Vacciner un athlète, c’est soutenir un héros ?

En choisissant la collaboration internationale, la Chine se démarque des États-Unis qui ont fait de leur propre vaccination un axe de politique exclusivement de réunification domestique (Photo, AFP).
En choisissant la collaboration internationale, la Chine se démarque des États-Unis qui ont fait de leur propre vaccination un axe de politique exclusivement de réunification domestique (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Mardi 16 mars 2021

Vacciner un athlète, c’est soutenir un héros ?

Vacciner un athlète, c’est soutenir un héros ?
  • L’espace de compétition des athlètes a toujours été doublé d’un terrain de confrontation pacifique entre les pays. C’est le concept même de soft power
  • Pour le philosophe chinois comme pour le dirigeant politique, l’action par le simple fait qu’elle soit saillante, peut porter son contraire et pousser à l’inverse de ce que l’on recherche

Solidarité exemplaire et sens des valeurs pour les uns, coup de marketing exceptionnel et opportunisme pour les autres. Alors même qu’elle fait l’objet d’attaques sur le traitement réservés aux communautés Ouïghours, la République populaire de Chine a volé au secours des Jeux de Tokyo et du CIO en s’engageant à fournir des vaccins à tout athlète participant aux Jeux de Tokyo cet été, et aux Jeux d’hiver de 2022 à Beijing. Intéressant de constater que cette annonce fait écho à la récente déclaration du Comité national olympique et paralympique américain (USOPC) qui, le 10 mars dernier, avait annoncé que les athlètes américains, déjà sélectionnés ou potentiellement sélectionnés pour les Jeux de Tokyo seraient tous vaccinés prochainement contre la COVID-19. « Nous sommes plus optimistes que jamais quant à la perspective de voir les athlètes de Team USA vaccinés bien avant les Jeux. La grande majorité des athlètes américains pourrait avoir accès au vaccin plus tôt que nous ne le pensions initialement », avait alors annoncé Sarah Hirshland, la directrice générale de l’USOPC.

L’espace de compétition des athlètes a toujours été doublé d’un terrain de confrontation pacifique entre les pays. C’est le concept même de soft power. Dans la politique mondiale, ce concept fait référence à l’influence non coercitive (donc non-militaire) d’un acteur international sur les autres, à son attractivité dans le monde, à la puissance de son modèle et de son système de valeurs. Pour de nombreux pays, dont la Chine et la Fédération de Russie, ou pour le Royaume d’Arabie Saoudite, le soft power est aussi une opportunité de coopération dans un contexte de concurrence internationale. Avec cette proposition de vaccination, la Chine continue le développement de son soft power. Vacciner un sportif, c’est symboliquement soutenir un héros. C’est permettre la tenue de Jeux universels. La République populaire s’inscrit ainsi dans une dynamique humanitaire, tout en faisant montre de son excellence pharmaceutique et logistique… et elle conforte ses engagements et investissements dans les Jeux d’hiver qu’elle hébergera du 4 au 20 février 2022 à Pékin.

Il est à noter, comme le souligne le philosophe François Julien dans son remarquable « Traité de l’Efficacité », que la pensée stratégique chinoise a toujours appréhendé parfaitement les idées similaires au concept de soft power. Pour lui, la philosophie chinoise de l’efficacité ne pose que la question de l’advenir, et non de l’être. En évitant la question du Soi, du sujet (ou de la séparation très occidentale « théorie vs pratique »), elle peut se concentrer exclusivement sur la question de l’efficacité à partir du cours naturel des choses.

Elle s’intéresse au processus, au procédé qui "conduit à" plutôt qu’à l’état. C’est une dynamique, une énergie cinétique et, ce qui l’intéresse, ce n’est donc pas l’action mais plutôt le potentiel de la situation qui contient sa propre transformation. Pour le philosophe chinois comme pour le dirigeant politique, l’action par le simple fait qu’elle soit saillante, peut porter son contraire et pousser à l’inverse de ce que l’on recherche. « Contre l’action et le héros acteur et influençant le cours de choses volontairement, elle oppose le non-agir qui est néanmoins agir car soutien du potentiel ». Mais en choisissant la collaboration internationale, la Chine se démarque des États-Unis qui ont fait de leur propre vaccination un axe de politique exclusivement de réunification domestique. C’est d’ailleurs toute la dimension symbolique recherchée par le Président Biden quand il annonce accélérer les plans de vaccination en fixant au 4 juillet (Fête nationale) le retour des États-Unis à la quasi-normale.

C’est d’ailleurs toute la dimension symbolique recherchée par le Président Biden quand il annonce accélérer les plans de vaccination en fixant au 4 juillet (Fête nationale) le retour des États-Unis à la quasi-normale

Philippe Blanchard

En 1980, le centre de gravité de l’économie mondiale était au milieu de l’Atlantique. En 2008, à partir de la montée continue de la Chine et du reste de l’Asie de l’Est, puis avec la reconstruction de la Russie et le développement du Moyen-Orient, ce centre de gravité a dérivé vers un endroit à l’est d’un axe Helsinki-Bucarest. En extrapolant la croissance mondiale, on peut projeter le centre de gravité économique de notre planète entre l’Inde et la Chine d’ici 2050, à près de 9 300 km de son emplacement de 1980. Pendant plusieurs décennies, le pouvoir chinois s’était concentré sur la construction économique, sur des processus de réformes politiques et sur une stratégie diplomatique relativement discrète. Ce n’est que plus récemment que la Chine a embrassé les concepts et outils modernes de soft power.

Avant la crise de la Covid-19, et avant les engagements sportifs de la Chine, de la Russie ou du Moyen Orient, le déplacement du soft power accusait un certain retard avec le déplacement du pouvoir économique. Il pourrait en être autrement à l’avenir et je pense que les sources d’influence mondiale et la dynamique politique accéléreront leur déplacement vers le Sud-Est. C’est déjà clairement le cas déjà dans le monde du sport : la prochaine décennie sera marquée par les événements en Chine et au Moyen Orient. Si le sport continue d’être un marqueur des évolutions de nos sociétés, alors la formulation des politiques pour l’ensemble de l’économie mondiale, et la gouvernance mondiale en général, ne seront plus le domaine exclusif des pays riches du siècle dernier. Elles exigeront plutôt un engagement plus inclusif de l’Est, Chine, Russie et Inde, et du Moyen-Orient. La mondialisation sera plus globale qu’une simple américanisation ou occidentalisation. Et la modernisation alors sera plus inclusive, contrastée et respectueuse des différentes cultures.

 

 

Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’Innovation et des sports du Futur.

Twitter: @Blanchard100

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.