Je me souviens avoir regardé le discours de Dominique de Villepin à l'ONU en 2003. M. de Villepin, alors ministre français des affaires étrangères sous la présidence de Jacques Chirac, avait exprimé l'opposition de Paris à la guerre en Irak. Ce discours a été prononcé lors d'une réunion tendue du Conseil de sécurité des Nations unies, au cours de laquelle les États-Unis et le Royaume-Uni cherchaient à obtenir le soutien de la communauté internationale pour une action militaire. Sa prestation m'a rappelé le film de Frank Capra "Mr. Smith Goes to Washington" - plus précisément la scène d'obstruction où James Stewart parle sans relâche au Sénat pendant 25 heures pour retarder l'adoption d'un projet de loi.
Bien qu'il ait occupé plusieurs fonctions sous Chirac, De Villepin a été Premier ministre de 2005 à 2007. Mais depuis le début de la guerre de Gaza, il est réapparu avec une opposition claire aux actions d'Israël et a gagné en visibilité en France et au-delà. Ce n'est peut-être pas une surprise totale, car il existe des points de concordance entre la guerre de Gaza et la guerre d'Irak. Toutes deux ont été déclenchées en réaction à une attaque terroriste. Les attaques du 11 septembre contre les États-Unis étaient similaires à celles du 7 octobre contre Israël. L'ampleur de la réaction l'est également. La réaction de M. de Villepin est également cohérente avec son discours à l'ONU, puisqu'il s'est opposé une fois à un allié de la France.
Ce regain d'intérêt médiatique a offert à M. de Villepin une tribune qu'il a également utilisée pour critiquer sévèrement ce qu'il perçoit comme l'incohérence de la politique étrangère de la France sous Emmanuel Macron, en particulier sa tendance à "faire volte-face" sur les grandes questions internationales. M. de Villepin a fait valoir que ce manque de cohérence nuit à la crédibilité et à l'influence de la France sur la scène internationale. En ce qui concerne le conflit russo-ukrainien, il a critiqué les ouvertures initiales de M. Macron à l'égard de Vladimir Poutine, suivies de son alignement soudain sur la ligne dure de l'OTAN, pour ensuite suggérer la nécessité de "ne pas humilier la Russie", ce qui a semé la confusion parmi les alliés de la France.
En outre, M. De Villepin a critiqué le changement de position de la France sur le conflit de Gaza, qualifiant sa réaction à la catastrophe humanitaire d'insuffisante et d'incohérente, tout en l'accusant de violer le droit international. Il a également critiqué le retrait de la France d'Afrique, en particulier du Mali, comme étant le signe d'une incapacité plus large à maintenir une stratégie postcoloniale convaincante. Selon M. de Villepin, ces hésitations et ces comportements contradictoires risquent de compromettre la position de longue date de la France en tant que force diplomatique indépendante et moralement irréprochable.
M. de Villepin plaide pour ce qu'il décrit comme une approche plus équilibrée. Je dirais plutôt que c'est un appel à quitter le navire
- Khaled Abou Zahr
Aujourd'hui, et peut-être aussi en 2003, le cœur de ses réflexions révèle des inquiétudes quant à l'alignement de la France sur les États-Unis, en particulier en ce qui concerne sa politique étrangère. Il affirme qu'un tel alignement sape le rôle traditionnel de Paris en tant qu'acteur mondial indépendant et diminue sa capacité à jouer un rôle de médiateur dans les conflits internationaux. Dans ses discours, il plaide pour ce qu'il décrit comme une approche plus équilibrée. Je décrirais cela comme un appel à quitter le navire.
En effet, il est convaincu que c'est la fin de la Pax Americana et il a clairement déclaré que "l'équilibre des forces n'est pas en faveur de Washington" dans sa confrontation avec la Chine. Il suggère donc que la France renforce ses liens diplomatiques et économiques avec les pays de l'Est afin de promouvoir un ordre mondial multipolaire. D'un point de vue pragmatique, ce point de vue se traduit par un rapprochement avec la Chine au détriment des États-Unis.
Sur le papier, ce qu'il dit sonne bien. En réalité, tout comme De Villepin n'a pas compris le changement géopolitique de 2003, il ne comprend pas aujourd'hui que, quel que soit le nombre de fois où la France quitte le navire, il n'existe pas un seul scénario dans lequel la fin de la Pax Americana permette à Paris de conserver sa capacité à projeter sa puissance. Si nous nous dirigeons vers une Pax Sinica, la France perdra tout. Aucune remise à zéro de la boussole n'y changera rien.
Il y a eu des volte-face dans les politiques françaises. Cela est dû au fait que les initiatives "macroniennes" ont été confrontées aux réalités du monde et que Macron n'a pas été en mesure de les mettre en œuvre. Je crois fermement que l'erreur de Macron et de De Villepin est de penser que la fin de la Pax Americana apportera un monde multipolaire, la fin de l'injustice et la paix. Leur cerise sur le gâteau est que la France redeviendra une pierre angulaire de ce nouvel ordre grâce à sa culture profonde et à son impartialité. C'est un vœu pieux. La Chine n'a pas besoin d'eux. C'est aussi simple que cela. La Pax Sinica sera un dragon pour l'Europe.
La France devrait chercher à s'aligner pleinement sur les États-Unis et offrir un engagement absolu à l'égard de l'alliance transatlantique.
- Khaled Abou Zahr
La dure vérité est que la France devrait chercher à s'aligner pleinement sur les États-Unis et offrir un engagement absolu à l'alliance transatlantique. Les vives critiques de M. de Villepin à l'égard des États-Unis sont déplacées et, malgré son éloquence, elles sont vulgaires. Il est trop facile de critiquer l'homme dans l'arène de l'extérieur. En outre, on ne peut pas et on ne doit pas bénéficier de la protection d'un ami et choisir ensuite quand le soutenir. On reste avec ses amis contre vents et marées. L'Italie d'aujourd'hui a une position beaucoup plus honorable.
Il a néanmoins raison de dire qu'il faut réinventer l'Occident et renouveler l'engagement envers les valeurs qu'il défend. Je pense que la prochaine administration Trump y parviendra. Ainsi, se contenter de regarder les États-Unis et l'alliance transatlantique à travers le prisme de la critique et de la justification de la violence des autres pays n'a pas de sens.
J'ai utilisé le film de Capra comme exemple car il était, tout comme De Villepin, un conservateur. Pourtant, ces dernières années, De Villepin a été moins conservateur et il semble de plus en plus aligné sur la gauche mondiale. En fin de compte, je dirais que la réalité de sa réapparition est liée à la prochaine élection présidentielle de 2027 et que c'est une opportunité pour lui. En effet, à une époque où la présidence actuelle a brouillé les lignes entre le centre-droit et la gauche, il est logique qu'il courtise la gauche mondiale. Toutefois, je parie humblement que, dans sa quête de pouvoir, il ne fera qu'accroître les chances de l'extrême gauche. L'avenir nous le dira.
Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur d'Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.