Alors que la pandémie du coronavirus (COVID-19) continue à faire rage dans le monde, les gens doivent s’habituer à apprendre à côtoyer une incertitude et un changement continus. Heureusement, le cerveau humain a la capacité de suivre un raisonnement de haut niveau qui considère les risques et évalue un contexte en changement. Malheureusement, la grande majorité de la pensée humaine est toutefois plus binaire, et lutte pour s’adapter au changement. Cela représente une difficulté majeure pour gérer la pandémie.
De nombreux psychologues parlent du ‘’Système 1’’ et du ‘’Système 2’’ de la connaissance humaine. Le Système 1 régit la plus grande partie de la pensée humaine; il agit rapidement, souvent de manière automatique ou inconsciente. Le Système 1 pense souvent en termes binaires – choisir ceci ou cela. Le Système 2 est responsable du haut niveau de raisonnement. Une façon similaire quoique légèrement différente d’envisager la différence dans les types de raisonnement est l’approche du psychologue social Jonathan Haidt : l’intuition et le raisonnement. Haidt affirme que l’intuition régit la plus grande partie du comportement humain; que le raisonnement peut contrôler l’intuition, mais qu’il est le plus souvent utilisé pour justifier les choix qu’une personne privilégie intuitivement.
Le Système 1 a d’énormes avantages pour la survie humaine et la fonctionnalité. Quand des adultes traversent une rue, ils ont appris à ignorer les bruits des oiseaux, des arbres, et d’autres choses distrayantes, et se concentrent en contrepartie sur les voitures qui approchent. La pensée binaire nous aide à prendre des décisions rapides, comme de quel côté tourner lorsque nous conduisons. Il n’y a rien de mauvais dans le Système 1 ou la pensée intuitive – tant que nous permettons au raisonnement de haut niveau de contrôler nos systèmes primaires, en particulier quand nous faisons face à une situation complexe.
La pandémie représente un défi de taille pour la connaissance humaine. Il est relativement facile pour les gens de comprendre un choix clair et net entre une quarantaine totale et une ouverture totale. Il est beaucoup plus difficile pour les gens d’admettre la nécessité de prendre constamment des décisions nuancées, spécialement dans le cadre d’un contexte informationnel en changement continu. Il est difficile de prendre des décisions de façon répétée sur le fait de rendre visite à la famille, d’envoyer les enfants à l’école, de manger dans un restaurant, de participer à une manifestation, de faire ses achats sur place ou en ligne, et ainsi de suite. Nous avons continuellement à créer l’équilibre entre la pandémie et le besoin de travailler, d’élever les enfants, de communiquer avec les personnes que nous aimons, et d’entreprendre des activités normales. Il est même plus difficile d’évaluer constamment les risques et les avantages de telles activités de base lorsque les risques changent fréquemment, du fait que le virus s’étend ou recule, et que la connaissance scientifique du virus s’accroît.
En effet, maintenir une compréhension nuancée des risques et avantages quotidiens par rapport aux activités normales durant une pandémie s’est avéré être trop ardu et stressant pour de nombreuses personnes. Presque partout dans le monde, nombreux sont ceux qui ont choisi soit de maintenir une forme indéfinie de quarantaine, soit de faire fi de toute prudence. Certaines personnes ont choisi de fréquenter uniquement la famille, d’assurer l’enseignement des enfants en ligne ou chez eux, et de faire leurs courses uniquement sous forme de livraisons à domicile. Il y a en effet des gens dont les conditions de santé nécessitent de telles décisions, ce qui, dans des régions enregistrant un niveau élevé de virus, pourrait être requis ou conseillé. Pour certains, c’est le moyen le moins stressant d’éviter une évaluation constante du risque.
A l’autre extrémité de l’éventail, se trouvent les personnes qui ont choisi d’ignorer tous les risques. En Europe, aux Etats-Unis et au Brésil, il y a eu des exemples de gens envahissant les plages sans masques ni distanciation sociale, ou se rendant dans des bars tout en refusant de porter un masque. Leur désir de faire fi des précautions est compréhensible, mais il représente un obstacle majeur pour contrôler la propagation du COVID-19.
Dans certains endroits, les controverses sur la politique à appliquer traduisent l’épuisement par rapport aux nuances requises pour trouver un équilibre entre des besoins humains de base et la nécessité de lutter contre la pandémie. A titre d’exemple, les écoles devraient-elles être entièrement ouvertes, ou entièrement en ligne, les masques nous protègeront-ils ou sont-ils complètement inutiles. Dans certaines situations spécifiques, certaines de ces réponses pourraient être les bonnes. Dans la plupart des cas, toutefois, une approche plus nuancée serait opportune.
Les nuances sont importantes pour transmettre des messages sur la santé publique. Comme le relevait un récent article du New York Times, ‘’dans leur volonté d’affirmer leur autorité, les experts de la santé publique ont altéré la confiance en ne communiquant pas correctement l’incertitude,’’ en se référant à l’Organisation Mondiale de la Santé aussi bien qu’aux experts à l’échelle nationale. Lorsque les experts de la santé publique communiquent un message clair qui fait franchement part des incertitudes, celui-ci est plus efficace que le fait de communiquer un message fort – comme d’affirmer que les masques ne sont pas utiles ou que le virus ne s’étend pas de manière asymptomatique – et de changer ensuite le message plus tard. Garantir la confiance dans un message de santé publique sera extrêmement important pour une campagne de vaccination efficace dans le futur.
Les dirigeants politiques et les responsables de la santé publique qui veulent que leurs conseils soient pris au sérieux doivent utiliser des nuances. Alors que notre cerveau préfère des réponses claires et nettes, nous savons également que de telles réponses ne sont souvent pas crédibles. Les dirigeants devraient aider la population avec des règles claires lorsque cela est nécessaire (Comme le port du masque dans les lieux publics) et avec des mesures plus nuancées lorsqu’il existe des incertitudes ou lorsque les communautés et les individus doivent faire davantage d’analyses coûts-bénéfices (comme la question de la réouverture des écoles et du retour au travail).
Par ailleurs, les personnes ont la responsabilité d’essayer de maintenir une approche nuancée par rapport à leur propre conduite, en prenant constamment en considération les coûts et les avantages des décisions concernant la vie quotidienne durant la pandémie, ainsi que leur responsabilité envers leur communauté et leur famille. Nous devons être prêts à changer ces analyses coûts-bénéfices, alors que les effets du virus changent et que l’information sur la pandémie évolue. Ceci ne sera pas aisé, mais les êtres humains sont capables de raisonnement difficile et de haut niveau lorsqu’ils choisissent de se mettre au travail.
Kerry Boyd Anderson est écrivaine et conseillère en risque politique avec plus de 16 ans d’expérience en tant qu’analyste professionnelle des questions de sécurité internationale, et de risque politique et des affaires au Moyen-Orient.
Elle a également occupé le poste de vice-directrice conseil auprès de Oxford Analytica ainsi que rédactrice en chef de Arms Control Today.
Twitter : @KBAresearch
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com