Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou redoute la fin de la guerre. Il devra alors faire face à des commissions d'enquête et à des questions sur sa responsabilité et ses erreurs. Pour lui, l’enjeu dépasse largement la simple volonté de se maintenir au pouvoir pour éviter de rendre des comptes ; c’est véritablement une question de survie politique, voire personnelle.
Certes, le Premier ministre doit donner son aval à toute opération d'élimination ciblée d'un ennemi important, une décision qui peut entraîner des conséquences tant sur le plan sécuritaire que politique. Néanmoins, il faut souligner que c'est l'appareil militaire et sécuritaire qui établit la liste des cibles potentielles et la soumet au Premier ministre pour qu'il tranche.
Il est fort probable que les récentes opérations d’élimination menées à Beyrouth et à Téhéran traduisent la volonté de l’establishment sécuritaire israélien de rétablir sa force de dissuasion, sérieusement mise à mal par les événements du 7 octobre. Israël a toujours accordé une grande importance à son image. L’État hébreu est convaincu qu’en infligeant de lourdes pertes à ses adversaires en représailles à leurs attaques, il dissuadera toute velléité d’agression future.
En période de conflit, le choix du moment est crucial. Les deux opérations d’élimination sont intervenues peu après la quatrième allocution de Netanyahou devant le Congrès américain, où il a reçu un accueil chaleureux. Dans son discours, l’Iran a été cité 27 fois, tandis que la notion de cessez-le-feu n’a jamais été évoquée.
D’aucuns estiment que Netanyahou a interprété cette visite comme un signe que les États-Unis continueront à soutenir Israël, en dépit des critiques émises par le président Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris. Certains analystes avancent que Netanyahou a délibérément attendu l’affaiblissement du Hamas à Gaza avant de s’attaquer aux menaces émanant de Beyrouth et de Téhéran. Selon eux, le Premier ministre israélien, percevant que ni le Hezbollah ni l’Iran ne souhaitent un conflit à grande échelle, aurait choisi de porter le combat sur leur terrain pour les mettre dans l’embarras.
Netanyahou a admis que ces éliminations ciblées ne laissaient guère d’autre option à l’Iran et au Hezbollah que la riposte. Il a ensuite enchaîné en annonçant officiellement l’élimination de Mohammed Deif, chef de la branche armée du Hamas. Son intention était peut-être d’orienter la prochaine phase du conflit vers une confrontation avec l’Iran et ses alliés, plutôt qu’avec les Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie.
Le Premier ministre israélien cherchait vraisemblablement à ce que la question iranienne, son influence régionale et son dossier nucléaire prennent le pas sur les efforts de cessez-le-feu à Gaza et les discussions sur un règlement du conflit, incluant la création d'un État palestinien. Il pourrait également viser à raviver la perspective d’un affrontement américano-iranien, dans l’hypothèse où les États-Unis s’impliqueraient pour contrer une attaque iranienne contre Israël, en particulier si les alliés de Téhéran venaient à cibler des installations militaires dans la région.
Selon certains observateurs, Netanyahou pourrait délibérément pousser la région au bord d’un conflit majeur. Son objectif serait de mettre un terme à la perspective d’une guerre d’attrition interminable, en contraignant l’Iran à un cessez-le-feu global et inconditionnel sur tous les fronts.
Un cessez-le-feu n'a jamais été envisagé comme une option viable par le Premier ministre israélien.
- Ghassan Charbel
Les instances militaires et sécuritaires israéliennes sont pleinement conscientes que les roquettes et les drones du Hezbollah sont capables de frapper n’importe quel point du territoire israélien. Cette réalité s’applique également à l’Iran et à son arsenal de missiles et de drones. En dépit de ces menaces, Netanyahou a pris le parti de confronter ces deux acteurs à l’éventualité d’un conflit de grande ampleur.
Face à l’élimination du haut gradé militaire Fouad Chokr dans son bastion de la banlieue sud de Beyrouth, le Hezbollah se trouve dans l’impossibilité de ne pas riposter. De même, l’Iran ne peut rester sans réaction après l’assassinat du leader du Hamas, Ismaïl Haniyé, à Téhéran.
L’appareil d’État israélien semble vouloir faire évoluer le conflit, passant d’un affrontement avec Yahya Sinouar, le chef du Hamas, et ses objectifs, à une confrontation directe avec les visées du guide suprême iranien. C’est dans cette optique que Netanyahou a proclamé samedi : « Nous sommes engagés dans un conflit sur plusieurs fronts contre l’Iran et ses alliés. Nous frapperons avec vigueur chacune de ses ramifications. » Après dix mois de conflit, Israël en est venu à considérer les événements du 7 octobre comme l’amorce d’une guerre d’usure concertée et manifeste, qu’il juge nécessaire d’enrayer, quitte à risquer de précipiter la région dans un conflit généralisé.
L’attitude récente de Netanyahou éclaire sa conduite des dix derniers mois. Le cessez-le-feu n’a jamais figuré parmi ses options, même en échange de la libération des otages. À ses yeux, asséner des coups décisifs au Hamas et à Gaza constituait un enjeu stratégique primordial, surpassant l’importance du retour des otages. Certains analystes estiment qu’il aspire à infliger au Hezbollah des dommages comparables à ceux subis par le Hamas, nonobstant les disparités en termes de capacités et de contexte d’affrontement. Cette posture explique aussi l’incapacité de l’administration Biden à obtenir d’Israël une position favorable à l’instauration d’un cessez-le-feu.
Le Moyen-Orient est dans un état d’anxiété intense, attendant avec appréhension une riposte qui pourrait dépasser en ampleur les événements d’avril. Les interrogations se multiplient sur l’étendue de cette nouvelle confrontation. Quel rôle joueront les groupes pro-iraniens en Irak ? Quelle sera l’implication des Houthis et du front syrien ? Netanyahou réagira-t-il à l’attaque iranienne en étendant le conflit au Liban ?
Le Moyen-Orient est sur le qui-vive depuis des décennies, mais la situation actuelle est sans précédent. L’été est marqué par une escalade d’assassinats et d’affrontements. On s’interroge sur les limites de l’influence israélienne et iranienne dans la région. Les États-Unis peuvent-ils accepter une modification des « règles d’engagement » entre l’Iran et Israël pour éviter que la région ne bascule dans une guerre totale?
C’est un Moyen-Orient en proie au chaos, où les gouvernements semblent dépassés, les armées en état de confusion et les factions ainsi que les bases américaines en alerte maximale.
Ghassan Charbel est le rédacteur en chef du quotidien Asharq al-Awsat.
X: @GhasanCharbel
Cet article a été publié pour la première fois dans Asharq Al-Awsat.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.