Les ministres des Affaires étrangères des États membres du Conseil de coopération du Golfe et leur homologue iranien Abbas Aragchi se sont rencontrés jeudi à Doha, en marge du troisième sommet du Dialogue de coopération asiatique, auquel l'Iran et les pays du Golfe ont participé, au cours d'un petit-déjeuner.
Bien qu'informelle, la réunion des ministres des affaires étrangères était historique car il s'agissait de la première rencontre connue entre les ministres des affaires étrangères de l'Iran et du CCG en tant que groupe.
Outre la nouveauté, la réunion était importante pour plusieurs autres raisons. Elle s'est déroulée dans un contexte de dangereuse escalade du conflit entre Israël et l'Iran après l'incursion du premier au Liban et l'écrasement des dirigeants du Hezbollah, le principal mandataire de Téhéran dans la région.
La guerre du Liban est venue s'ajouter à la guerre de Gaza qui dure depuis un an et aux échanges de tirs répétés entre les deux ennemis régionaux. L'incapacité de l'Iran à dissuader Israël ou à venir en aide à ses proches alliés lorsqu'ils étaient décimés par Israël a eu un effet dévastateur sur la position de l'Iran dans la région. L'assassinat du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, alors qu'il assistait à l'investiture du président iranien Masoud Pezeshkian en juillet, a été particulièrement humiliant. Les représailles de l'Iran, qui a lancé mardi environ 180 missiles sur Israël avec des effets limités connus, n'ont pas réussi à modifier les impressions populaires sur les capacités de l'Iran, mais elles sont susceptibles de produire une réponse plus sévère de la part d'Israël.
Il est clair que l'Iran se sent isolé. Les attitudes américaines et européennes se sont durcies à l'égard de l'Iran après l'échec des négociations sur l'accord nucléaire et l'implication présumée de Téhéran dans la guerre en Ukraine aux côtés de la Russie. Aux États-Unis, au cours d'une élection présidentielle très disputée, le soutien à Israël et l'antipathie à l'égard de l'Iran sont monnaie courante. Et le soutien de Téhéran aux Houthis du Yémen, qui s'en prennent à la navigation internationale dans la mer Rouge, a aliéné encore plus de pays dans le monde.
Malgré ces complications, la nouvelle administration de Téhéran, en place depuis à peine deux mois, a déclaré vouloir tourner la page avec la communauté internationale et avec ses voisins. La diplomatie iranienne a été active à l'Assemblée générale des Nations unies à New York le mois dernier, essayant de relancer les discussions avec les Américains, les Européens, les interlocuteurs du CCG et d'autres. Le nouveau ministre des affaires étrangères, Abbas Aragchi, diplomate chevronné, était un visage familier en tant que porte-parole du ministère des affaires étrangères et négociateur nucléaire dans le gouvernement du président Hassan Rouhani.
Cette réunion à Doha pourrait marquer le début d'une nouvelle phase des relations si l'Iran est en mesure de répondre aux nombreuses préoccupations sécuritaires et politiques du CCG. Depuis la révolution iranienne de 1979, les relations entre l'Iran et le CCG ont connu des périodes fastes et néfastes, mais surtout néfastes. Les tentatives passées de rapprochement ont temporairement apaisé les tensions, mais n'ont pas produit les résultats escomptés. La liste de ces divergences est longue et le CCG a été très clair à ce sujet, par le biais de déclarations publiques, de correspondances privées et de visites d'émissaires pour trouver des moyens de répondre à ces préoccupations.
L'une des principales différences observées par le passé concernait la manière dont les deux parties abordaient les crises internationales et régionales. Le CCG s'efforce depuis longtemps d'ancrer ses politiques étrangères et de sécurité régionale sur le droit international, y compris la charte des Nations unies. Cela implique le respect de la souveraineté des États, de leur indépendance politique, de leur intégrité territoriale et de l'inviolabilité de leurs frontières. Cela signifie également qu'il faut s'abstenir de recourir à la force ou aux menaces et ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures des pays voisins. D'autre part, l'Iran se méfie des règles et des institutions internationales et a exercé une ingérence extraterritoriale qui va bien au-delà de la conduite acceptée d'un État.
Si la nouvelle administration de Téhéran tient ses promesses de tourner la page et de répondre aux préoccupations régionales, les deux parties seront en mesure de rétablir la confiance.
- Abdel Aziz Aluwaisheg
Le programme nucléaire iranien reste une préoccupation majeure pour le CCG, qui a demandé à participer à toute discussion internationale ou régionale à ce sujet. Il est également préoccupé par les missiles et les drones de Téhéran, qui ont été fréquemment déployés contre ses États membres.
Le soutien ouvert de l'Iran à des groupes terroristes désignés, à des milices sectaires et à d'autres rebelles armés agissant en marge de la loi dans les États de la région a constitué un obstacle à la normalisation des relations avec le CCG.
La sécurisation des infrastructures énergétiques et des routes commerciales dans la région est une demande majeure du CCG et de la communauté internationale, et l'Iran doit s'assurer que ses forces et celles de ses alliés ne constituent pas une menace pour ces intérêts.
L'occupation continue par l'Iran des trois îles des Émirats arabes unis (Abu Musa, Grande Tunb et Petite Tunb) est l'un des principaux problèmes qui divisent les deux parties du Golfe depuis 50 ans. Le CCG a préconisé de soumettre la question à la Cour internationale de justice, l'organe le plus compétent pour régler les différends frontaliers, mais l'Iran a jusqu'à présent rejeté cette proposition.
Récemment, les Iraniens ont revendiqué, sans fondement légitime en droit international, une part du champ gazier de Durra, qui appartient conjointement au Koweït et à l'Arabie saoudite, de l'autre côté du Golfe.
L'Arabie saoudite et l'Iran sont parvenus à un accord en mars 2023 pour rétablir leurs relations diplomatiques, grâce à la médiation de la Chine, à travers l'implication directe du président Xi Jinping. Toutefois, au-delà de l'échange d'ambassadeurs, les progrès ont été lents pour répondre à d'autres préoccupations.
L'Iran a désormais rétabli ses relations diplomatiques avec tous les pays du CCG, à l'exception de Bahreïn. Le rétablissement des relations avec Manama doit être une priorité dans les mois à venir, ce qui implique de répondre aux préoccupations de Bahreïn, notamment en ce qui concerne la non-ingérence dans les affaires intérieures. La bonne nouvelle est que les deux parties ont déjà échangé plusieurs visites pour discuter de ces préoccupations.
Si la nouvelle administration de Téhéran tient ses promesses de tourner la page et de répondre aux préoccupations régionales, les deux parties seront en mesure de rétablir la confiance nécessaire pour travailler ensemble à la réduction des tensions et à la désescalade des nombreux conflits régionaux. Le rétablissement de la confiance peut déboucher sur des mesures concrètes de coopération économique, sécuritaire et culturelle.
La réunion des ministres des affaires étrangères à Doha pourrait être le catalyseur d'un tournant historique. Les populations des deux rives du Golfe ont soif d'une normalisation qui leur permette de renouer avec leurs intérêts culturels et économiques communs, qui remontent à des milliers d'années, mais qui ont été suspendus au cours des quatre dernières décennies en raison de l'éloignement politique de leurs pays.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation.
X: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com