Le 4 février 2022, la flamme olympique devrait de nouveau s’allumer dans le «Nid d’oiseau», le fameux stade de Pékin qui accueillit, le 8 août 2008, les 29e Jeux olympiques (JO) d’été. Mais, cette fois, ce serait pour les 24e Jeux olympiques d’hiver qu’elle brillerait. Pour la première tenue des Jeux, Pékin avait attentivement choisi la date du 8 août – août étant le huitième mois – parce qu’elle était hautement symbolique: le chiffre 8 (八, prononcé ba) ressemble phonétiquement au son fa (发), qui signifie «riche».
Malheureusement, les Chinois ne sont pas les seuls à être sensibles au symbolisme des dates: le 4 février dernier, au moment où la famille olympique célébrait le «One Year To Go», sept sénateurs américains introduisirent un projet de résolution pour demander au Comité international olympique (CIO) de retirer l’organisation des Jeux d’hiver 2022 à la Chine, sur la base de «violations flagrantes des droits de l’homme». Ces sénateurs rejoignaient ainsi plusieurs associations qui appellent au boycott des Jeux de Pékin de 2022 et mettent la pression sur le CIO. Ambush marketing, écrivions-nous il y a peu dans ces mêmes colonnes
Mon inquiétude est que les méga-événements ne finissent par crouler sous ces tentatives de récupération et de détournement, qu’ils deviennent les cahiers de toutes les doléances.
Philippe Blanchard
Le boycott n’est pas une arme nouvelle dans le sport. On se souvient des Jeux de 1980, à Moscou, et ceux de 1984, à Los Angeles, durant lesquels les deux superpuissances de l’époque interdirent successivement à leurs athlètes nationaux de s’affronter pacifiquement.
Déjà, en 1976, vingt-neuf pays, pour la plupart africains, avaient boycotté les Jeux de Montréal pour sanctionner le CIO. En effet, ce dernier avait refusé d’interdire à la Nouvelle-Zélande l’accès aux JO après que son équipe nationale de rugby à XV se fut rendue en Afrique du Sud, au mépris des appels des Nations unies (!) en faveur d’un embargo sportif (!). Ironie du sort car, lors de l’élection de la ville-hôte pour l’année 1976, c’étaient les membres du CIO eux-mêmes qui avaient souhaité exprimer leur neutralité politique en désignant un outsider; et Montréal avait été élue contre Los Angeles et Moscou, déjà en compétition.
Avec la récente initiative américaine, quel enseignement tirer de cette nouvelle récupération politique? D’un côté, nos communautés réclament clarté et transparence, cohérence et ordre; et, de l’autre, ces sénateurs valident un véritable chaos avec leur volonté de récupérer l’image et la notoriété des méga-événements. L’objectif de ces partisans est double: profiter de la visibilité de l’événement pour eux-mêmes, puis mobiliser l’opinion publique et les sponsors sur des causes, même si ces dernières sont très éloignées de la nature de l’événement.
Force est de reconnaître l’efficacité de ce détournement: ces associations occupent la scène médiatique. Pour se défendre de toute participation à la confusion du sens et au désordre du monde, elles affirment que les efforts marketing de promotion des «valeurs du sport» ont trouvé leurs limites et qu’il faut les retourner contre le mouvement sportif. La «Weltanschauung olympique», cette vision d’un monde neutralisé et pacifié par le sport (Patrick Clastres), est devenue le terrain d’affrontement entre des intérêts antagonistes.
Mon inquiétude est que les méga-événements ne finissent par crouler sous ces tentatives de récupération et de détournement, qu’ils deviennent les cahiers de toutes les doléances. Je ne vois pas quelles sont les solutions si ce n’est de revenir honnêtement au dialogue et à l’écoute respectueuse, à l’éducation et à la distinction conceptuelle. Ces dernières permettent de mettre en évidence ce qui fait la teneur d’un concept, ses particularités, ce qui donne sens à un événement.
Pour éviter la surenchère dans la communication, il nous faut maintenant distinguer, élucider et critiquer les concepts. Afin de faire place au sens dans le désordre du monde, comme le disait la philosophe Hannah Arendt. Ce n’est qu’ainsi que le jugement pourra à nouveau aboutir à une action juste et qu’on évitera la cacophonie et l’inaction.
«Penser, pour Arendt, c’était s’arracher à la confusion commune en singularisant notre rapport aux choses. C’est le moyen de faire surgir du sens entre vie/monde/pluralité; penser/vouloir/juger; autorité/pouvoir/violence.» (Étienne Tassin). Et l’on pourrait ajouter: sport/valeurs/événement. Car, dans le cas contraire, je redoute que naissent de nouveaux affrontements entre des visions culturelles portées par des associations plutôt occidentales et des territoires en développement ou en mutation.
Est-ce que l’on peut associer l’aspect ludique, voire léger, de la compétition sportive et la dimension sérieuse, voire rébarbative, de l’éducation et de l’explication? Je le pense. Pour éviter que la confusion ne s’impose, l’éducation et le dialogue doivent revenir dans l’arène sportive. S’il s’agit d’un enjeu majeur pour les grands acteurs que sont aujourd’hui le Moyen-Orient, la Russie ou la Chine, c’est surtout une question de survie pour le CIO, la Fifa, le Bureau international des expositions (BIE) et d’autres organisations centrales (ou «faîtières») qui organisent des festivités. Ces dernières ont tout intérêt à accompagner et aider Expo 2020 Dubaï, la Coupe du monde 2022 au Qatar, les Jeux de Pékin 2022, l’Universiade d’été d’Ekaterinbourg 2023 – sous peine de se voir réduits à l’impuissance par tous ceux qui les utiliseront pour leurs propres causes. Et de laisser athlètes et participants être à nouveau sacrifiés sur l’autel politicien.
Philippe Blanchard a été directeur du CIO puis chargé du dossier technique de Dubaï Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation, des sports et e-sports du Futur.
Twitter: @Blanchard100
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.