Aoun... un président à la reconquête du Liban

Le général Joseph Aoun a été élu président du Liban et s'est vu confier la mission de restaurer la République. (AFP)
Le général Joseph Aoun a été élu président du Liban et s'est vu confier la mission de restaurer la République. (AFP)
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Publié le Mardi 14 janvier 2025

Aoun... un président à la reconquête du Liban

Aoun... un président à la reconquête du Liban
  • Le discours d'investiture de Joseph Aoun a ravivé le rêve de restaurer l'État
  • Il a parlé de l'État qui récupère tous ses droits, y compris en limitant la possession d'armes à ses institutions

Je me trouvais chez l'homme politique et éditeur irakien Fakhri Karim à Damas. Un visiteur, qui semblait usé par la déception, est arrivé. J'ai essayé de le persuader de se remettre au journalisme après une longue pause. Mes amis m'ont prévenu qu'il était difficile de traiter avec lui. Mais je le considérais comme un écrivain unique et c'était un honneur de publier ses œuvres.

Le poète Mohammed al-Maghout m'a souri et m'a dit: «Vous voulez que je me remette à l'écriture? Ma plume est lasse de ce que j'écris. Je suis moi-même fatigué. Que puis-je bien écrire dans ce chaos transfrontalier et cette destruction dont nous sommes témoins?»

Commentant un entretien que j'avais eu avec Bachar el-Assad, Al-Maghout a souri à nouveau et a dit: «Faites attention. Ce lionceau est le fils de ce lion (Assad signifie lion en arabe)». Il ne s’est pas étendu sur le sujet, mais son regard en disait long. Ce régime ne peut être réformé. Avant de partir, il m'a conseillé de ne pas «tomber dans le piège de l'espoir».

Ces dernières semaines, j'ai souvent évoqué Al-Maghout. Je me suis souvenu de lui la première fois qu'Ahmad al-Charaa est apparu sur la place de la mosquée des Omeyyades à Damas pour annoncer la chute de plus d'un demi-siècle de régime des Assad. Je l'ai de nouveau évoqué lorsque la République libanaise à la dérive a élu le commandant de l'armée, le général Joseph Aoun, au poste de président, lui confiant la mission de restaurer la République et de faire renaître l'espoir de construire l'État après des décennies de ruine.

Ces dernières années, le Liban a été le témoin d'un terrible glissement vers la ruine. Il a connu de longues années d'humiliation et de pauvreté. Plus l'État s'est fragmenté, plus le peuple libanais s'est retrouvé isolé et orphelin. Les Libanais et les non-Libanais ont perdu leurs économies dans les banques lors de l'effondrement financier. Les citoyens ont fait la queue devant les banques pour mendier une poignée de dollars. Les agences de presse mondiales ont diffusé des images de Libanais fouillant les poubelles à la recherche de quelque chose qui pourrait apaiser leur faim. Pour la première fois dans l'histoire du pays, des jeunes se sont jetés dans les «bateaux de la mort» pour échapper au chômage et à la faim.

Son intégrité a encouragé les amis du Liban à aider l'institution militaire et à l'empêcher de s'effondrer

                                                Ghassan Charbel

Aoun craignait que l'armée ne s'effondre, mais son intégrité a encouragé les amis du Liban à aider l'institution militaire et à l'empêcher de s'effondrer sous le poids de la pauvreté, alors que l'État est dans le coma. Depuis son bureau de Yarzé, Aoun a pris des décisions audacieuses. Il a refusé de réprimer les manifestations contre l'élite politique à l'origine de ce chaos. Il a également empêché le pays de sombrer dans la guerre civile.

Les humiliations dont le peuple libanais était victime sont devenues quotidiennes. Enfreindre la Constitution est devenu la norme. Le Parlement et l'État ont sombré dans le chaos. Le pouvoir judiciaire est tombé entre les mains de ceux qui le minent. Le Liban a perdu ses amis régionaux et internationaux. Il a perdu son rôle et son sens. Il semblait que le patient libanais résistait à tous les traitements susceptibles de le sauver.

Avec le vide présidentiel qui a duré deux ans une fois de plus, il semblait que l'entité libanaise rendait son dernier souffle et que les segments qui composent sa société ne partageaient plus les mêmes principes et croyances qui leur permettraient de coexister sous le même toit.

Aoun n'a pas perdu espoir. Tout au long du vide, le Premier ministre intérimaire Najib Mikati a tenté de sauver ce qu'il pouvait des dernières bribes de l'État et de retarder l'effondrement imminent. Mais c'est alors que les surprises ont commencé à se produire. Yahya Sinwar a lancé l'opération Déluge d'Al-Aqsa et Hassan Nasrallah a ouvert le front de soutien un jour après le 7 octobre, après quoi tout s'est effondré.

L'envoyé américain Amos Hochstein a dû arrêter la machine de destruction israélienne. Le Liban n'a eu d'autre choix que d'accepter de revenir à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies. Les pratiques israéliennes après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu ont révélé l'ampleur du déséquilibre des forces. Benjamin Netanyahou a lancé une guerre pour changer la face du Moyen-Orient et sa machine militaire brutale a frappé de près et de loin, ciblant les mandataires de l'Iran et même l'Iran lui-même.

C'est alors que s'est produit le changement sismique. Assad est monté dans un avion qui l'a emmené en exil et Al-Charaa a pris sa place à Damas, tandis que l'influence iranienne dans la région diminuait.

Aoun est courageux et ne se laisse pas intimider. Il est honorable et sa volonté ne peut être brisée par les tentations

                                                Ghassan Charbel

La guerre qui s'est déroulée sur plusieurs cartes a modifié les rapports de force dans la région. Le Liban s'est trouvé confronté aux retombées du cessez-le-feu et au changement majeur en Syrie. Il lui faut trouver un homme qui croit en l'État, aux institutions et à l'État de droit, et qui n'a pas participé à la ruine du pays. La candidature de Joseph Aoun a commencé à prendre de l'ampleur.

Plusieurs blocs ne voulaient pas l'élire. Ils le considèrent comme un homme avec qui il est difficile de négocier. Il est courageux et ne se laisse pas intimider. Il est honorable et sa volonté ne peut être brisée par les tentations. Le large soutien interne dont il a bénéficié est venu s'ajouter à la volonté arabe et internationale d'aider le Liban à recouvrer son statut d'État.

Aoun a été élu. Son discours d'investiture a ravivé le rêve de restaurer l'État. Il a parlé d'unité et d'égalité dans un État de droit. Il a parlé de l'accord de Taëf, d'une neutralité positive et d'un système judiciaire indépendant. Il a parlé de l'État qui récupère tous ses droits, y compris en limitant la possession d'armes à ses institutions. Il a parlé de ce dont rêvait la grande majorité du peuple libanais. Le monde s'est rapidement empressé de soutenir le Liban.

Il ne sera pas facile de sauver le Liban de la ruine et il ne sera pas facile de faire revivre l'État. Il a besoin d'un soutien interne et externe. Il faut un réveil libanais qui soutienne l'intégrité et l'État de droit et qui comprenne la nécessité de prendre des décisions difficiles. Il ne s'agit pas seulement d'un test pour le nouveau président, mais d'un test pour l'ensemble du peuple libanais et des pouvoirs politiques. Il faudra faire preuve de patience. Les rôles qui dépassent les capacités du Liban et qui l'ont conduit à la ruine doivent être abandonnés.

Ghassan Charbel est rédacteur en chef du journal Asharq Al-Awsat. 

X: @GhasanCharbel

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com