Les minorités en Syrie: entre perspectives et controverses

La nouvelle Syrie passe d'un État policier à un État doté d'institutions qui fait partie de la communauté internationale. (AFP)
La nouvelle Syrie passe d'un État policier à un État doté d'institutions qui fait partie de la communauté internationale. (AFP)
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Publié le Mercredi 08 janvier 2025

Les minorités en Syrie: entre perspectives et controverses

Les minorités en Syrie: entre perspectives et controverses
  • La question des minorités est devenue, avec les droits des femmes, un aspect essentiel des relations de la communauté internationale avec les nouveaux dirigeants de Damas
  • Naturellement, cette approche n'a pas été bien accueillie par de nombreux cercles syriens et arabes, qui y voient une forme d'imposition qui sape la souveraineté de la Syrie

Je ne suis pas un adepte de l'usage excessif du terme «minorités» et encore moins de son exploitation pour remodeler les nations en fonction d'intérêts extérieurs.

Cependant, l'histoire politique du monde entier nous a appris les dangers qu'il y a à minimiser ou à ignorer les préoccupations des groupes restreints ou marginalisés – qu'elles soient fondées sur la secte, le sexe ou d'autres divisions. De telles actions ont, dans de nombreux cas, fourni un prétexte facile à une intervention étrangère, conduisant à des occupations, des colonisations ou des «protectorats».

Le fait de ne pas tenir compte des préoccupations des groupes restreints ou marginalisés a également contribué au redécoupage arbitraire des frontières, à la division de populations unifiées en plusieurs États nouvellement formés et à leur condamnation à des décennies – parfois même des siècles – de guerres civiles et de conflits séparatistes.

Les grandes entités politiques se sont historiquement construites par la conquête et la domination de groupes plus petits. Le concept moderne d'État-nation n'est apparu qu'au XIXe siècle en Europe. Pourtant, même là, la démocratie a eu du mal à résoudre les tendances séparatistes, un problème connu sous le nom d'irrédentisme.

Aujourd'hui, avec la montée des forces d'extrême droite et leurs alliances avec des mouvements séparatistes ou isolationnistes dans des pays comme l'Italie, les démocraties européennes établies sont confrontées à des menaces existentielles pour leur identité, alors qu'elles semblaient autrefois sûres de leur sentiment d'unité nationale. Dans les grandes nations occidentales, y compris les anciens grands empires comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Espagne, l'interaction entre l'isolationnisme et la migration a fracturé la compréhension autrefois cohésive de l'identité nationale.

La question des minorités est devenue un aspect essentiel des relations entre le monde et les nouveaux dirigeants de Damas.                                                                                           -Eyad Abu Shakra

En Asie et en Afrique, les défis sont similaires.

Il suffit de penser au sort de peuples anciens et nombreux, tels que les Amazighs d'Afrique du Nord, les Baloutches d'Asie du Sud, les Arabes de Turquie et d'Iran, les Kurdes du Proche-Orient et les Peuls dispersés dans le Sahel et l'Afrique subsaharienne, du Sénégal au Tchad en passant par le Cameroun.

Tous ces groupes, y compris les Arabes palestiniens déplacés par le projet israélien, sont des peuples dont l'unité a été déchirée par le colonialisme, qui les a dispersés dans des entités nouvellement créées ou les a transformés en diasporas mondiales. Cette situation a donné lieu à des crises et à des mouvements séparatistes qui ont redéfini les questions politiques régionales et internationales.

La question des minorités est devenue, avec les droits des femmes, un aspect essentiel des relations de la communauté internationale avec les nouveaux dirigeants de Damas après la chute du régime Assad.

Naturellement, cette approche n'a pas été bien accueillie par de nombreux cercles syriens et arabes, qui y voient une forme d'imposition qui sape la souveraineté de la Syrie et remet en question la capacité des Syriens à s'entendre et à coexister, pour finalement construire un État progressiste pour un peuple dont la civilisation est l'une des plus anciennes et des plus riches au monde.

Ces milieux sont incommodés par ce qu'ils considèrent comme une approche occidentale arrogante à l'égard des Syriens. Le peuple syrien, qui a lutté, pendant plus de 50 ans, pour se libérer d'un régime tyrannique et sanglant, a le droit de jouir de sa liberté et de sa souveraineté retrouvées. Il ne fait aucun doute qu'il mérite de décider lui-même de son avenir après avoir été privé de ce droit pendant des décennies en raison de l'intersection d'intérêts imposée par la géographie, les rapports de force et les intérêts stratégiques régionaux et internationaux.

Dans le même temps, ceux qui acceptent les conditions internationales pour la reconstruction de la Syrie n'ont pas tout à fait tort, mais ils doivent rester prudents face à l'apparente bonne volonté des puissances internationales. Cette bonne volonté était absente lorsque les Syriens étaient confrontés à la répression, à la torture, aux bombes barils et aux attaques chimiques, ainsi qu'aux déplacements de population. La nouvelle administration syrienne n'en est qu'à ses débuts et a un long chemin à parcourir. Il y a une grande différence entre la lutte armée et la construction d'un État et la préparation du terrain pour la réconciliation nationale.

Il ne fait aucun doute que les Syriens méritent de décider eux-mêmes de leur avenir après avoir été privés de ce droit pendant des décennies.                                                                   -Eyad Abu Shakra

Les efforts révolutionnaires à Idlib ont atteint leurs objectifs de libération par la lutte armée. Cependant, le défi actuel est d'unir le pays sous le slogan entendu dans toute la Syrie: «Le peuple syrien est uni.»

L'objectif est de construire une nation unie pour tous les Syriens, fondée sur l'égalité, le respect mutuel et la citoyenneté, au-delà des différences de religion, d'ethnie et de sexe.

La responsabilité est essentielle dans cette transition, afin que le peuple syrien puisse tourner la page de la tyrannie. Le processus doit être supervisé par des organes judiciaires et constitutionnels légitimes, et non par des tribunaux militaires de campagne – comme on l'a vu en Irak après l'invasion américaine, où la vengeance a été le moteur du soi-disant système judiciaire qui a finalement inculpé à la fois les coupables et les innocents.

La nouvelle Syrie passe d'un État policier à un État doté d'institutions qui fait partie de la communauté internationale. Cela exige de ses nouveaux dirigeants qu'ils définissent leur intérêt politique à traiter avec les acteurs régionaux et mondiaux dont le rôle politique, économique et sécuritaire ne peut être négligé.

N'oublions pas que la politique est l'art du possible.

Eyad Abu Shakra est rédacteur en chef d’Asharq al-Awsat.

X: @eyad1949

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com