«Le G5 Sahel est mort»: c’est ce que vient d’affirmer le président nigérien, Mohamed Bazoum. Cette déclaration fait directement écho à la décision malienne de se retirer de cette organisation sous-régionale née en 2014. Elle révèle les dissensions profondes qui existent entre ses cinq membres.
«Le G5 Sahel est mort»: c’est ce que vient d’affirmer le président nigérien, Mohamed Bazoum
Rappelons que le G5 Sahel, au moment de sa création, devait répondre à trois exigences principales: coordonner l'action des pays sahéliens destinée à contenir les menaces sécuritaires liées aux activités terroristes des violents mouvements extrémistes qui opèrent tout au long du grand désert ouest-africain; instituer un partenariat fiable et fructueux entre les États sahéliens et les puissances occidentales engagées dans la lutte contre le terrorisme, au premier rang desquelles la France, militairement présente dans la région depuis 2013; conjuguer les politiques de développement économique et social de ces cinq États, dont les ressources sont limitées, dans un contexte régional particulièrement chaotique.
Tout laisse à penser que le rôle de la France a été capital dans la création de cette entité sahélienne, avec deux objectifs au moins: d’abord, impliquer les armées locales dans la stratégie de confrontation militaire des mouvements radicaux en leur fournissant la formation et les équipements nécessaires; ensuite, contrecarrer les ambitions et les visées des acteurs internationaux émergents dans une région qui suscite de plus en plus d'appétit sur le double plan stratégique et économique.
Le Sahel représente pour la France un espace géopolitique privilégié par sa proximité géographique avec l'Europe, son enchevêtrement avec le Maghreb et son statut de zone tampon entre l'Afrique occidentale et l'Afrique centrale.
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), dont les pays sahéliens sont membres (à l'exception de la Mauritanie), ne constitue pas pour la France le partenaire régional idéal en raison du poids prépondérant des États anglophones – notamment le géant nigérian et le Ghana.
Le Sahel représente pour la France un espace géopolitique privilégié par sa proximité géographique avec l'Europe, son enchevêtrement avec le Maghreb et son statut de zone tampon entre l'Afrique occidentale et l'Afrique centrale.
Ce pays occupe en effet une place centrale dans l'espace sahélien. Il est à la fois le laboratoire des expériences politiques régionales et le point de concertation des stratégies extérieures liées à ce contexte géopolitique vital.
Cette bande, qui comprend une large partie de l'Afrique du Nord, fut le carrefour des grands empires et des États qui ont régné sur l'immense espace saharien soudanais. Depuis quelques années, elle est en proie à des crises endémiques multiformes qui affectent lourdement le modèle de gouvernance étatique fragile institué par l'ingénierie coloniale lors de la période des indépendances, au début des années 1960.
Le cas malien est emblématique de cette configuration critique. Ce pays occupe en effet une place centrale dans l'espace sahélien. Il est à la fois le laboratoire des expériences politiques régionales et le point de concertation des stratégies extérieures liées à ce contexte géopolitique vital.
Dès son indépendance, le Mali a connu un régime socialiste révolutionnaire, allié qu’il était à l'ancienne Union soviétique. Il a ensuite traversé une longue période d'autoritarisme militaire supplantée par différentes expériences démocratiques (précédées de transitions militaires de courte durée). Le coup d'État du 18 août 2020 a mis fin à la troisième tentative consécutive qui visait à instaurer un régime démocratique pluraliste stable dans un contexte particulièrement lourd de guerre civile sanglante et de désagrégation des institutions publiques.
L'initiative de retrait du G5 Sahel et la rupture des accords de défense avec la France, qui interviennent en même temps que l’importante percée russe au Mali, traduisent clairement, au-delà des choix effectués par la junte au pouvoir à Bamako, la nouvelle atmosphère d'animosité, perceptible dans toute la région du Sahel, à l'égard de l'ancien colonisateur.
La transition militaire en cours diffère cependant des précédentes transitions par sa rupture radicale à la fois avec l'échiquier politique local et avec les partenaires régionaux ou internationaux du Mali.
L'initiative de retrait du G5 Sahel et la rupture des accords de défense avec la France, qui interviennent en même temps que l’importante percée russe au Mali, traduisent clairement, au-delà des choix effectués par la junte au pouvoir à Bamako, la nouvelle atmosphère d'animosité, perceptible dans toute la région du Sahel, à l'égard de l'ancien colonisateur.
On suspecte qu’un lien fort existe entre une «démocratie anarchique et corruptible» et des politiques d'interventions armées stériles et contre-productives qui font le lit des extrémismes violents.
Dans un récent article, l'historien camerounais Achille Mbembe annonçait la fin du cycle de la «Françafrique». Ce brillant intellectuel, à qui le président Macron a confié la mission de réévaluer les rapports spéciaux entre la France et ses anciennes colonies africaines, explique: «Pour de nombreux Africains brisés par le poids de l’histoire, la France est en effet devenue l’équivalent d’un membre fantôme. Parfois, bruyamment, ils prétendent vouloir s’en débarrasser, souvent à coup de jurons. Mais, moignons vivants au souvenir de la mutilation, ont-ils seulement mesuré la profondeur de l’attachement qu’ils ont pour leur prétendu bourreau?»
Pour M. Mbembe comme pour d'autres éminents intellectuels africains, il s'agit de repenser les rapports entre la France et les Africains en dehors des schèmes du paternalisme humiliant ou du désintérêt méprisant. Le nouveau climat politique agité qui règne au Sahel est la consécration de cette conscience contestataire.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.