PARIS: Par un recours accru aux influenceurs sur les réseaux sociaux, l'exécutif espère toucher une cible jeune plus rétive aux médias traditionnels, pour leur délivrer consignes sanitaires et témoignages de compréhension face à la crise.
Le défi des 10 millions de vues lancé par Emmanuel Macron au youtubeurs McFly et Carlito pour un clip appelant à respecter les gestes barrières anti-Covid 19 aura été relevé en trois jours : leur vidéo « Je me souviens », mise en ligne dimanche matin, a franchi la barre mardi soir.
Ces deux trentenaires, qui peuvent se targuer d'au moins six millions d'abonnés, ont obtenu en retour que le chef de l'Etat se prête avec eux à un « concours d'anecdotes » dans une future vidéo du tandem tournée à l'Elysée.
Derrière le pari potache, initié par Emmanuel Macron lui-même, se filmant avec son smartphone, se cache une stratégie numérique de plus en plus rodée. A un an de la présidentielle, l'exécutif cherche des canaux de communication efficaces avec une jeunesse frappée de plein fouet par les conséquences de la crise.
Emmanuel Macron a donné une longue interview en décembre au média en ligne Brut, puis a poursuivi les questions-réponses sur Snapchat. Jean Castex, alerté par ses services, a demandé fin janvier à appeler le Youtubeur Gaspard G. qui relayait le mal-être des étudiants dans ses vidéos.
Depuis novembre, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a instauré un rendez-vous hebdomadaire le dimanche soir d'échanges avec des influenceurs sur Instagram.
« La crise du Covid est un accélérateur de la nécessité pour les gouvernants d'aller sur davantage de terrains médiatiques », estime Attal.
« Aucun snobisme qui tienne », donc, pour Attal, qui a devisé depuis son bureau ou son salon, généralement en tenue décontractée, avec les figures de proue des réseaux sociaux : EnjoyPhoenix, Tibo in Shape, Neo.... Au menu de cette heure d'entretien, les questions en direct des abonnés de ces stars, portant sur la situation sanitaire, la réouverture des facs ou encore les restrictions.
« C'est avant tout des jeunes qui parlent aux jeunes », résume-t-il, en évoquant des audiences alléchantes allant jusqu'à « 500 000 vues ».
L'avantage de Attal, âgé de 31 ans, est de ne pas dépareiller dans le tableau, en étant par exemple capable d'évoquer au passage sa console de jeux favorite.
« Sans filtre » depuis l'Elysée
Pour les influenceurs, qui vivent pour beaucoup de partenariats avec les marques, pas de rémunération. « Mais le contexte aussi joue : ils savent qu'ils ont une responsabilité et peuvent jouer un rôle positif auprès de leur communauté. Ça dépolitise l'enjeu », relève un conseiller de Matignon.
EmmaCakeCup trouve « génial que Gabriel fasse appel à des influenceurs dont les abonnés ne regardent pas forcément la télévision, les discours solennels ». Âgée de 24 ans, cette influenceuse « principalement suivie par un public féminin entre 18 et 25 ans » a apprécié l'exercice même s'il s'est accompagné également d'une « vague de haine », entre insultes (« laquais », « collabo ») et quelques « menaces de mort ».
« C'est un bon moyen pour sensibiliser les jeunes aux décisions qui sont prises », témoigne de son côté le Youtubeur Fahd El.
L'irruption du politique reste résiduelle dans cet écosystème, malgré une montée en puissance sur certaines plateformes comme Twitch. C'est d'ailleurs sur ce réseau que Gabriel Attal a lancé mercredi soir une nouvelle émission en direct depuis l'Elysée, baptisée « Sans filtre », avec tutoiement de rigueur et interpellation de jeunes, influenceurs ou non, durant plus d'une heure.
« Les jeunes crèvent la dalle », les « étudiants sont en galère », en « dépression », redoutent des « diplômes en carton », lui ont lancé à tour de rôle EnjoyPhoenix, Fabian, Elise&Julia ou Malek Délégué.
« Preneur » de toutes ces « remontées », Gabriel Attal a mis en avant les « dispositifs » existants : « plan jeunes », offre de « 30 000 stages », « repas à un euro », « chèque psy » pour les étudiants... « C'est faux de dire qu'il y a une génération sacrifiée aujourd'hui, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de jeunes dans la galère », a-t-il répondu.
D'autres s'essayent au réseau social Clubhouse, organisé autour de salles de discussions vocales, à l'image du ministre Jean-Baptiste Djebbari ou de la sénatrice Nathalie Goulet, tête de liste UDI aux régionales en Normandie, qui y mène campagne le soir auprès d' « un public jeune avec beaucoup de questions ».
Car à l'approche de la campagne présidentielle, tous pressentent que « le digital jouera un rôle prépondérant », surtout dans un contexte sanitaire possiblement encore tendu.
« Les meetings ce ne sera jamais vraiment fini », espère un conseiller de l'exécutif. « Mais faire monter 25 cars de retraités pour tenir un meeting surchauffé, il faudra assumer derrière », si cela se transforme en cluster, glisse-t-il encore.