Quel que soit le résultat lors de la prochaine élection présidentielle américaine, il semble que l'un des héritages durables de l'ère Trump sera le recul du dollar comme principale monnaie d’échange internationale.
Si le candidat démocrate Joe Biden gagne l’élection - comme les sondages l'indiquent de plus en plus - le déclin du billet vert autrefois fort pourrait ralentir quelque peu, mais il s’accélérera si le président Donald Trump remporte l’élection. Dans les deux cas de figure, la devise la plus utilisée dans le monde aura subi un grand préjudice.
Cela ne veut pas dire que le dollar cessera d'être la monnaie de réserve non officielle, ni que de nombreux pays - dont la plupart des États du Golfe - trouveront de bonnes raisons pour ne plus arrimer leur monnaie au dollar. Cela ne signifie pas non plus que la dépréciation de la monnaie, qui a perdu de sa valeur par rapport aux autres monnaies ces derniers mois, est assez rapide pour être alarmante.
Cependant, les grandes puissances commerciales du monde - en particulier la Chine, le Japon, l'Inde et la Russie - trouveront progressivement d'autres canaux financiers à travers lesquels réaliser leurs transactions. Le processus a déjà commencé.
Le journal japonais bien connu Nikkei Asia Review a récemment publié une étude se basant sur une analyse de documents de la Banque centrale et des autorités douanières russes, révélant qu’au premier trimestre 2020, le montant des échanges entre la Russie et la Chine en dollars était tombé pour la première fois en dessous de la barre des 50%.
En effet, 46% des échanges se sont faits au moyen de la devise américaine, alors que l’euro a atteint un niveau record de 30%, et que les devises russe et chinoise ont atteint le chiffre également record de 24%. En 2015, 90% des échanges entre ces pays avaient été libellés en dollars américains, a pu constater Nikkei.
La Chine et la Russie contre-attaquent
Le déclin du dollar a commencé en 2014, avant l'élection de Trump, lorsque la Russie et la Chine ont signé un pacte de coopération économique, quand Moscou s’est détournée de l’Occident, à la suite de sa réaction suite à l’annexion de la Crimée. Cette année-là, les deux pays ont signé un accord d'échange de devises qui a permis à chacun d’eux d’utiliser les devises de l’autre, sans avoir à les acheter (en dollars) sur les marchés de change extérieurs.
Depuis 2016, la Chine - victime des surtaxes américaines sur les importations imposées par Donald Trump dans le cadre d’une guerre commerciale lancée contre Pékin - a trouvé des intérêts convergents croissants avec la Russie. L'accord de coopération a ainsi été prolongé en 2017, et doit être renouvelé cette année. Il semble à peu près certain qu'il sera reconduit, voire même étendu.
En 2019, lorsque le Président Chinois Xi Jinping s'est rendu à Moscou, il a signé un accord avec les Russes pour que les deux pays effectuent leurs échanges commerciaux sans avoir recours au dollar. Les deux pays ont aussi mis en place un système de virement alternatif indépendant du système SWIFT américain.
Ce n'est pas seulement l'application de tarifs douaniers élevés et la mise en place de sanctions américaines qui ont de plus en plus indisposé la Chine. Les Etats-Unis se sont également servis de leur domination sur le marché du dollar pour punir des individus et des entreprises pour des raisons jugées politiques par la Chine, mais également par la Russie, ce qui a contribué à accroître leur ressentiment.
La position dominante du dollar dans le monde nécessite que toutes les transactions internationales, passent à un moment ou à un autre, par les autorités bancaires américaines. Cela a permis aux autorités américaines de fermer des comptes bancaires et de blacklister des hommes d’affaires et des entreprises qui leur déplaisaient.
La Russie et la Chine ont décidé qu'il était hors de question que la Réserve Fédérale américaine soit impliquée dans le financement d'une expédition de marchandises à travers la Sibérie, un point de vue que l’on peut comprendre.
Pour le moment, le billet vert devra faire face aux réticences de Moscou et de Pékin. Les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine sont en pleine expansion, mais ils ne sont pas encore assez substantiels à un niveau macroéconomique pour peser sur la position dominante du dollar.
Mais si d'autres pays se joignaient à eux, cela pourrait produire un effet boule de neige. La plupart des gouvernements européens n'ont pas beaucoup de temps à consacrer à Trump, et pourraient chercher à capitaliser sur les difficultés du dollar pour renforcer la position internationale de l'euro.
Par moments, des voix protestataires se sont fait entendre au Moyen-Orient à propos des prix du marché mondial du pétrole libellé en dollars américains, mais la peur d’irriter les alliés américains sont trop fortes pour que les responsables politiques de la région se laissent tenter par un important marché alternatif.
Malgré le pacte financier passé entre la Russie et la Chine, il n’existe pas de coordination concertée au niveau mondial pour se débarrasser du dollar - juste une méfiance croissante face à un président imprévisible qui utilise la devise américaine comme une arme.
Frank Kane est journaliste économique basé à Dubaï.
Twitter : @frankkanedubai
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com.