Face à l'escalade des attaques israéliennes, où va le Hezbollah?

Israël étend maintenant sa guerre et exacerbe la destruction au Liban (AFP)
Israël étend maintenant sa guerre et exacerbe la destruction au Liban (AFP)
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Publié le Mercredi 25 septembre 2024

Face à l'escalade des attaques israéliennes, où va le Hezbollah?

Face à l'escalade des attaques israéliennes, où va le Hezbollah?
  • La guerre de 2006 a mis fin aux illusions selon lesquelles le Hezbollah était une organisation libanaise dans ses principes, ses loyautés et son commandement 
  • Aujourd’hui, l'infrastructure de communication du Hezbollah a été touchée et la plupart de ses hauts responsables ont été éliminés

Je suppose que la nature du rôle d'Israël, en particulier sous le gouvernement actuel, dans les crimes commis à Gaza, est incontestable. Il étend maintenant sa guerre et exacerbe la destruction au Liban.

Cela est indéniable, surtout que l'on a promis aux Palestiniens et aux Libanais que le pire était à venir.

D'autre part, nous devons reconnaître les divisions en Palestine encouragées par l'Iran, ainsi que les efforts incessants de Téhéran pour séparer une communauté libanaise clé des autres, l'aliéner de l'État et l'utiliser pour saper la souveraineté du Liban.

Lorsque le renouvellement du mandat de l'ancien président libanais Émile Lahoud a été imposé en 2004, les forces exerçant le contrôle de facto ont défendu cette décision en affirmant qu'il était la personne «la mieux équipée pour s'opposer au complot qui menace le Liban». À l'époque, les Libanais appelaient ces forces le «régime de sécurité syro-libanais», sans pour autant approfondir l'identité de ce régime qui n'avait de syro-libanais que le nom et les outils. Car ce régime, comme l'ont montré les événements qui allaient suivre, s'inscrivait dans un projet iranien d'hégémonie régionale et de division.

Mais ce projet stratégique ne pouvait pas être commercialisé avec un label iranien ou ses rêves d'«hégémonie qui divise» – en particulier avec Israël. C'est ainsi qu'a été adopté un slogan national, lumineux et attrayant qui mérite le sacrifice: la résistance. Ce slogan avait une certaine justification, puisque certaines parties du Liban-Sud étaient alors des territoires occupés et que les avions de guerre israéliens avaient le champ libre dans le ciel. Les Libanais en gardaient de nombreuses blessures, douleurs et souvenirs... et ils sympathisaient avec leurs frères de Palestine et du Golan qui souffraient – et souffrent toujours – des injustices de l'occupation israélienne.

Téhéran a exploité ses outils pour faire avancer son projet d'hégémonie et prendre place à la table des négociations aux côtés d'Israël et des États-Unis.

                                                  Eyad Abu Shakra

Ainsi, tout comme les Libanais qui ont salué les efforts de la résistance palestinienne en 1968, ils ont sympathisé avec le Hezbollah lorsqu'il accomplissait de véritables tâches de «résistance»... avant qu'Israël ne se retire du Liban-Sud en 2000. Cependant, les opinions ont évolué après 2000 et les contours du projet d'hégémonie et de division ont commencé à se préciser. Bien que timidement, ses partisans ont justifié le projet en le présentant comme un soutien à la résistance et une confrontation au soi-disant complot contre elle.

L'imposition d'un nouveau mandat de Lahoud en septembre 2004 (dans le contexte de la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à la fin de l'ingérence étrangère au Liban) a été la première étape. Le mois suivant, une tentative d'assassinat a été perpétrée contre le ministre du gouvernement Marwan Hamadé, un allié de Rafic Hariri et de Walid Joumblatt. Ce fut un premier message à l'intention des personnes concernées.

La deuxième étape a été l'assassinat de Hariri lui-même en février 2005, qui a déclenché des répercussions sismiques, notamment une vague d'assassinats horribles, et a finalement conduit au retrait des forces syriennes du Liban.

À la suite de ce retrait, la troisième étape a été atteinte. Le Hezbollah a commencé à prendre ouvertement le pouvoir. Il n'a pas fallu longtemps pour atteindre la quatrième étape. La guerre de 2006 a mis fin aux illusions selon lesquelles le Hezbollah était une organisation libanaise dans ses principes, ses loyautés et son commandement et qui ne cherchait que la résistance. Ce fait douloureux a été confirmé lorsqu'en 2008, le Hezbollah a pointé ses armes (qui avaient été utilisées dans le sud jusqu'en 2006) vers l'intérieur du pays... envahissant Beyrouth et tentant d'envahir le sud du Mont-Liban, contrariant les communautés sectaires et religieuses libanaises qu'il aurait pu éviter de contrarier.

Puis vient la cinquième étape. Les dimensions du projet iranien et le rôle du parti dans ce projet apparaissent clairement: l'arsenal de la «résistance» devient un outil pour tuer, maltraiter et déplacer les Syriens, les combattants du Hezbollah étant accusés d'avoir commis de nombreux massacres et d'avoir déplacé des populations de régions entières du pays.

Nous en sommes aujourd'hui à ce que l'on peut considérer comme la sixième étape, après l'opération Déluge d'Al-Aqsa et les répercussions catastrophiques qu'elle a eues pour les Palestiniens et les Libanais, mettant à jour de nombreuses hypothèses et intentions. Les planificateurs, les exécutants et les partisans de l'opération ont soit négligé des faits fondamentaux, soit en ont délibérément fait fi pour servir leurs opérateurs.

Deux faits sont d'une extrême importance. Premièrement, le gouvernement israélien actuel est le plus extrémiste de l'histoire du pays. Il est dirigé par les leaders les plus belliqueux et les plus rancuniers qu'Israël ait jamais eus; aucun gouvernement n'a été moins enclin à un règlement pacifique et il comprend deux ministres dont l'objectif déclaré est un transfert de population. Deuxièmement, ils ont entrepris une opération contre des civils israéliens un an seulement avant l'élection présidentielle américaine, ce qui signifie qu'il est vain de chercher l'aide américaine pour dissuader Israël de procéder à une agression en vue du déplacement des populations. Même si ceux qui ont planifié et exécuté l'attaque ont imaginé que le climat régional pourrait compromettre les représailles d'Israël, voici ce qui s'est passé.

Après près d'un an de soutien limité ou inefficace de la part des groupes affiliés à l'Iran, les dirigeants de ce pays font des déclarations contradictoires, évasives et même affaiblies. Dans les territoires palestiniens, la population de la bande de Gaza a été déplacée à la suite de sa destruction et de l'élimination de certains des principaux dirigeants du Hamas, dont Ismaïl Haniyeh, Mohammed Deif et Saleh al-Arouri.

Au Liban, l'infrastructure de communication du Hezbollah a été touchée et la plupart de ses hauts responsables ont été éliminés, ce qui a entraîné le déplacement de milliers de citoyens dans le sud du pays. En revanche, le guide suprême à Téhéran s'est dit favorable à une «retraite tactique» et le président iranien Masoud Pezeshkian, avant sa visite aux États-Unis, nous a assuré que «les Iraniens et les Américains sont des frères»  et qu'«il n'y a pas d'inimitié entre eux».

Ainsi, le projet iranien a atteint un stade avancé. Téhéran a exploité ses outils, qui ont longtemps trompé leur base populaire, pour faire avancer son projet d'hégémonie et prendre place à la table des négociations aux côtés d'Israël et des États-Unis, avec lesquels il cherche à partager l'influence régionale au détriment du sang arabe, de l'humanité arabe et de l'avenir des Arabes. Cependant, je pense qu'il n'est pas trop tard pour que le Hamas revienne au soutien de la cause de son peuple, ou pour que le Hezbollah adhère à son État.


Eyad Abu Shakra est rédacteur en chef d’Asharq al-Awsat. 

X: @eyad1949

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com