Le Moyen-Orient à l'ère du sommet de Samarcande

Le président russe Vladimir Poutine (à gauche) assiste au sommet des dirigeants de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarcande le 16 septembre 2022. (Photo de Sergei BOBYLYOV / SPUTNIK / AFP)
Le président russe Vladimir Poutine (à gauche) assiste au sommet des dirigeants de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarcande le 16 septembre 2022. (Photo de Sergei BOBYLYOV / SPUTNIK / AFP)
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Publié le Lundi 10 octobre 2022

Le Moyen-Orient à l'ère du sommet de Samarcande

Le Moyen-Orient à l'ère du sommet de Samarcande
  • La ligne de la «mondialisation chinoise» a prévalu au sommet de Samarcande, au détriment de la ligne de confrontation préconisée par la Russie appuyée par l'Iran
  • L'Asie occidentale qui correspond au Moyen-Orient arabe est appelée à jouer un rôle prépondérant dans l'ordre géopolitique de l'Eurasie qui déterminera inéluctablement le sort du système international

Le dernier sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui a eu lieu à Samarcande en Ouzbékistan peut être considéré comme un tournant géopolitique de grande ampleur.
Cette organisation qui a vu le jour en 2001 a été conçue lors de son institution comme un simple organe de concertation et de coordination entre la Chine et la Russie dans l'espace asiatique central. En s'élargissant à l'Inde et au Pakistan en 2017, en plus des quatre pays fondateurs que sont le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan, l'organisation devient le pôle central d'une constellation eurasiatique en voie de composition.

Les deux approches eurasiatiques russe et chinoise, qui étaient au début antinomiques, ont fini par coïncider, dans un contexte de «retour» à la guerre froide, notamment après le déclenchement de la guerre ukrainienne.


À l'origine, les objectifs des deux États qui ont créé l'organisation étaient différents: la Russie visait à renforcer et stabiliser son ancrage asiatique dans sa zone d'influence traditionnelle tout en éloignant la Chine de cet espace vital pour son projet d'expansion mondiale; la Chine en revanche nourrissait l'ambition de dominer et contrôler l'Asie centrale comme chaîne principale de sa dynamique de puissance et d'extension.
L'initiative chinoise des nouvelles routes de la soie («one belt, one road»), lancée en 2013, a introduit une autre dimension au projet initial, en l'insérant à cette dynamique grandiose de recomposition du système international dans ses composantes économique et stratégique. Les deux approches eurasiatiques russe et chinoise, qui étaient au début antinomiques, ont fini par coïncider, dans un contexte de «retour» à la guerre froide, notamment après le déclenchement de la guerre ukrainienne.
S'il a fallu intégrer à l'organisation les deux grands pays de l'Asie du Sud (l'Inde et le Pakistan) en 2017, les yeux étaient rivés sur les deux espaces primordiaux du Proche-Orient et l'est de la Méditerranée.
C'est ainsi que le dernier sommet de Samarcande a entériné l'adhésion définitive de l'Iran, la candidature de la Turquie, et le partenariat avec plusieurs pays arabes moyen-orientaux dont l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et l'Égypte.

La Chine, qui a affiché lors du sommet une position de neutralité prudente par rapport au conflit ukrainien, a réussi son pari d'extension à travers l'Asie centrale, en annonçant la construction de la nouvelle liaison ferroviaire qui la rattache au Kirghizistan et à l’Ouzbékistan (500 km de lignes ferroviaires).


Si la Russie a tenté de transformer le club de Shanghai en un front de refus antioccidental, la déclaration issue du sommet de Samarcande a été plutôt imprégnée de la terminologie chinoise mesurée et conciliante.
La ligne dure poutinienne exaltant «l'ordre mondial eurasiatique» face à «l'hégémonie occidentale» a été abandonnée au profit de l'approche de gouvernance mondiale partagée et de la solidarité humaine universelle qui porte la marque du discours politique chinois.
La Chine, qui a affiché lors du sommet une position de neutralité prudente par rapport au conflit ukrainien, a réussi son pari d'extension à travers l'Asie centrale, en annonçant la construction de la nouvelle liaison ferroviaire qui la rattache au Kirghizistan et à l’Ouzbékistan (500 km de lignes ferroviaires). Cette voie stratégique permettra la liaison aisée et rapide entre la Chine et l'Europe à travers le Moyen-Orient sans passer par la Russie, et accroîtra la dynamique d'échange et de complémentarité entre les deux poumons de l'économie mondiale en Asie et l'Europe.
C'est ainsi que la ligne de la «mondialisation chinoise» a prévalu au sommet de Samarcande, au détriment de la ligne de confrontation préconisée par la Russie appuyée par l'Iran. En ce sens, on pourrait parler d'un tournant décisif dans les relations internationales, face aux voix belliqueuses qui scandent les expressions de guerre et d'affrontement.
Les pays arabes qui se sont rapprochés de l'OCS sont en effet une force de modération et d'équilibre dans une zone de grande turbulence vouée à la déstabilisation généralisée.
En intégrant l’OCS (à titre de partenariat de dialogue et de concertation), les pays arabes sont en mesure de contourner les tentatives de remodelage du grand espace asiatique à leurs dépens.
L'Asie occidentale qui correspond au Moyen-Orient arabe est appelée à jouer un rôle prépondérant dans l'ordre géopolitique de l'Eurasie qui déterminera inéluctablement le sort du système international.
C'est dans ce sens que les relations avec la Chine constitueront dans le futur proche un axe majeur de l'approche stratégique arabe vivement attendue et souhaitée.

Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.

TWITTER: @seyidbah

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français