Partenariats stratégiques et nouveaux enjeux géopolitiques dans le monde arabe

Joe Biden, le président américain. (Photo, AFP)
Joe Biden, le président américain. (Photo, AFP)
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Publié le Lundi 15 mars 2021

Partenariats stratégiques et nouveaux enjeux géopolitiques dans le monde arabe

Partenariats stratégiques et nouveaux enjeux géopolitiques dans le monde arabe
  • Le premier défi est intrinsèquement lié aux dernières élections américaines qui ont introduit une nouvelle donne dans le contexte moyen-oriental
  • Le deuxième défi concerne les crises politiques internes qui secouent depuis quelques années différents pays arabes

La dernière tournée du ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov dans les pays du Golfe arabe s'inscrit clairement dans la nouvelle dynamique régionale axée autour de deux défis: les enjeux géopolitiques issus de la nouvelle configuration des relations internationales, et les rebondissements des crises et conflits régionaux arabes.


Le premier défi est intrinsèquement lié aux dernières élections américaines qui ont introduit une nouvelle donne dans le contexte moyen-oriental, et au-delà de ce contexte dans le grand espace euro-asiatique qui est devenu la clé de l'ordre mondial à venir.


Bien qu'il soit prématuré de définir les contours exacts et bien délimités de la politique moyen- orientale de la nouvelle administration américaine, deux tendances paraissent notoires dans l'orientation de la nouvelle équipe dirigeante à Washington.


D'abord, le renouement avec la politique « obamienne » de rapprochement avec l'Iran, par le biais de l'initiative de dialogue et de concertation avec Téhéran en vue de la réintégration américaine de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien signé en 2015 et dénoncé par la suite durant le règne du président Trump. Malgré les déclarations d'apaisement et de bonne volonté vis-à-vis des gouvernements arabes, les nouvelles autorités américaines se sont engagées clairement dans un processus de réconciliation avec l'Iran ; ceci risquerait d'attiser les tensions déjà vives dans la région, sans prendre en considération les craintes et soucis des Etats arabes qui subissent depuis deux décennies les agressions et ingérences iraniennes.


Le retrait des Houthis de la liste des organisations terroristes, l'une des premières décisions de l'administration de Biden, est en effet un signe précurseur de la nouvelle politique américaine qui consiste à entériner les déséquilibres engendrés par les interventions belliqueuses iraniennes dans les affaires du monde arabe. Appréhender la guerre du Yémen comme terrain de confrontation entre les pays arabes (engagés dans la défense de la légalité et de l'intégrité de l'Etat) et l'Iran (force déstabilisante qui appuie la rébellion) est une position réductrice qui met sur le  même pied d'égalité la victime et l'agresseur. La solution pacifique et concertée, préconisée par l'Arabie saoudite et ses alliés, ne pourrait en aucun cas conduire à reconnaître les rebelles houthis comme acteur politique légitime et digne de confiance.


En renouant avec le paradigme obamien  d'équilibre des puissances régionales au Moyen-Orient, les États-Unis pousseront les Etats arabes alliés traditionnels de Washington à prospecter les issues de partenariat avec les autres acteurs internationaux engagés dans les enjeux moyen-orientaux et en premier, la Russie déjà bien présente ( militairement et diplomatiquement) dans l'échiquier régional.

En renouant avec le paradigme obamien  d'équilibre des puissances régionales au Moyen-Orient, les États-Unis pousseront les Etats arabes alliés traditionnels de Washington à prospecter les issues de partenariat avec les autres acteurs internationaux engagés dans les enjeux moyen-orientaux (...).

Seyid ould Abah


Le deuxième défi concerne les crises politiques internes qui secouent depuis quelques années différents pays arabes, comme la Syrie et la Libye. Les initiatives internationales de résolution de ces crises ont essuyé auparavant un échec perceptible; la militarisation progressive des tensions politiques internes a conduit à l'implication des acteurs étrangers à la région, d'où la nécessité de dialogue constructif avec les puissances internationales concernées dans le but de réintégrer ces pays dévastés dans la famille arabe et de faciliter la solution pacifique et juste des conflits de pouvoir et de société qui les traversent.


Dans son brillant essai intitulé « Nous ne sommes plus seuls au monde », le politologue français Bertrand Badie nous démontre que le monde  post-Westphalien issu de la fin de la guerre froide n'est plus occidentalo-centré ; il ne répond plus à la vieille logique du « club »  des décideurs privilégiés qui accaparent la puissance militaire et diplomatique mondiale. Ce changement de logiciel géopolitique brillamment analysé par Badie ouvre de nouvelles perspectives pour les États du sud qui pourraient sans entrave ni difficulté diversifier leurs partenariats et réseaux d'alliance, selon les contextes et les enjeux.


Les puissances arabes qui assument actuellement la responsabilité de la pérennité et la stabilité de l'ordre politique arabe  ont ainsi  un grand intérêt à investir ces opportunités d'action.


L'ouverture des pays du Golfe sur la  Russie, grande puissance-pivot du large espace euro- asiatique est donc  à saluer comme signe palpable de  cette réorientation indispensable de la raison géopolitique arabe. 

 

Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.

Twitter: @seyidbah

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.