La décision des États-Unis de frapper plusieurs cibles en Irak et en Syrie ces derniers jours, à la suite d’une attaque contre les troupes américaines en Jordanie, qui a tué trois soldats, reflète à la fois la politique étrangère et les réalités de la politique intérieure. Le président américain, Joe Biden, a été critiqué par les républicains pour ne pas avoir agi de façon plus rapide et plus énergique, tandis que certains démocrates appelaient à la prudence. Si l’attaque contre les soldats américains et la réaction des États-Unis présentent de nouveaux risques d’escalade dans des moments de fortes tensions régionales, la situation est également le reflet de l’attitude de longue date de Washington à l’égard de l’Iran au niveau politique.
Les politiciens républicains et démocrates ont des bilans mitigés quant à leur politique à l’égard de l’Iran depuis la révolution de 1979. Comme l’écrivait Jay Solomon dans The Iran Wars, «le bellicisme de l’Iran a suscité une stratégie schizophrénique des États-Unis à l’égard de Téhéran au cours des trente-cinq dernières années».
En règle générale, les républicains ont l’attitude la plus belliqueuse. Les politiciens républicains exigent depuis longtemps que le président américain fasse preuve de force et de rigueur envers l’Iran. Cependant, en réalité, la politique des républicains a tendance à refléter à la fois plus de pragmatisme et d’incohérence que leur discours.
Lorsque la révolution iranienne a eu lieu en 1979, le président, Jimmy Carter, un démocrate, était à la Maison-Blanche. Son incapacité à libérer les Américains pris en otage à Téhéran a contribué à sa défaite électorale face à Ronald Reagan l'année suivante. Au cours de la campagne, M. Reagan avait blâmé la «faiblesse et l’hésitation» de M. Carter ayant conduit à la crise des otages, et il avait assuré qu’«aucun dictateur n’oserait faire une telle chose s’il était président». En guise d'injure finale à Jimmy Carter, que de nombreux Iraniens détestaient pour avoir permis au chah déchu d'entrer aux États-Unis, et pour avoir tenté une intervention militaire en territoire iranien, le gouvernement iranien a libéré les otages le jour de l'investiture de Ronald Reagan en tant que président.
«En réalité, la politique des républicains a tendance à refléter à la fois plus de pragmatisme et d’incohérence que leur discours.»
Kerry Boyd Anderson
M. Reagan est arrivé au pouvoir porté par une vague d’enthousiasme à l’égard de la puissance américaine, promettant de défendre avec énergie les intérêts américains. Cependant, au cours de ses deux mandats, la politique de son administration à l’égard de l’Iran a montré une volonté de travailler discrètement avec Téhéran lorsque cela servait les intérêts de Washington. Alors que l’administration Reagan soutenait principalement l’Irak dans la guerre Irak-Iran, avec un engagement dans la guerre des pétroliers contre l’Iran, elle a également vendu secrètement des missiles à l’Iran dans ce qui est devenu une partie du scandale Iran-Contra.
Dans son discours d’investiture en 1989, George H.W. Bush a indiqué que les États-Unis feraient preuve de «bonne volonté» envers ceux qui contribueraient à libérer «les Américains détenus contre leur gré dans des pays étrangers». Alors que plusieurs Américains étaient détenus au Liban par le Hezbollah, lié à l’Iran, nombreux sont ceux qui ont interprété les paroles de M. Bush comme une proposition d’étendre cette bienveillance envers Téhéran si cela pouvait contribuer à garantir la libération des otages. George H.W. Bush a adopté une approche pragmatique à l’égard de l’Iran, mais le mécontentement suscité par la crise des otages au Liban, les mesures des États-Unis pour limiter l’influence iranienne en Irak après la première guerre du Golfe, ainsi que d’autres problèmes, ont sapé tout effort de conciliation. Cependant, M. Bush n’a montré aucun empressement à s’attaquer à l’Iran.
En 2002, le président George W. Bush a qualifié l’Iran d’«axe du mal», aux côtés de l’Irak et de la Corée du Nord, sachant que son administration comprenait des faucons connus pour être anti-Iraniens. Certains des néoconservateurs qui ont fait partie de son administration, ou bien ont exercé de l’influence sur elle, considéraient le renversement du régime iranien comme le but ultime dans la région, et ils croyaient même que le renversement de Saddam Hussein en Irak déclencherait une série d’événements qui entraîneraient la chute du régime de Téhéran. Le vice-président, Dick Cheney, aurait exhorté le président à envisager de frapper des cibles en Iran en réponse au soutien iranien aux militants en Irak qui attaquaient les forces américaines. M. Bush a également ordonné à l’armée «d’étudier ce qui serait nécessaire pour une frappe» contre les centrales nucléaires en Iran.
L’administration Bush n’a toutefois pas attaqué directement l’Iran. Le président aurait plutôt empêché Israël d’attaquer un site nucléaire iranien. Alors que l’administration comprenait des faucons qui voulaient frapper le territoire iranien, d’autres hauts responsables craignaient que les conséquences aillent à l’encontre des intérêts américains. Ce dernier groupe a préféré se concentrer sur une action militaire contre les militants soutenus par l’Iran en Irak, tout en recourant à des actions secrètes et à des sanctions économiques contre Téhéran.
«Lorsque les républicains étaient aux commandes de la politique étrangère américaine, ils ont jusqu’à présent évité les frappes militaires sur le territoire iranien.»
Kerry Boyd Anderson
Lors de sa campagne présidentielle, Donald Trump a critiqué le président, Barack Obama, pour avoir conclu un «mauvais accord» avec l’Iran lorsqu’il avait accepté le Plan d’action global commun (PAGC), et il a promis qu’il adopterait une approche plus dure. Alors que certains républicains autour du président Trump – notamment John Bolton, brièvement conseiller à la sécurité nationale, et le secrétaire d’État, Mike Pompeo – voulaient entreprendre une action militaire directement contre l’Iran, M. Trump ne voulait pas s’engager dans une autre guerre au Moyen-Orient. Donald Trump était davantage concentré sur la perspective de négocier un bien meilleur accord avec l’Iran.
M. Trump aurait été très près d’attaquer des sites en Iran en 2019, mais il aurait ensuite annulé ses plans. Son administration a renforcé les sanctions contre l’Iran et pris des mesures militaires visant les intérêts iraniens dans la région – notamment l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani au cours des derniers jours du mandat de Donald Trump – mais elle n’a pas attaqué directement l’Iran.
Aujourd’hui, les dirigeants républicains appellent de nouveau à des mesures sévères contre l’Iran. Certains – comme les sénateurs Lindsey Graham et Tom Cotton et, encore une fois, M. Bolton – exhortent même à attaquer directement le territoire iranien. Le discours belliciste contre Téhéran est un thème fréquent pour les républicains, surtout lorsqu’ils peuvent l’utiliser pour dépeindre un président démocrate comme étant faible. Cependant, lorsque les républicains étaient aux commandes de la politique étrangère américaine, ils ont jusqu’à présent évité les frappes militaires sur le territoire iranien.
Les présidents républicains et démocrates étaient disposés à s'engager dans des opérations secrètes, des guerres avec des forces supplétives iraniennes, des affrontements navals et des sanctions économiques, mais la plupart des dirigeants républicains – et notamment le probable candidat républicain à la présidence en 2024, M. Trump – ne veulent pas d'une guerre directe avec l'Iran.
Kerry Boyd Anderson est une analyste spécialisée dans les questions de sécurité internationale et de risque politique et des affaires au Moyen-Orient.
X: @KBResearch
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com