La chute d'Assad et son destin se jouent à Damas

Dimanche, la Syrie s'est réveillée avec une nouvelle et incroyable réalité. Elle n'a pas retrouvé l'homme qui était au pouvoir depuis 24 ans. (AFP)
Dimanche, la Syrie s'est réveillée avec une nouvelle et incroyable réalité. Elle n'a pas retrouvé l'homme qui était au pouvoir depuis 24 ans. (AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 11 décembre 2024

La chute d'Assad et son destin se jouent à Damas

La chute d'Assad et son destin se jouent à Damas
  • Assad était convaincu qu'il était fort, différent et capable de résister aux tempêtes
  • Il pensait avoir hérité de son père d'un régime capable de lutter contre les incendies et de contenir les séismes, qui ont été nombreux au cours de son long mandat

La longue nuit à Damas a été, pour le moins que l'on puisse dire, cataclysmique. Les opposants n'auraient pas pu prédire l'effondrement rapide du régime syrien. L'armée n'était pas prête à lutter contre l'avancée de l'opposition qui prenait de l'ampleur. La Russie ne voulait pas s'impliquer et le Hezbollah était épuisé.

Bachar el-Assad a flairé le danger. Ça arrive. Les erreurs commises par le dirigeant s'accumulent et il n'a d'autre choix que de s'exiler. Il a donc pris l'avion et il est parti.

Dimanche, la Syrie s'est réveillée avec une nouvelle réalité incroyable. Elle n'a pas retrouvé l'homme qui était au pouvoir depuis 24 ans. L'homme qu'on croyait différent. L'homme qui ne devait pas connaître le même sort que les autres. Personne ne croyait que les chars américains avanceraient et détruiraient ses statues comme ils l'ont fait pour celles de Saddam Hussein à Bagdad. Il n'était pas inquiet lorsqu'il voyait les Libyens chasser Mouammar Kadhafi et mettre fin à sa vie et à ses années de règne.

Il n'a jamais pensé qu'il pourrait connaître le même sort qu'Ali Abdallah Saleh aux mains des Houthis. Il a ignoré le procès de Hosni Moubarak au tribunal. Il n'a jamais cru qu'il subirait le même sort que Zine el-Abidine ben Ali.

Assad était convaincu qu'il était fort, différent et capable de résister aux tempêtes. Il pensait avoir hérité de son père d'un régime capable de lutter contre les incendies et de contenir les séismes, qui ont été nombreux au cours de son long mandat.

Dimanche, la Syrie s'est réveillée avec une nouvelle et incroyable réalité. Elle n'a pas retrouvé l'homme qui était au pouvoir depuis 24 ans.

- Ghassan Charbel

Il a vécu le séisme de l'attentat du 11 septembre 2001 et a ordonné à ses agences de sécurité de coopérer de façon limitée avec les Américains. Il n'avait pas encore développé ses penchants pour l'Iran, mais l'invasion américaine de l'Irak l'a poussé dans cette direction. Il craignait que le régime du parti Baas ne soit la prochaine cible de la campagne américaine après l'invasion de l'Irak. Damas et Téhéran avaient un intérêt mutuel à déstabiliser la «formule américaine» en Irak. La Syrie a ouvert ses frontières aux miliciens désireux de résister à l'occupation américaine de l'Irak.

Le deuxième séisme viendra de Beyrouth. Le 14 février 2005, Rafic Hariri est assassiné dans la capitale libanaise. La colère massive du peuple libanais oblige Assad à retirer ses forces du Liban. En Syrie, la conviction que l'influence du pays, cultivée par Hafez Assad, commençait à s'estomper sous l'égide de Bachar, s'est répandue.

En 2006, lorsque le Hezbollah a craint que le mouvement libanais du 14 mars ne modifie la position régionale du Liban, il est entré en guerre contre Israël, contribuant ainsi à rompre l'isolement international de Damas.

Au début des années 2010, le printemps arabe a déferlé sur la région. Comme beaucoup d'autres, Assad pensait qu'une petite fenêtre de changement ferait s'écrouler toute la maison. Il a donc réprimé les manifestations, redoublant de brutalité et d'oppression. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées et des millions déplacées. Il a eu recours aux barils d'explosifs et aux armes chimiques. L'opposition s'est approchée de son palais, mais l'entente entre Vladimir Poutine et Qassem Soleimani l'a aidé à repousser le séisme.

Assad est arrivé au pouvoir en 2000, six mois après que Poutine a pris le contrôle de la Russie et de la scène internationale et moins de trois ans avant que Recep Tayyip Erdogan n'arrive sur la scène turque. Ajoutez à cela le guide suprême Ali Khamenei et vous aurez une idée du type d'hommes qui ont marqué de leur empreinte le destin d'Assad.

Un jour, Poutine n'hésite pas à critiquer les erreurs d'Assad devant une délégation irakienne qui se plaint du dirigeant syrien. Mais les calculs de Poutine vont changer lorsqu'il décide de couronner la prise de la Crimée par un ancrage en Méditerranée. C'est ainsi qu'il a permis l'intervention aérienne de la Russie en Syrie.

Al-Golani a allumé l'étincelle. Les eaux calmes se sont transformées en un déluge qui a balayé Alep, Hama, Homs et Damas.

- Ghassan Charbel

Assad et Recep Tayyip Erdogan ont eu une relation étrange. Au début, ils s'entendaient très bien, mais après s'être embrouillés, ils ne se sont plus jamais vus. Assad s'est alors tourné vers Hassan Nasrallah. Le Hezbollah est devenu plus puissant que l'armée syrienne, aggravant les tensions en Syrie.

Lorsque Yahya Sinwar lance l'opération Déluge d'Al-Aqsa, Nasrallah lui emboîte le pas en déclarant un front de soutien. Assad s'efforce de rester à l'écart de ces événements. Il a joué un grand jeu avec un joueur hostile appelé Benjamin Netanyahou, qui aurait son mot à dire dans la décision du sort d'Assad. Netanyahou a détruit Gaza et s'est ensuite concentré sur le calendrier des élections américaines pour éliminer les dirigeants du Hezbollah.

Les équilibres ont été rompus. À Idlib, les opposants d'Assad attendaient la bonne occasion pour bondir. Ils n'ont jamais cru à l'accord de désescalade et au Trump time. Erdogan a choisi de punir Assad, qui a refusé à plusieurs reprises les offres de rencontre. Il a également puni Assad et les Kurdes de Syrie.

Ahmed al-Sharaa, connu sous le nom d'Abou Mohammed al-Golani, a allumé l'étincelle. Les eaux calmes se sont transformées en un déluge qui a balayé Alep, Hama, Homs et Damas. Soleimani et Nasrallah ne sont plus là pour aider Assad. Le chef suprême n'avait pas de réponse et Poutine était embourbé dans le bain de sang en Ukraine.

Des destins se sont joués à Damas au cours de cette longue nuit. Elle a changé le destin de la Syrie et sa position régionale. La scène régionale s'en est trouvée modifiée. Elle a coupé la route de l'exportation de la révolution et de la contrebande de roquettes de Téhéran à Beyrouth. Le Hezbollah est passé d'un rôle régional à un retour à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies. Une nuit à Damas a changé les équilibres au Liban.

La scène était différente hier. La Syrie est sans Assad et sans Hezbollah. Assad a pris l'avion et est parti. Toute une époque est révolue. Le président a quitté la Syrie et la région doit faire face à l'après-Assad et à ses défis.

Ghassan Charbel est le rédacteur en chef du quotidien Asharq al-Awsat.

X: @GhasanCharbel

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com