bruno Retailleau, sénateur du parti Les Républicains, affirme que «le désordre migratoire peut tuer» et pousse plus loin son raisonnement en martelant que «si cette Algérienne n’avait pas été sur le sol français, Lola serait encore en vie».
Enfonçant le clou du laxisme dont ferait preuve l’exécutif pour expulser les immigrés en situation irrégulière, Retailleau s’est dit prêt à déposer une proposition de loi pour sanctionner ce qu’il a appelé «la non-assistance à Français en danger».
Dahbia B. est la présumée meurtrière qui a ôté la vie à Lola, mais les politiciens impliqués dans la récupération politique de son meurtre ont volé à sa famille son deuil, son chagrin et sa douleur.
Pendant qu’ils déballaient leur venin sur la place publique, les membres de la famille de la victime se sont retranchés dans leur village de Fouquereuil, dans le Pas-de-Calais, où ils ont coupé leurs téléphones portables et ont arrêté de regarder la télévision.
Arlette Khoury vit et travaille à Paris depuis 1989.
Pendant vingt-sept ans, elle a été journaliste au bureau parisien d’Al-Hayat.
TWITTER : @khouriarlette
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.