L'État arabe à l'ère de la pandémie mondiale

Des représentants de la Ligue des États arabes assistent à une réunion au siège de la Ligue arabe au Caire. (Photo, AFP)
Des représentants de la Ligue des États arabes assistent à une réunion au siège de la Ligue arabe au Caire. (Photo, AFP)
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Publié le Lundi 01 mars 2021

L'État arabe à l'ère de la pandémie mondiale

L'État arabe à l'ère de la pandémie mondiale
  • L'Etat est toujours une nécessité indépassable pour la survie et l'épanouissement des nations
  • L'État arabe contemporain a joué tant bien que mal un double rôle essentiel : unifier le tissu social hétéroclite et réfractaire à l'autorité centrale et jeter les jalons d'un développement social intégrateur

Un sociologue marocain de renommée internationale a souligné dernièrement que la grande leçon à tirer de la pandémie actuelle (Covid-19) est que l’État, comme dispositif d'institutions publiques, est toujours une nécessité indépassable pour la survie et l'épanouissement des nations, notamment dans les pays en développement.
Cette remarque, largement partagée par les élites du monde développé, traduit une nouvelle approche de la question politique, en rupture avec deux paradigmes qui étaient en vogue : le paradigme de la mondialisation post nationale, et le paradigme de la société ouverte autocentrée.
Le concept de post nationalisme s'est introduit dans la pensée politique contemporaine comme fruit du découplage croissant entre l'État comme forme d'organisation centrale et souveraine du politique et la Nation comme entité citoyenne tendant à l'universalisation.
La mondialisation a rendu, selon cette vision, l'état administratif moderne non adapté au contexte d'échange économique globalisé issu de la nouvelle révolution technologique, qui a dépouillé les institutions politiques classiques de leurs pouvoirs effectifs de gouvernance et de régulation.
Si l'État national était le fruit de la grande révolution industrielle capitaliste, la nouvelle configuration techno-économique déterminerait la nature du nouveau champ politique distinct et différent de ce  modèle désuet et anachronique.
Le philosophe néo-marxiste italien « Antonio Negri »  a  tenté de tracer dans sa triade (Empire , Multitude, Commonwealth) les contours de ce nouveau champ politique, qui lui paraissait tourner autour d’«un pouvoir biopolitique collectif », une multiplicité de singularités souveraines autonomes, et une économie de commun  au-delà de la ligne de démarcation entre le public et le privé. Pour Negri, l’État-nation est voué à disparaître avec l'essoufflement de l'économie capitaliste matérielle et les formes souveraines de gouvernance sociale.

Quant au paradigme de la société ouverte autocentrée, il est à la fois une survivance de la pensée libérale classique dans son penchant individualiste antiétatique et une consécration des modes d'engagement et de mobilisation de la société civile mondiale dans son approche universaliste et autofondatrice des droits de l’homme. Selon cette vision, les impératifs de dignité humaine, de liberté et d'égalité, devront prendre le dessus sur les lois étatiques souveraines et constituer ainsi l'échelle d'évaluation normative et juridique des questions sociales humaines. Le philosophe allemand J.Habermas dans un texte célèbre sur l'état-nation, nous invitait à revisiter l'idéal moderne de l'émancipation, hors du cadre souverainiste qui lui paraissait ne plus être adéquat à exprimer la nouvelle conception de l'identité collective, fragmentée en plusieurs espaces d'intégration complémentaires.
Ces deux paradigmes évoqués se recoupent dans leur approche négative de l'état national souverain. Il y a lieu de préciser que cette nette suspicion vis -à-vis de l'État central s'est alimentée d'une large tradition socio- philosophique, mettant l'accent sur les mécanismes et dispositifs de discipline, de contrôle et de surveillance qui ont transformé l'état libéral moderne en état « panoptique » où l'exception permanente est la règle de constitution et d'effectivité.
Plusieurs figures emblématiques de la pensée occidentale ont décrié récemment les politiques de confinement et de restriction arrêtées par les gouvernements de leurs pays dans le cadre des stratégies de lutte contre la pandémie actuelle, en se référant aux concepts de « société de surveillance » et de « pouvoir biopolitique disciplinaire ».
On ne pourrait toutefois nier la légitimité et la pertinence des dispositions d'enfermement, de contrôle et de restriction mises en œuvre par les autorités publiques des différents pays, même dans les démocraties libérales, résignées à sacrifier leurs régimes de libertés privées et publiques en fonction des stratégies sanitaires imposées par la dynamique épidémique.
Dans les contextes politiques fragiles, où le processus de construction des nations est en cours, la responsabilité de l'État national central devient de plus en plus primordiale et décisive pour endiguer les aléas des  fléaux naturels et des crises imprévisibles.
L'État arabe contemporain, en gestion difficile, a, par le passé, joué tant bien que mal un double rôle essentiel : unifier le tissu social hétéroclite et réfractaire à l'autorité centrale et jeter les jalons d'un développement social intégrateur. La nouvelle pandémie a démontré d'une façon notoire que ce rôle de régulation sociale, de structuration institutionnelle, et de protection bienveillante est appelé à se renforcer et s'élargir.