CHISINAU : La Moldavie a déjà commencé à éteindre ses lumières, et la Slovaquie menace l'Ukraine de représailles : l'annonce par Kiev de la fin du transit du gaz russe sur son territoire sème le trouble en Europe de l'Est.
Aucune livraison n'est prévue mercredi 1^(er) janvier, selon des données publiées mardi par l'opérateur ukrainien GTSOU, qui actent l'expiration d'un contrat établi en 2019 entre la compagnie Naftogaz et le géant russe Gazprom.
Dans ce contexte, le cours du gaz européen a atteint la barre symbolique des 50 euros le mégawattheure, un niveau jamais atteint depuis plus d'un an.
Si la dépendance du continent s'est nettement réduite depuis le début de la guerre en Ukraine, les États d'Europe de l'Est continuent toutefois à s'approvisionner fortement auprès de Moscou.
Une manne que le président Volodymyr Zelensky veut tarir en cessant d'acheminer le gaz en provenance de Russie.
Cet itinéraire représente en effet près d'un tiers du gaz russe vendu à l'Europe, détaille Phuc-Vinh Nguyen, chef du Centre énergie de l'Institut Jacques Delors.
Le reste est acheminé par le gazoduc TurkStream et son prolongement, Balkan Stream, sous la mer Noire, vers la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie, ou par cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL).
- « Chantage énergétique » en Moldavie.
La situation est la plus critique en Moldavie : cette ex-république soviétique a déclaré l'état d'urgence après l'échec des négociations avec Gazprom. Le groupe russe invoque un différend financier et refuse d'envisager d'autres routes à ce stade.
Dans la capitale, Chisinau, où la plupart des illuminations de Noël vont être éteintes, des habitants confient leur « peur ».
« C'est terrible, personne ne sait ce qui va se passer. J'ai acheté des bougies et un générateur », explique à l'AFP Cristina, une étudiante de 21 ans qui a refusé de donner son nom de famille.
Le groupe russe a déjà arrêté une grande partie de ses livraisons après le début de la guerre en Ukraine et n'alimentait jusqu'ici que la région séparatiste prorusse de Transdnistrie. Mais sa centrale thermique permet toujours de fournir 70 % de l'électricité consommée par tout le pays, l'un des plus pauvres d'Europe.
« Le Kremlin a une nouvelle fois recours au chantage énergétique afin d'influer sur les élections législatives de 2025 et de fragiliser notre trajectoire européenne », a réagi Maia Sandu, présidente de la République de Moldavie, réélue en novembre après un scrutin assombri par des accusations d'ingérences russes.
Elle a proposé « une aide humanitaire » aux habitants de Transdnistrie, qui vont se retrouver sans chauffage en plein hiver, mais les autorités locales ont refusé, espérant une résolution rapide du conflit.
Selon Alexandru Flenchea, un ancien responsable gouvernemental spécialiste de cette région, « la Transdnistrie n'est rien d'autre qu'un dommage collatéral » dans la stratégie de déstabilisation mise en œuvre par la Russie.
En utilisant « l'arme géopolitique du gaz », Vladimir Poutine « mène un travail de sape, il nourrit le ressentiment de la population pour faire en sorte d'infléchir le soutien à l'Ukraine et semer les graines de discorde au niveau européen », confirme Phuc-Vinh Nguyen.
Le gouvernement moldave a annoncé des mesures drastiques pour réduire la consommation d'électricité, notamment en limitant l'éclairage des bâtiments publics et l'usage des ascenseurs, et il envisage d'acheter l'électricité manquante auprès de la Roumanie voisine.
L'UE « préparée », la Slovaquie indignée.
L'Union européenne se montre quant à elle sereine, alors que les quelque 14 milliards de m^(3) transitant annuellement via l'Ukraine représentent seulement 5 % de ses importations totales de gaz.
« Le flux doit être stoppé au 1^(er) janvier et l'UE y est préparée », a déclaré mardi la Commission à l'AFP. Elle invoque des infrastructures européennes capables de transporter du gaz non russe « par d'autres voies ».
Dans un rapport publié mi-décembre, Bruxelles jugeait l'impact « limité ».
Après que l'Autriche a décidé, en décembre, de résilier son contrat à long terme avec Gazprom, seule la Slovaquie est affectée.
Son dirigeant, Robert Fico, crie au scandale et s'est rendu à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine.
« Accepter la décision unilatérale du président ukrainien est totalement irrationnel et erroné », a-t-il plaidé dans une lettre à Bruxelles, dénonçant « un impact financier majeur ».
En guise de représailles, le Premier ministre slovaque a menacé d'interrompre l'approvisionnement en électricité dont le pays a besoin pour faire face aux bombardements de ses infrastructures énergétiques.
La Hongrie, elle aussi restée proche du Kremlin, reçoit l'essentiel de ses importations de gaz russe via TurkStream et la décision de Kiev ne la touchera que marginalement.