Enjeux et implications de la reconnaissance de l’État palestinien par la France

Le président français Emmanuel Macron et le directeur de l'IMA Jack Lang tiennent une carte de la Palestine alors qu'ils visitent l'exposition « Trésors sauvés de Gaza » à l'Institut du monde arabe (IMA), à Paris, le 14 avril 2025. (AFP)
Le président français Emmanuel Macron et le directeur de l'IMA Jack Lang tiennent une carte de la Palestine alors qu'ils visitent l'exposition « Trésors sauvés de Gaza » à l'Institut du monde arabe (IMA), à Paris, le 14 avril 2025. (AFP)
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Publié le Mercredi 23 avril 2025

Enjeux et implications de la reconnaissance de l’État palestinien par la France

Enjeux et implications de la reconnaissance de l’État palestinien par la France
  • Macron espère que la reconnaissance de l’État de Palestine entraînerait celle d’autres pays européens et occidentaux
  • Les choix de Macron seraient dictés par sa volonté de renforcer la crédibilité de la France auprès des pays arabes 

Inattendue, l’annonce faite le 8 avril par Emmanuel Macron au sujet d’une possible reconnaissance de l’État palestinien par la France a pris de court une partie de la classe politique à Paris, ainsi que le gouvernement israélien. La réaction virulente de Yaïr Netanyahou, fils du Premier ministre israélien à l’encontre du président français exacerbe les liens déjà tendus entre la France et Israël. Toutefois, il est légitime de s’interroger sur les raisons et la pertinence de ce changement de politique à l’Élysée, ainsi que ses effets et ses répercussions.

Bien que douze pays de l’Union européenne reconnaissent l’État palestinien, la décision de la France serait un geste symbolique ou un chemin vers une solution à deux États? 

Les évolutions de la démarche de Macron

En pleine guerre de Gaza, en mai 2024, la France avait refusé de se joindre, il y a près d’un an, à la reconnaissance d’un État palestinien par l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, en estimant que dans l’état actuel des choses, les conditions requises selon le droit international ne sont pas réunies. En effet, la qualité d’État implique un territoire, une population et une autorité effective. Ainsi, la diplomatie française justifie l’attentisme pour acter la reconnaissance d’un État palestinien, par le fait que la situation sur le terrain (tragédie de Gaza, occupation, colonisation et découpage de la Cisjordanie) indique qu’on est en face d’une «réalité virtuelle». Pour cela, Paris avait jusqu’à présent considéré que la reconnaissance d’un État palestinien viable devrait être admise par Israël lui-même à la suite d’un dialogue entre Israéliens et Palestiniens, un État «ne menaçant pas la sécurité d’Israël».

L’hésitation française s’explique par le désintérêt observé depuis des années de la part de la communauté internationale pour le conflit israélo-palestinien (dont la France reléguait de ses priorités depuis 2017, bien qu’elle soit le pays pionnier en Europe à reconnaître la cause palestinienne et l’OLP depuis le milieu des années 1970). Hélas, c’est l’attaque du 7 octobre qui a remis la question palestinienne sur le devant de la scène diplomatique internationale et incite les acteurs régionaux et internationaux à plaider de nouveau pour la seule alternative à leurs yeux: la solution à deux États.

Ces changements ont conduit la France à revoir sa position en franchissant de premiers pas dans la direction d’un État palestinien en votant pour les deux résolutions des Nations unies – au Conseil de sécurité le 18 avril 2025 et à l’Assemblée générale le 10 mai – qui attribuaient un siège plein et entier à la Palestine à l’Assemblée générale de l’ONU (la décision a été bloquée par un véto des États-Unis lors du vote au Conseil de sécurité).

Cette évolution de la position française répond à une tendance générale dans ce sens, car 147 pays dans le monde, soit 75% des membres de l’ONU – mais aucun membre du G7 – ont déjà reconnu l’État palestinien. Pour cela, l’annonce de Macron avant la tenue de «L'Alliance internationale pour la mise en œuvre de la solution à deux États», présidée conjointement par l’Arabie saoudite et la France, revêt de l’importance. Si elle se confirme, cette décision française serait une évolution géopolitique majeure concernant le Moyen-Orient.

Les réactions à l’annonce de Macron 

Aussitôt prononcées, les déclarations du président français ont suscité un débat sur le plan national, et un rejet du gouvernement israélien. La France fut partagée entre une partie de la classe politique favorable à la démarche compte tenu de son positionnement quant au «soutien traditionnel à la cause palestinienne», et une autre partie (plutôt de la droite et de l’extrême droite) qui dénonce l’annonce en estimant que procéder maintenant à la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État serait «apporter une récompense au Hamas» (l’Autorité nationale palestinienne et le Hamas ont salué l’acte promis). Mais, l’entourage de Macron dément toute complaisance et avance que la motivation qui a poussé le président se résume par la nécessité de «sortir de l’impuissance, de l’inaction et de la léthargie dans le dossier palestinien». Rappelons que l’argument employé pour justifier le retard consistait à attendre le moment opportun et l’acceptation israélienne pour passer à l’acte. Il fut dépassé par l’acharnement israélien lors de la guerre destructrice de Gaza et les violations en Cisjordanie. Ainsi, inscrire la question palestinienne à l’agenda diplomatique international apparaît comme la seule réponse pertinente pour préserver le mince espoir des Palestiniens et éviter que la solution à deux États – encore perçue comme la seule issue réaliste – ne soit définitivement enterrée.

Cependant, Israël réagit vigoureusement à l’encontre de la démarche française et aucune voix influente n’a apporté son soutien. En revanche, l’attaque de Yaïr Netanyahou, fils du Premier ministre israélien, fut frontale contre Emmanuel Macron, en allant jusqu’au soutien de «l’indépendance des DOM-TOM et de la Corse» et «la fin de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest». Dans le même sillage le PM israélien , B. Netanyahou a clairement exprimé son rejet de cette voie, déclarant que «l'établissement d'un État palestinien représente un grand encouragement au terrorisme», réitérant son opposition à tout règlement politique basé sur l'établissement d'un État palestinien. Malgré les réticences internes et le refus catégorique d’Israël, le président français Emmanuel Macron maintient sa position. Il inscrit son initiative dans le cadre des efforts déployés par Paris en faveur d’un «accord global» au Moyen-Orient, qui inclurait la libération de tous les otages, un cessez-le-feu durable à Gaza, ainsi qu’un retrait total des forces israéliennes de l’enclave. En contrepartie, cet accord prévoirait une double reconnaissance: celle de l’État palestinien par la France, et celle d’Israël par plusieurs pays arabes et musulmans.

La portée du geste et les perspectives 

En contrepartie de la reconnaissance française, Emmanuel Macron a précisé qu’il entendait «déclencher une série d’autres reconnaissances… mais aussi la reconnaissance d’Israël par des États qui aujourd’hui ne le font pas». Mais, au vu de l’actualité internationale et de la symbiose entre Trump et Netanyahou, et tout particulièrement des récents développements du conflit israélo-palestinien, on doute fort de la réussite du pari de Macron.

Pour cela, il convient de se demander si le président français ira jusqu’au bout de son annonce lors de la conférence de «l’Alliance pour la solution à deux États». Le premier obstacle réside dans la liaison entre la reconnaissance par la France et une dynamique de reconnaissances mutuelles, ce qui n’est pas acquis compte tenu de l’attitude actuelle du gouvernement israélien qui n’encourage aucune action dans ce sens. 

En plus, il y d’autres éléments qui compliquent toute perspective réelle: le refus vigoureux de l’actuel gouvernement israélien et de l’extrême droite israélienne; la position tiède et réservée des autres partis israéliens; la situation délicate de l’Autorité palestinienne; et l’insistance du Hamas à contrôler la bande de Gaza. Il faut encore y ajouter l’alignement de l’administration de Donald Trump sur la coalition israélienne au pouvoir.

Il est probable que Macron cherche à reconnaître l’État de Palestine tant qu’il est encore temps. Il espère également qu’un tel geste incitera d’autres pays européens et occidentaux à suivre le mouvement, et qu’il aura un impact concret sur la scène diplomatique internationale. Mais, il faut souligner que les choix de Macron ne seraient pas uniquement dictés par l’intérêt accordé à l’affaire israélo-palestinienne, mais aussi par sa volonté de renforcer la crédibilité de la France auprès de pays arabes (notamment l’Arabie saoudite, l’Égypte et les pays arabes du Golfe) et de servir de pont entre l’Ouest et le Sud. 

Khattar Abou Diab est politologue franco-libanais, spécialiste de l'islam et du Moyen-Orient, Directeur du « Conseil Géopolitique -Perspectives». 

X: @abou_diab

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.