BEYROUTH: L'ambassadrice des États-Unis au Liban, Dorothy Shea, a rencontré mercredi le ministre libanais des Affaires étrangères, Nassif Hitti, alors que le pays évaluait les implications de la loi César du gouvernement américain sur les entreprises libanaises opérant en Syrie. La Loi César vise les personnes et les entreprises entretenant des relations d’affaire avec le régime du président syrien Bachar al-Assad.
Des rumeurs ont circulé au Liban au sujet d’une annexe de la loi César, contenant une liste d'entités libanaises susceptibles de subir des sanctions pour leur coopération avec le régime syrien.
Il n’est pas clair comment cette loi affectera la coordination entre les militaires libanais et syriens, les deux États partageant une frontière qui s'étend sur près de 375 kilomètres. Le futur rôle du Conseil suprême libano-syrien, chargé de la coordination des relations entre les gouvernements des deux pays, n'est pas clair non plus.
Le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait appelé le peuple libanais « à ne pas se soumettre à cette loi qui vise à affamer le Liban et la Syrie ». Lors d’un discours, il a déclaré : « La loi César nuit au Liban peut-être plus qu'elle ne nuit à la Syrie. La Syrie est notre seul passage vers le monde, mais les Américains essaient d'insinuer que notre seul corridor terrestre est Israël. ».
« À ceux qui nous imposeront de choisir entre tuer au moyen d’armes ou mourir de faim, nous tiendrons nos armes, nous ne mourrons pas de faim et nous les tuerons », a par ailleurs ajouté M. Nasrallah.
Selon un expert juridique libanais contacté par Arab News, la loi César devrait faire l’objet d'un examen minutieux afin de connaître avec certitude son impact sur le Liban, ajoutant qu'elle signifiait pour les États-Unis la possibilité d’imposer des sanctions. « La question de la souveraineté n'est pas sur la table et celui qui décide est celui qui exécute. Nous devons examiner cette question en termes réels », a déclaré l'expert, sous réserve d'anonymat.
Le directeur des programmes du laboratoire PeaceTech aux États-Unis, Nizar Zakka, qui a travaillé sur la loi César, a déclaré pour sa part à Arab News que celle-ci protégeait le Liban. « La loi ne prévoit pas de sanctions pour les personnalités libanaises, comme le laisse entendre la rumeur, a-t-il précisé. Il est vrai que la loi César n'est pas un droit international, mais si nous observons les sanctions contre l'Iran, qui sont américaines et pas internationales, nous pouvons avoir une idée de l'ampleur des dommages que le Liban peut connaître, si cette loi est ignorée. »
Zakka, arrêté en 2015 par l'Iran pour espionnage et libéré en 2019, a indiqué : « La loi César s'oppose aux crimes contre l'humanité, le genre de crimes dont on n’a été témoin que pendant la Seconde Guerre mondiale et en Syrie. Cette question est sensible. La loi pénalise tous ceux qui traitent avec le gouvernement parce qu'elle les considère comme les partenaires du gouvernement. Nous, au Liban, n'avons jamais tiré avantage d'un quelconque accord conclu par le régime syrien. Ce sont des accords à sens unique mais, dorénavant, le peuple libanais va bénéficier de la loi César et les accords à sens unique vont cesser. »
« La contrebande du Liban vers la Syrie ne profite pas au peuple syrien, mais plutôt au régime syrien, a-t-il ajouté. Ils veulent que nous restions leurs otages, alors que la loi nous libère et libère tous ceux qui ne veulent pas coopérer avec le régime syrien. J'ai travaillé pour modifier une grande partie de la loi César dans l'intérêt du Liban. J'ai été lésé par l'Iran où j’ai été retenu en otage pendant quatre ans, et je ne veux qu'aucun autre Libanais soit lésé. C'est ma mission ».
Zakka a souligné également que cette loi « n'entraverait pas la coopération en matière de sécurité, ni l’acheminement de l'électricité de la Syrie. Mais tout accord entre un Libanais et le régime syrien ne passera pas. Il y a une différence entre le pays et le régime. Au Liban, ils essaient de faire croire que la loi vise la Syrie. C'est une erreur, elle vise le régime syrien Assad. Toute déformation de la loi est interdite ».
Mercredi, le président Michel Aoun a déclaré que « les services de sécurité et les douanes ont pris des mesures supplémentaires pour arrêter toutes les opérations de contrebande, à tous les niveaux, que ce soit au niveau des passages terrestres ou maritimes. »
Le Liban est confronté à grande échelle à la contrebande de diverses marchandises à destination de la Syrie, dont les plus sensibles sont les dollars et les produits subventionnés par le gouvernement libanais, comme la farine et le diesel, alors que le Liban subit une crise financière et économique qui le mène au bord de la faillite.
Pour la deuxième journée consécutive, les bureaux de change autorisés à échanger des dollars de la Banque centrale libanaise sont bondés de citoyens désireux de les acheter, après l’envoi par la Banque centrale de dollars en espèces à un groupe restreints de bureaux. On ne sait pas si ces billets, achetés à bas prix dans les comptoirs de change, ont ensuite été vendus sur le marché noir à un taux plus élevé, ou s'ils ont été transférés vers la Syrie.
L'analyste économique Violette Balaa a prévenu dans une entrevue accordée à Arab News que « la politique du gouvernement qui consiste à demander aux Libanais d’injecter des billets en dollars sur le marché n'est pas judicieuse ». « Les réserves de la Banque centrale s'épuisent en vain, avec le transfert continu de billets de dollars vers la Syrie », a-t-elle noté.
Balaa a appelé le système judiciaire « à prendre des mesures rapides pour contrôler le marché noir et fermer les passages illégaux afin d’arrêter la contrebande de fonds ». Elle a également averti que « les répercussions de la loi César coûteront cher à l'économie libanaise et à son passif. La politique de neutralité est aujourd'hui plus que jamais nécessaire pour réduire les implications de cette loi, tout comme la Jordanie l'a fait lorsque des sanctions ont été imposées à l'Irak ».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com