Le monde entier avait les yeux rivés sur l’Ukraine et la possibilité d’une déflagration internationale en cas d’invasion russe, alors qu’une autre crise tout aussi dangereuse, tout aussi éclaboussante, était en train de se jouer dans la région du Sahel.
Après les coups d’État successifs qu’ont connu certains pays comme le Mali ou le Burkina, donnant cette impression d’une irrésistible épidémie putschiste, la question de la présence française et européenne dans cette région pour lutter contre les organisations terroristes se pose aujourd’hui avec une grande acuité.
Le coup d’accélérateur à cette crise fut sans aucun doute la décision des nouvelles autorités maliennes d’accréditer la présence des miliaires danois au sein de la fameuse force Takuba.
Cette nouvelle architecture avait été pensée et mise sur pied par Paris pour prendre progressivement la place de la force française Barkhane. Elle devait se constituer d’éléments de forces européennes et avoir pour mission de mener des opérations chirurgicales contre le leadership des organisations terroristes. Elle a déjà à son actif quelques faits d’armes et éliminations de chefs d’organisation terroristes, mais la mission est loin d’être terminée.
La décision malienne de saborder de cette manière la force Takuba avait pris la diplomatie française de court. Comme en témoignent les violentes critiques doublées de lourdes menaces du ministre français des Affaires étrangères à l’encontre des actuels tenants du pouvoir à Bamako.
La déception et l’amertume françaises sont d’autant plus aiguës que les putschistes maliens semblent avoir adopté cette stratégie antifrançaise et antieuropéenne sous la pression de la politique russe, dont le groupe paramilitaire Wagner est en train de devenir un acteur important de l’équation militaire et sécuritaire dans cette région si sensible et si perméable à la faune terroriste du continent.
Paris comme Bruxelles ont toujours fait de la présence du groupe russe Wagner une ligne rouge à ne pas dépasser. Or les putschistes de ces pays du Sahel ont transformé cette carte en moyen de pression et de chantage à l’égard de la France et de l’Europe. Et le message non codé adressé par Bamako à Paris est en substance: «Soit vous nous accordez la reconnaissance politique voulue ou les aides économiques qui vont avec, soit nous nous offrons ces pays à l’influence russe, qui pour reprendre l’expression d’un diplomate français, «se paient sur la bête en échange de leur aide sécuritaire».
La décision malienne de saborder de cette manière la force Takuba avait pris la diplomatie française de court. Comme en témoignent les violentes critiques doublées de lourdes menaces du ministre français des Affaires étrangères à l’encontre des actuels tenants du pouvoir à Bamako.
Mustapha Tossa
Cette brusque frénésie sur le devenir de la force Takuba intervient à un moment clé où, sous la pression domestique, Emmanuel Macron avait proposé de diminuer la présence française au Sahel, voire de retirer une grande partie des troupes.
Aujourd’hui, l’interrogation qui taraude les milieux politiques et militaires est la suivante: faut-il accélérer cette tendance au retrait au risque de créer un grand vide sécuritaire qui pourrait profiter à d’autres forces concurrentes? Ou faut-il renforcer la présence militaire française et celle d’autres pays pour espérer remporter la guerre contre les organisations terroristes dont l’accès au pouvoir dans certains états sahéliens est une menace vitale pour les intérêts de la France et de l’Europe?
Cette interrogation aura un début de réponse après la période de deux semaines que les Européens se sont donnés pour affiner leurs réflexions et leurs stratégies. D’ailleurs, les autorités françaises auront dans les prochaines semaines plusieurs occasions diplomatiques internationales pour tenter de concevoir une nouvelle stratégie et contrer la nouvelle donne politique dans cette région.
Trois leviers paraissent à portée d’activités diplomatiques françaises pour tenter de conjurer cette solitude d’action dont elle semble être frappée depuis cette épidémie de coups d’État au Sahel. Le premier est la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui dispose d’un arsenal de pressions économiques de proximité pour faire revenir les récalcitrants à la raison et à la modération.
Le second est le sommet annuel de l’Union africaine (UA), qui pourrait être l’occasion d’établir un périmètre de sécurité hygiénique autour des États tentés par les mésaventures de déstabilisation. Et le troisième est le grand sommet prévu mi-février à Bruxelles entre l’Union européenne présidée par la France et l’UA. Sommet historique dont l’ambition affichée est de créer une nouvelle doctrine de coopération entre l’Europe et l’Afrique.
Alors qu’elle est un acteur majeur dans la guerre contre le terrorisme dans cette région du Sahel, la France est aujourd’hui plus que jamais sous pression pour opérer des choix d’une grande sensibilité politique. Certains pays avec lesquels elle avait établi de solides alliances militaires exigent ouvertement leur révision au risque de paver le chemin à l’accès de certaines forces fondamentalistes au pouvoir, les putschistes étant tentés depuis toujours d’établir avec elles un deal de gouvernement. Cette tentation du partage du pouvoir entre militaires et groupes terroristes était d’ailleurs l’une des vives pommes de discordes entre Paris et certaines capitales du Sahel.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
TWITTER: @tossamus
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.