Le Liban a connu la semaine dernière des scènes horribles et tragiques qui ont ébranlé la conscience de l’humanité à travers le monde. La terrible explosion dans le port de Beyrouth mardi dernier a fait 158 morts et 6 000 blessés. Au moins 300 000 personnes ont été déplacées, tandis que des dizaines restent toujours portées disparues, selon un bilan provisoire. L'explosion et ses retombées ont eu des conséquences désastreuses, endommageant les logements, les lieux de culte et les hôpitaux non seulement dans la capitale elle-même, mais dans près de la moitié du pays.
Ces conséquences désastreuses ne se limitent pas aux victimes, et provoquent également des pertes financières massives, que le gouverneur de Beyrouth, Marwan Abboud, estimait initialement entre 3 et 5 milliards de dollars. Cette catastrophe a conduit Beyrouth à être déclarée zone sinistrée. Les scènes rappellent les terrifiantes explosions nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki, dont les 75 ans ont été – triste ironie – marquées les jours suivants par des cérémonies de recueillement. Ou encore les images de villes fantômes causées par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986.
Différentes explications de l'explosion dans le port de Beyrouth ont émergé. Certains ont accusé Israël d’être à l’origine de la catastrophe dans une volonté d’empêcher le Hezbollah d'acquérir de nouvelles armes, alors que d’autres ont affirmé que l’augmentation fulgurante des températures estivales avaient déclenché des incendies qui avaient eux-mêmes provoqué la détonation désastreuse des explosifs hautement volatils qui y étaient stockés.
D’autres encore ont affirmé que l'explosion était un acte terroriste. Cependant, les experts ont réservé leurs avis et attendent les conclusions des enquêtes en cours. Il est intéressant de noter que le Hezbollah n'a ni accusé ni ciblé Israël dans la déclaration qu'il a publiée à la suite de l'explosion. Le mouvement est bien conscient que de telles accusations l’obligerait à assumer le coût de toute réponse israélienne.
L'explosion tragique a résulté de l'inflammation d'environ 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium – largement utilisé par le Hezbollah pour fabriquer des explosifs – qui étaient stockées dans le port depuis 2014. Cela a résolument mis le Hezbollah sur le banc des accusés, le rendant responsable de l'explosion, en particulier compte tenu de sa longue histoire de stockage et d'utilisation de nitrate d'ammonium dans le monde entier.
Par exemple, en 2012, la Thaïlande a arrêté un individu affilié au Hezbollah pour possession de 290 litres de nitrate d'ammonium. En 2015, Chypre a saisi 420 boîtes de nitrate d'ammonium appartenant au Hezbollah. La même année, le Koweït a arrêté trois personnes affiliées au Hezbollah pour avoir stocké plus de 18 tonnes de la même substance. Le Royaume-Uni a également arrêté des membres du mouvement pour en avoir stocké 3,3 tonnes à Londres. L'Allemagne, qui en avril a classé le Hezbollah comme organisation terroriste, a révélé que l'une des raisons de cette décision était son stockage de nitrate d'ammonium dans un dépôt du sud de l'Allemagne.
Outre les exemples ci-dessus prouvant la possession généralisée de nitrate d'ammonium par le Hezbollah, le secrétaire général du mouvement, Hassan Nasrallah – dans une séquence vidéo de 2016 diffusée sur les réseaux sociaux après l'explosion de la semaine dernière – a laissé entendre la possibilité de faire exploser des conteneurs pleins d'explosifs dans le port israélien de Haïfa. Dans la vidéo, Nasrallah se vante : « Certains de nos missiles ajoutés à certains conteneurs d'ammonium au port de Haïfa équivalent à une bombe nucléaire. »
Le Hezbollah a longtemps été dépendant du port de Beyrouth pour gérer son économie souterraine. Malgré les démentis de ses dirigeants, plusieurs rapports indiquent que la plupart des armes qui lui parviennent d’Iran passent par le port. Des sources américaines affirment également que le port est sous le contrôle non officiel du mouvement, indiquant qu’il y stocke des matières explosives. On sait également que cette région de Beyrouth est sous le contrôle direct du Hezbollah.
L’explosion de Beyrouth jettera inévitablement une ombre sinistre sur l’avenir du Liban et aggravera les crises économiques et politiques qui le touchent déjà. Les politiques du Hezbollah, sa possession de vastes arsenaux d’armes dans le pays et ses mésaventures aux niveaux régional et mondial sont considérés comme les principales causes des crises internes du pays.
Au plan économique, l’économie fragile et inefficace du Liban subira de nouvelles pressions en raison du coût considérable de la reconstruction de la capitale. Cela arrive à un moment où le pays souffre déjà d'une crise financière qui a déclenché des manifestations massives. En plus de ces malheurs, le Liban va perdre les revenus financiers du port, considéré comme l’artère économique la plus importante du pays. Les retombées de l’explosion auront également un impact sur la santé publique au cours des prochains mois, avec des conséquences environnementales désastreuses, l’air de Beyrouth devenant de plus en plus pollué.
Sur le plan politique, la scission augmentera entre l’Alliance pro-Hezbollah du 8 mars et l’Alliance du 14 mars, qui rejette les activités du mouvement. Cette situation survient alors que les relations entre les deux alliances sont dans l’impasse depuis l’activation par Washington, en juin, de la loi César visant l’allié du Hezbollah Bachar al-Assad en Syrie. Cette loi sanctionne également les associés d’Assad, y compris le Hezbollah. Les indices d’une telle impasse ressortent des commentaires de l’ancien Premier ministre Saad Hariri au lendemain de l’explosion. Il a déclaré : « Hier, ils ont tué le Liban. L'explosion augmentera également la probabilité de déclencher des manifestations contre le mouvement, ce qui pourrait rebattre les cartes. »
Les ramifications de la catastrophe, que de nombreux analystes militaires ont assimilées à ce que l'on voit au lendemain d'une guerre destructrice, révèlent un résultat longtemps prédit par beaucoup : lorsque les pays acceptent l'existence de milices incontrôlables sur leur territoire, qui opèrent en dehors des lois, ils se transforment inévitablement en États défaillants ou même en zones sinistrées. La classification de Beyrouth, autrefois perle cosmopolite brillante de la Méditerranée, comme zone sinistrée démontre encore la terrible vérité de cette prédiction.
Les pays qui laissent s’installer une telle anarchie porteront inévitablement les conséquences de la présence de milices armées hors-la-loi. Ce dernier événement a également laissé l'Irak, affligé par un régime de milice similaire, face à l’urgence de contrôler les matières explosives volatiles stockées dans les dépôts des unités de mobilisation populaire alignées sur le régime iranien afin de maintenir un semblant de sécurité et de stabilité.
In fine, la gigantesque explosion de la semaine dernière à Beyrouth a souligné la nécessité pour la communauté internationale et l’ONU, ainsi que ses agences, de prendre des mesures sérieuses pour mettre fin aux plans dévastateurs de l’Iran et de ses mandataires, y compris le Hezbollah. Cela peut être fait en coopérant avec les pays à l’intérieur et à l’extérieur du Moyen-Orient qui s’opposent aux projets du régime iranien.
Sinon, des scènes cauchemardesques comme celles qui ont été vécues à Beyrouth se reproduiront dans d’autres zones aux mains de l’Iran et de ces milices. Et deviendront la terrible marque du XXIe siècle.
Dr. Mohammed Al-Sulami est directeur de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
Twitter : @mohalsulami
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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com