DUBAÏ: Au moment où la communauté internationale pensait avoir un conflit de moins à affronter, les inquiétudes ont été ravivées lorsque la nouvelle des affrontements tribaux dans la région du Darfour au Soudan a éclaté. Une fois le calme revenu, au moins 250 vies avaient été perdues, des centaines de personnes avaient été blessées et plus de 100 000 Soudanais avaient été déplacés dans deux États différents.
On pointe du doigt le gouvernement conjoint militaro-civil du Soudan, qui a pris en charge le mois dernier la sécurité au Darfour assuré jusque-là par l’Organisation des nations unies (ONU) et la mission conjointe des Nations unies et de l'Union africaine au Darfour (Minuad), dont les soldats de la paix ont quelque peu contenu la violence dans la région au cours des treize dernières années.
Les experts pensent que l'annonce, à la suite d'une résolution du Conseil de sécurité des nations unies du 22 décembre 2020, de la fin de la mission de la Minuad a indirectement contribué à la dernière flambée de violence. Le 31 décembre, la force a officiellement mis fin à ses opérations et annoncé des plans de retrait progressif de ses quelque 8 000 personnels armés et civils dans un délai de six mois.
Les violences à Al-Geneina, capitale du Darfour occidental, ont commencé le 16 janvier sous forme de bagarres. Des membres de la puissante tribu arabe Rizeigat et de la tribu non arabe Massalit se sont affrontés, coûtant la vie à de nombreuses personnes, dont des enfants et des membres des forces de sécurité, selon le syndicat des médecins soudanais.
Une nouvelle flambée de violence, deux jours plus tard, dans le sud du Darfour, entre les Rizeigat et la tribu non arabe Falata à la suite du meurtre d'un berger, a fait des dizaines de morts supplémentaires et a causé une nouvelle vague de déplacements. Les Falata sont des éleveurs de bovins et de chameaux dont les racines remontent aux Peuls d'Afrique occidentale.
En bref
- La Minuad a officiellement mis fin aux opérations au Darfour le 31 décembre 2020
- Le gouvernement soudanais a pris la responsabilité de la protection des civils dans la région
- La Minuad a annoncé le retrait progressif de 8 000 personnels armés et civils dans un délai de six mois
Selon le Haut-Commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR), ceux qui fuient la violence dans la province d’Ouaddaï, dans l’est du Tchad, ont été contraints de chercher refuge dans des endroits reculés dépourvus de services élémentaires ou d’infrastructures publiques.
Rétrospectivement, les mises en garde des groupes de la société civile, des dirigeants locaux et des experts sur les conséquences de la décision de la Minuad se sont révélées exactes. Craignant une recrudescence des violences, les habitants du Darfour ont également organisé des manifestations à la fin de décembre pour protester contre le départ des soldats de la paix.
Pour eux, ce n’est pas seulement le manque d'expérience du gouvernement d’Abdallah Hamdok qui est préoccupant. Le calme qui régnait depuis l’arrivée de la Minuad n’était guère révélateur de la situation sur le terrain.
Alors que le conflit principal s'est apaisé au fil des années, la violence ethnique et tribale éclate encore périodiquement, impliquant principalement des pasteurs arabes semi-nomades et des agriculteurs sédentaires.
«Les combats n’ont pas été aussi soudains que les gens le pensaient; il y a eu par exemple des affrontements en décembre», a déclaré à Arab News Jonas Horner, analyste principal du Soudan à l'International Crisis Group.
«En réalité, la violence n’a jamais cessé au Darfour ces derniers mois, et cela contredit le postulat selon lequel la sécurité s’est suffisamment améliorée pour que la Minuad puisse partir. Je pense que le pic de violence du moment est directement causé par le retrait de la Minuad au Darfour. La violence a en effet explosé deux semaines seulement après la fin de sa mission.»
Pour être parfaitement honnête, la décision de l'ONU de retirer les soldats de la paix du Darfour a été prise sur la base des promesses faites par les autorités de Khartoum. «Je pense que c'est aussi une chose à noter, bien sûr: le gouvernement n'a pas réussi son premier test d’assurer la sécurité», précise Jonas Horner. «C'était la période durant laquelle ils étaient censés prendre la relève de la Minuad afin d’assumer la responsabilité essentielle de la sécurité des Darfouriens.»
La confiance du gouvernement soudanais dans sa capacité à prendre en charge la sécurité du Darfour découle probablement d’un accord de paix signé en octobre dans la capitale du Soudan du Sud, Juba, par la plupart des groupes en guerre, qui les oblige à déposer leurs armes.
Deux groupes ont refusé de rejoindre l'accord de paix, notamment la faction du Mouvement de libération du Soudan (MLS) dirigée par Abdelwahid Nour, qui bénéficierait d'un soutien considérable au Darfour.
Bien que les affrontements au Darfour occidental et au Darfour Sud ne semblent impliquer aucun des signataires de l’accord de paix, une combinaison de pauvreté, de conflits ethniques et de violence a laissé la région inondée d’armes et sa population divisée par des rivalités territoriales et d’accès à l’eau.
Amani al-Taweel, chercheur et expert des affaires soudanaises au Centre des études politiques et stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, affirme que les autorités de Khartoum n'ont pas déployé les forces de sécurité en temps opportun au Darfour, malgré le passif de la région en matière de conflits tribaux et ethniques, susceptibles de déclencher des conflits plus larges.
«Les tensions persistantes et ancrées depuis longtemps au Darfour ont été aggravées par l'entrée de nouveaux groupes d'Afrique de l'Ouest, l'absence de résolution globale et l'absence de l'une des milices les plus importantes de la liste des signataires de l'accord de Juba», a expliqué Amani al-Taweel à Arab News. «La combinaison de tous ces facteurs rend la situation au Darfour très explosive.»
Le Darfour est devenu synonyme de nettoyage ethnique et de génocide depuis que le conflit a éclaté en 2003, faisant environ 300 000 morts et 2,5 millions de personnes déplacées, selon l'ONU. Les récents combats à Al-Geneina étaient localisés autour d'un camp de personnes déplacées à cause du conflit.
La guerre a éclaté lorsque les rebelles des minorités ethniques du Darfour se sont soulevés contre le gouvernement islamiste du dictateur Omar al-Bachir, qui a répondu en recrutant et en armant une milice à domination arabe connue sous le nom de «Janjawid.»
Depuis le renversement d’Omar al-Bachir en avril 2019 à la suite de manifestations à grande échelle contre son gouvernement, le Soudan connaît une transition fragile. La justice pour le peuple du Darfour a été un cri de ralliement essentiel pour les groupes civils qui ont soutenu la destitution de Bachir après près de trois décennies au pouvoir.
Le Conseil militaire de transition qui l'a remplacé a transféré le pouvoir exécutif en septembre 2019 à un Conseil mixte de souveraineté civilo-militaire et à un Premier ministre civil, Abdallah Hamdok.
Omar al-Bachir, désormais poursuivi par la Cour pénale internationale pour génocide et crimes de guerre présumés, est actuellement détenu et jugé à Khartoum. Mais comme le montre la dernière flambée de violence au Darfour, les blessures de la guerre mettront du temps à cicatriser.
«En théorie, l'accord de paix de Juba est la principale issue pour sortir de ce type de violence», a déclaré Jonas Horner à Arab News, ajoutant qu'il ne peut y avoir de solution militaire à un conflit dont les racines résident dans des différends sur le partage des terres, de l'eau et des ressources.
«Le gouvernement soudanais a dépêché une délégation de haut niveau à Al-Geneina et dans ses environs, qui comprendra principalement des militaires. C’est encore une fois une solution militaire, qui, à mon avis, ne sera pas une réponse durable au problème.»
Jonas Horner, analyste à l'International Crisis Group
«Il est nécessaire de faire appel aux dirigeants de l'administration locale, qui seront très désireux de mettre fin à la violence. Il est vrai cependant que certaines milices reconnues sont impliquées dans les derniers combats et seront beaucoup moins susceptibles de recevoir des ordres des dirigeants des administrations locales.»
Compte tenu de l’abondante bonne volonté actuelle envers le Soudan, les pays étrangers pourraient-ils jouer un rôle dans le désamorçage de la situation au Darfour? «Du point de vue de la sécurité, il est probablement trop tard pour que la communauté internationale intervienne», précise Jonas Horner. «Le Conseil de sécurité a mis fin au mandat de la Minuad», déclare-t-il, ajoutant que la nouvelle Mission intégrée des nations unies pour l'assistance à la transition au Soudan (Minuats) couvre tout le pays, pas seulement le Darfour.
«Minuats relève du chapitre 6 de la mission de l'ONU, ce qui signifie qu'il n'inclut pas de présence armée. Il reste des soldats de la Minuad afin d’assurer la supervision et la mission de protection pendant la période de retrait, mais je ne pense pas qu’ils seraient utilisés pour soutenir une opération de maintien ou de rétablissement de la paix à Al-Geneina ou au Darfour Sud.»
Dans l’ensemble, le gouvernement Hamdok a été salué pour avoir pris des mesures audacieuses afin d’ouvrir la voie à la reprise politique et économique du Soudan. Le récent retrait du Soudan par les États-Unis de sa liste des États soutenant le terrorisme permettra au pays d'avoir accès aux fonds et investissements internationaux, y compris le Fonds monétaire international.
Des problèmes et des conflits du type de ceux qui ont conduit au nouveau carnage au Darfour ont toutefois le potentiel d'annuler bon nombre de progrès réalisés depuis l'éviction d’Omar al-Bachir.
Twitter: @jumanaaltamimi
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com