La semaine qui vient de s'écouler marque, sans l'ombre d'un doute, un tournant pour le Liban. Les observateurs s'accordent à dire qu'il ne s'agissait pas d'une élection présidentielle ordinaire. Pas seulement parce qu'elle a mis fin à un vide présidentiel de longue date, reflet d'une crise politique systémique.
L'élection du commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, qui a obtenu une majorité confortable au second tour du scrutin parlementaire, a mis fin à une aberration qui aurait pu être normalisée de force sans les récents bouleversements survenus au Levant.
Les peuples du monde entier aspirent naturellement à se libérer des forces qui exercent le pouvoir de facto, façonnent leur destin et contrôlent leurs ressources nationales, qu'il s'agisse de puissances étrangères, d'États policiers ou de milices sectaires.
Ces trois types de forces ont dominé le Liban et la Syrie pendant des décennies. Une grande puissance régionale non arabe a soutenu un État policier arabe pour fournir à la milice sectaire sous son commandement une base et une profondeur. Comme on le sait, cet arrangement a également été pendant longtemps propice à une autre puissance régionale, Israël. Ce dernier ne voyait aucune menace émanant de la structure opportuniste qui avait été créée. En fait, cet arrangement servait les intérêts stratégiques plus larges d'Israël.
Le fait d'attiser les tensions ethniques, religieuses et sectaires en Irak, en Syrie et au Liban, ainsi qu'en Palestine, a rendu un grand service à la position israélienne dans la région. Cet état de fait contrastait fortement avec la rhétorique tapageuse sur la libération de Jérusalem, la résistance, le défi, la fermeté et la confrontation, qui n'étaient guère plus que des slogans creux.
On pensait que la situation dans la région était acceptable tant que les règles et les limites tacites n'étaient pas franchies. Eyad Abu Shakra
Plus encore, il était entendu que les principaux acteurs de la communauté internationale estimaient que la situation dans la région était acceptable tant que les règles et les limites tacites n'étaient pas franchies par les acteurs régionaux non arabes. En d'autres termes, les puissances mondiales, sous la houlette des États-Unis, reconnaissaient et acceptaient les intérêts et les ambitions d'Israël, de l'Iran et de la Turquie, tant que les luttes de pouvoir restaient contrôlées et maîtrisables.
Toutefois, ces règles ont commencé à vaciller en raison des changements intervenus dans chacun de ces pays au cours des dernières années. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a construit son gouvernement en partenariat avec des colons radicaux de droite afin d'échapper aux poursuites judiciaires. Le Corps des gardiens de la révolution islamique a élargi les ambitions de l'Iran sous l'œil vigilant de l'administration Biden. Le Turc Recep Tayyip Erdogan a renforcé une alliance islamo-nationaliste pour contrer la menace posée par les séparatistes kurdes.
Dans les pays arabes, les frontières traditionnelles se sont déplacées à la suite du printemps arabe, que Bachar Assad n'a pas su saisir ou traiter avec prudence. Les erreurs de son régime se sont multipliées à mesure que les intérêts de la Russie et de l'Iran, sans le soutien desquels il n'aurait pas survécu aussi longtemps, divergeaient.
Et soudain, à l'automne 2023, le Hamas a jeté la première pierre dans ces eaux calmes en lançant l'opération Déluge d'Al-Aqsa, laissant la plupart des observateurs et des analystes perplexes. Tous s'efforcent de comprendre la logique de cette attaque, d'autant plus que le gouvernement d'extrême droite et expansionniste d'Israël cherche activement un prétexte pour mettre le feu à toute la région.
Il était essentiel que le président soit une figure unificatrice et institutionnelle digne de confiance, tant au niveau national qu'international. Eyad Abu Shakra
Confirmant l'aide de l'Iran, voire l'incitation pure et simple à l'attaque (bien qu'il n'y ait pas de preuve définitive), le Hezbollah s'est joint à la mêlée, lançant une guerre de soutien suicidaire qui a conduit à l'anéantissement de dizaines de villes et de villages chiites à travers le Liban, sans parler de la banlieue sud de Beyrouth. En outre, Israël a tué les hauts responsables politiques et militaires du Hezbollah lors de l'assaut, y compris le secrétaire général Hassan Nasrallah.
La défaite cuisante subie par le plus puissant mandataire de l'Iran dans la région a ébranlé son influence militaire en Syrie. Simultanément, les tensions entre Moscou, qui était également occupé par les complexités de la guerre en Ukraine, et Téhéran, qui s'est trouvé déstabilisé par la défaite des démocrates américains face à un républicain qui soutient les partisans de l'extrême droite israélienne, ont commencé à remonter à la surface.
Dans ce contexte, le front dans le nord-ouest de la Syrie a commencé à se déplacer à la suite d'une campagne lancée à partir d'Idlib. En l'espace de trois jours, le régime Assad, qui dominait la Syrie depuis l'automne 1970 et le Liban depuis 1976, s'est effondré pratiquement sans résistance.
Après l'effondrement de l'influence de Téhéran et la chute du régime de Damas, le Liban a retrouvé un sentiment de confiance en soi. Le moment était venu pour tous les Libanais de s'unir, de sauver leur pays et d'assurer son avenir. Cet optimisme a été renforcé par un soutien arabe et international sérieux en faveur de la reconstruction des institutions étatiques, de l'économie, de la sécurité et du rôle du Liban dans la région, en commençant par mettre fin au vide présidentiel.
Il était essentiel que le président soit une figure unificatrice et institutionnelle digne de confiance tant au niveau national qu'international. Le choix n'a donc pas été difficile. L'armée libanaise, sous la direction de Joseph Aoun, était la seule institution étatique nationale à être restée intacte et à avoir évité la fragmentation et l'effondrement.
En outre, le président Aoun lui-même jouit du respect des acteurs arabes et internationaux. Le soutien de ces puissances étrangères, ainsi que l'unité du peuple libanais, seront cruciaux pour le Liban dans les jours à venir, alors que les formules et les cartes régionales seront redessinées.
Eyad Abu Shakra est directeur de la rédaction d'Asharq Al-Awsat, où cet article a été initialement publié.
X: @eyad1949
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com