BUDAPEST : Interdite d'activité sportive pendant la guerre en raison de ses origines juives, la gymnaste hongroise Agnes Keleti, décédée jeudi à l'âge de 103 ans, s'entraînait en cachette. Elle a ensuite décroché dix médailles olympiques à l'âge de 30 ans passés.
« Cela valait la peine de faire quelque chose de bien dans la vie, vu l'attention que j'ai reçue. J'ai des frissons quand je vois tous les articles écrits sur moi », soufflait-elle à l'AFP à l'occasion de son centième anniversaire.
Elle qui était la championne olympique la plus âgée au monde allait fêter ses 104 ans dans une semaine, mue jusqu'au bout par « une incroyable énergie », selon son fils, Rafael Biro-Keleti.
Agnes Keleti aura eu une vie digne d'un scénario de film. Elle est née le 9 janvier 1921 à Budapest sous le nom d'Agnes Klein, puis a pris un patronyme à consonance hongroise.
Appelée en équipe nationale en 1939, la reine des enchaînements au sol se fait vite exclure en raison de ses origines juives.
Après l'occupation de la Hongrie par le III^e Reich en mars 1944, elle échappe à la déportation en obtenant de faux documents et en prenant l'identité d'une jeune chrétienne, en échange de tous ses biens.
Réfugiée à la campagne, elle travaille comme domestique tout en s'entraînant secrètement sur les rives du Danube, durant son temps libre.
Son père et plusieurs membres de sa famille sont déportés et exterminés à Auschwitz, tandis que sa mère et sa sœur sont sauvées grâce au diplomate suédois Raoul Wallenberg.
- « Voir le monde » -
Après la guerre, elle reprend la compétition, mais c'est le faux départ à Londres en 1948 : une blessure met fin à ses efforts et les Jeux olympiques lui échappent à nouveau.
Il lui faudra encore quelques années pour remporter dix médailles olympiques, dont cinq en or aux JO d'Helsinki (1952) et de Melbourne (1956), toutes après l'âge de 30 ans.
Comme de nombreux athlètes hongrois, Agnes Keleti ne rentre pas chez elle après les épreuves australiennes, qui se déroulent quelques semaines après l'échec du soulèvement antisoviétique en Hongrie.
« J'ai fait du sport non pas parce que cela me faisait du bien, mais pour voir le monde », disait-elle en 2016.
Elle s'installe alors en Israël où elle épouse en 1959 un professeur de sport hongrois, Robert Biro, avec qui elle a eu deux enfants.
Après sa retraite sportive, Agnes Keleti travaille comme professeure d'éducation physique et entraîne l'équipe nationale israélienne.
Ce n'est qu'en 1983, pour les Championnats du monde de gymnastique, qu'elle retourne pour la première fois en Hongrie, alors toujours communiste. Elle y reviendra définitivement en 2015.
À l'occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, la France a souhaité « rendre hommage à ses éminents mérites » et lui a décerné la médaille d'or de la jeunesse, des sports et de l'engagement associatif en septembre.
« Merci pour tout ! », a écrit sur Facebook le Premier ministre hongrois Viktor Orban pour rendre hommage à la championne.
Selon le premier quotidien sportif du pays, Nemzeti Sport, c'est le Français Charles Coste, médaillé d'or de la poursuite par équipes en cyclisme sur piste aux Jeux de Londres en 1948, qui succède à Agnes Keleti comme doyen des champions olympiques. Âgé de cent ans, il était né le 8 février 1924 et avait porté la flamme lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Paris.