Samedi, les juifs du monde entier commémoreront l'Exode – la fin de l'esclavage des Israélites – lorsqu'ils célèbreront la fête de la Pâque, s'abstenant alors de manger du pain et se nourrissant de racines amères, en hommage à la douleur de leurs ancêtres. Deux semaines plus tard débutera pour les musulmans la célébration du Ramadan, une période d’un mois où ces derniers observent un jeûne et pendant laquelle la dévotion et la réflexion occupent une place essentielle.
Ces deux événements sacrés ont toujours reposé sur l'empathie, concentrant notre attention sur ceux qui ont besoin de notre compréhension affective et de notre générosité. Mais, à bien des égards, ces commémorations parallèles seront cette année plus étroitement liées que jamais. Au Moyen-Orient, le regain d’espoir suscité par les récents accords d'Abraham entre Israël et quatre nations dirigées par les musulmans est palpable. Et, même aux États-Unis, il est difficile de ne pas ressentir un nouvel esprit d'unité entre juifs et musulmans.
Les musulmans et les juifs se sont réjouis ensemble de la fin de l'«interdiction musulmane» imposée par l'ancien président Donald Trump qui empêchait les voyageurs de plusieurs pays à majorité musulmane d'entrer en Amérique. Cette stratégie cynique consistant à choisir les mots «interdiction de voyager» pour définir sa politique a révélé la nature ouvertement antimusulmane de l’ancien président, ainsi que sa volonté malheureuse d’institutionnaliser l'islamophobie et la xénophobie aux États-Unis.
Au-delà des musulmans eux-mêmes, les juifs se sont opposés à cette interdiction, plus vigoureusement que n'importe quelle communauté religieuse en Amérique. Un grand nombre d’entre eux se sont ainsi associés à des manifestations spontanées, comme le rassemblement de 2017, «Aujourd'hui, je suis musulman aussi», que j'ai organisé dans le quartier de Times Square, à New York. Des rabbins ont été arrêtés pour avoir manifesté devant des propriétés appartenant à Trump et des organisations de défense juives ont fait l’objet de poursuites judiciaires parce qu’elles s’étaient battues pour que des musulmans étrangers puissent visiter ce pays.
En quatre ans, l'interdiction a eu pour effet de séparer de leurs proches des dizaines de milliers de conjoints, d’enfants, de grands-parents, ainsi que d’autres membres de la famille. Beaucoup d'autres n'ont pu se mettre à l’abri en rejoignant nos côtes pour fuir la violence ou pour échapper à la persécution dans leurs propres communautés. Et cette interdiction venait rappeler de manière fâcheuse et insistante à des millions d'Américains musulmans que les membres de leur propre communauté n'étaient pas bien accueillis par le gouvernement américain et que leurs propres droits fondamentaux en tant que citoyens étaient menacés.
Dans sa dureté et sa cruauté, cette interdiction représentait tout le contraire de l'empathie que nous, en tant que juifs et musulmans, sommes chargés de véhiculer – tout particulièrement pendant la Pâque et le Ramadan. Pendant le Ramadan, les musulmans jeûnent tous les jours du lever au coucher du soleil, essentiellement pour consacrer leurs prières à la douleur des personnes qui souffrent, comme ces réfugiés, qui ont besoin de notre aide.
Lors de la Pâque, les juifs sont également invités à faire preuve d'empathie envers les personnes qui subissent l’oppression, quelle que soit leur confession ou leur ethnie. Dans la Torah, Dieu commande au peuple juif: «Mais l'étranger qui habite parmi vous vous sera comme celui qui est né parmi vous, et vous l'aimerez comme vous-mêmes; car vous avez été étrangers au pays d’Égypte.»
Alors que nous venons de célébrer cette année 2021 avec nos amis et nos familles, aux États-Unis, juifs et musulmans peuvent honorer le triomphe de notre cause commune. Lors de l’élection présidentielle de 2020, en effet, dans nos deux communautés, plus de deux personnes sur trois ont voté pour Joe Biden. Les sondages et quelques indices anecdotiques montrent que bon nombre des mêmes valeurs fondamentales nous ont conduits vers un candidat qui a promis de placer l'empathie au cœur de sa vision politique. En annulant l'«interdiction musulmane» et en inversant le cours d'autres contraintes draconiennes en matière d'immigration, Biden a tenu ses promesses.
En voyageant le mois dernier dans la péninsule Arabique et dans d’autres pays musulmans, j’ai rencontré des dirigeants et des responsables étrangers déconcertés par les mauvais résultats de Trump avec les juifs, après qu’il eut pourtant affiché un soutien sans précédent à Israël. Comme je le leur ai expliqué, le penchant de Trump pour les politiques xénophobes fondées sur la peur des musulmans et des autres groupes minoritaires – y compris les Afro-Américains, les Asiatiques et les Latinos – a profondément perturbé la communauté juive américaine. L'histoire enseigne aux juifs qu'ils ont besoin d'un environnement ouvert, pluraliste et démocratique pour prospérer.
Lorsque les juifs américains regardent à la télévision des reportages sur les réfugiés syriens ou qu’ils découvrent la situation des musulmans rohingyas et des Ouïghours chinois, ces images ne nous apparaissent pas seulement à travers le prisme de notre persécution biblique et de notre exode. Nous réfléchissons aux horreurs des années 1930 et 1940, lorsque le monde – y compris l'Amérique – a honteusement fermé ses portes aux juifs européens désespérés qui cherchaient à échapper à la terreur nazie. Partout où les musulmans souffrent dans le monde aujourd'hui, les juifs ressentent une profonde solidarité et éprouvent la détermination d’utiliser leur voix pour parler au nom de ceux qui sont réduits au silence, soumis à des pressions, menacés, ou pire encore.
Alors que nous venons de célébrer cette année 2021 avec nos amis et nos familles, aux États-Unis, juifs et musulmans peuvent honorer le triomphe de notre cause commune.
Le rabbin Marc Schneier
Aujourd'hui, les États-Unis ont la chance d'avoir un président attaché aux principes fondamentaux de la démocratie et à l'empathie humaine. Ayant été personnellement touché par la tragédie tout au long de sa vie, Biden possède la capacité particulière de ressentir la douleur des autres et de leur apporter du réconfort.
Je suis convaincu que le président Biden puisera dans cette empathie pour faire avancer la paix entre Israéliens et Palestiniens, en s'appuyant sur le succès de Trump et de son gendre, Jared Kushner, que constituent les accords d'Abraham. Au milieu de tant d'espoir au Moyen-Orient et de tant de signes qui montrent clairement que les musulmans et les juifs écrivent une nouvelle page de tolérance et de compréhension, ce conflit s’impose toujours un défi régional que nous nous devons de relever et de surmonter. Biden a compris que la réconciliation israélo-palestinienne était essentielle pour exploiter pleinement le potentiel d'un partenariat mondial juif-musulman.
Nous n'en sommes certes pas encore là, mais nos deux communautés sont allées très loin. Dans cette période de Pâque et ce Ramadan à venir, j'espère que les juifs et les musulmans pourront renouveler ensemble notre engagement à reconnaître et à intérioriser la souffrance de l'autre, dans toute sa diversité. Et nous devons continuer d’accomplir le devoir qui est le nôtre, en tant que peuples de foi: offrir réconfort et abri à ceux qui en ont besoin, et être véritablement les gardiens de nos frères et sœurs.
Le rabbin Marc Schneier est président de la Fondation pour la compréhension ethnique. Il est aussi le coauteur, avec l'imam Shamsi Ali, de l’ouvrage Fils d’Abraham: une conversation franche sur les problèmes qui divisent et unissent les juifs et les musulmans.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com