Le dernier sommet des pays constituant le groupement du Sahel (G5 Sahel) vient de s'achever à N’djamena, capitale du Tchad, en présence de plusieurs états riverains de la région.
Ce sommet a consacré deux changements principaux : l'élargissement géopolitique prévisible de l'organisme sahélien et la prise en compte des facteurs socio-économiques souvent occultés dans l'appréhension de la crise sahélienne .
La tendance à l'élargissement de la coalition sahélienne s'est imposée dans le contexte de confrontation rude contre le fléau terroriste. Les efforts conjugués des pays membres du « G5 » soutenus par la France, ont été en deçà des objectifs définis par les gouvernements sahéliens, qui se sont trouvés dans un état de désarroi total face à la recrudescence des actes violents des mouvements radicaux.
Bien que les pays sahéliens aient adopté lors de la création de l'organe de concertation qui les englobe une approche exclusiviste rigide, force est de constater que les déboires des politiques sécuritaires communes ont démontré la nécessité d'ouvrir le cadre institutionnel qu'ils ont institué aux différents partenaires régionaux impliqués dans la lutte contre le terrorisme.
Deux régions riveraines sont ici concernées : l'Afrique de l'ouest qui est l'espace large auquel se rattache la bande de Sahel, et le Maghreb arabe qui est à la fois l'affluent d'où découlent les dangers et le point d'aboutissement des crises et malheurs de la région sahélienne.
Les derniers soubresauts de la dynamique violente au Sahel ont rendu indispensable l'implication des pays ouest-africains rattrapés par l'incendie terroriste, surtout les pays du golfe de Guinée, et en premier lieu, la Côte d'ivoire, le Nigéria et le Cameroun. Les cinq pays du Sahel sont globalement membres de la communauté économique des états de l'Afrique de l'ouest – La Mauritanie étant liée à l'organisation par un traité d'association –, le volet sécuritaire et stratégique de l'action de cette organisation répond donc largement aux soucis et attentes des états sahéliens. Il serait donc naturel et adéquat de fusionner les deux espaces, comme le préconisent des voix fortes en Afrique, malgré la réticence du Tchad et la Mauritanie qui s'accrochent à l'idée de la particularité sahélienne.
Si les gouvernements sahéliens reconnaissent les retombées bénéfiques de la coopération stratégique et sécuritaire étroite avec les pays maghrébins, ils redoutent toutefois l'hégémonie des puissances maghrébines
Cette particularité présumée relèverait de deux traits distinctifs qui sont la jonction entre les milieux fluviaux et les espaces sahariens désertiques, et la cohabitation entres les populations sédentaires autrefois appelées « soudanaises » et les tribus pastorales nomades à majorité arabo - touarègues. Ces deux spécificités expliqueraient les facteurs du radicalisme violent qui sévit âprement dans la région sahélienne : les tensions ethniques, les conflits terriens meurtriers, les engagements religieux extrémistes, la fragilité des institutions étatiques publiques…
Loin de nous la tentation de minimiser ces facteurs déterminants, cependant il y a lieu de reconnaître le caractère global des ingrédients de la crise sahélienne qui sont transposables au contexte ouest-africain général.
Quant aux pays du Maghreb, ils sont nécessairement impliqués dans les enjeux sahéliens, ne serait-ce que par l'appartenance mauritanienne à cet ensemble géopolitique et le rôle primordial de l'Algérie dans le processus de réconciliation malienne, et l'aura religieuse et symbolique marocaine qui procure au royaume chérifien un statut de choix dans l'échiquier sahélien.
Si deux pays maghrébins (le Maroc et la Tunisie) ont déjà officialisé leurs demandes d'adhésion à la communauté économique d'Afrique de l'ouest ( CEDEAO), l'Algérie a emboîté le pas à la Mauritanie dans son approche d'association avec l'organisation ouest-africaine. Cet intérêt croissant pour l'Afrique occidentale s'inscrit clairement dans le souci de se positionner dans les enjeux géopolitiques sahéliens, déterminants vitaux pour les pays maghrébins qui commencent à perdre tout espoir dans la construction de l'unité d'Afrique du nord.
Si les gouvernements sahéliens reconnaissent les retombées bénéfiques de la coopération stratégique et sécuritaire étroite avec les pays maghrébins, ils redoutent toutefois l'hégémonie des puissances maghrébines dont le champ d'intérêt et d'influence dépasse largement les contours de la sphère sahélienne.
Le sommet de N‘djamena, tout en mettant en évidence les tares et insuffisances des stratégies sahéliennes de lutte contre le terrorisme, a démontré au-delà de cette réalité manifeste, la crise conceptuelle et théorique de l'idée sahélienne même, en proie aujourd'hui à une lutte acharnée de classement et de délimitation.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.