Gaza: Au-delà de la guerre de Netanyahu, le combat décisif de l’extrême droite israélienne

La majorité des enquêtes d’opinion menées depuis le commencement de l’offensive israélienne contre Gaza indiquent qu’une large proportion d’Israéliens estime que les choix de Netanyahu sont guidés par des considérations personnelles, politiques et familiales. (AFP)
La majorité des enquêtes d’opinion menées depuis le commencement de l’offensive israélienne contre Gaza indiquent qu’une large proportion d’Israéliens estime que les choix de Netanyahu sont guidés par des considérations personnelles, politiques et familiales. (AFP)
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Publié le Mardi 06 août 2024

Gaza: Au-delà de la guerre de Netanyahu, le combat décisif de l’extrême droite israélienne

Gaza: Au-delà de la guerre de Netanyahu, le combat décisif de l’extrême droite israélienne
  • Si la décision de Netanyahu de viser un dirigeant politique témoigne de son propre échec et de son désarroi, comment interpréter l’adhésion du peuple israélien à cette escalade de la violence?
  • Durant les années précédant le conflit actuel, Israël a connu un glissement progressif vers la droite et l’extrême droite, atteignant un niveau d’extrémisme politique inégalé depuis l’épuration ethnique des Palestiniens en 1948

L’idée que la guerre à Gaza soit essentiellement menée et soutenue par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu domine depuis longtemps l’analyse politique sur le sujet. Cette notion est fréquemment alimentée par l’opinion publique au sein même d'Israël.

La majorité des enquêtes d’opinion menées depuis le commencement de l’offensive israélienne contre Gaza indiquent qu’une large proportion d’Israéliens estime que les choix de Netanyahu sont guidés par des considérations personnelles, politiques et familiales.

Cette déduction est néanmoins trop simpliste et pas tout à fait juste. Elle présume erronément que la population israélienne désapprouve l’action militaire de Netanyahu à Gaza, tandis qu’en fait, elle a jusqu’ici largement soutenu l’ensemble des stratégies employées par les forces armées israéliennes.

À titre d'exemple, plus de 300 jours après le déclenchement des hostilités, 69% des Israéliens approuvent les tactiques d’éliminations ciblées de Netanyahu, jugées désespérées, incluant l’assassinat du dirigeant politique du Hamas, Ismail Haniyeh, survenu à Téhéran le 31 juillet.

Si la décision de Netanyahu de viser un dirigeant politique témoigne de son propre échec et de son désarroi, comment interpréter l’adhésion du peuple israélien à cette escalade de la violence?

L’explication ne se trouve pas dans les événements du 7 octobre. Il est désormais nécessaire de dépasser le cadre de la théorie de la vengeance, qui a jusqu’ici prévalu dans notre interprétation et notre analyse de l’offensive israélienne sur Gaza.

Durant les années précédant le conflit actuel, Israël a connu un glissement progressif vers la droite et l’extrême droite, atteignant un niveau d’extrémisme politique inégalé depuis l’épuration ethnique des Palestiniens en 1948.

Une enquête de l’Institut de la démocratie israélienne, rendue publique en janvier 2023, révèle que 73% des Juifs israéliens âgés de 18 à 24 ans se considèrent comme étant "de droite".

Étant donné que des figures telles que les ministres israéliens actuels Itamar Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et Orit Strook sont aussi étiquetés "de droite", on peut en déduire qu’une grande partie de la jeunesse israélienne s’aligne de fait sur des positions d’extrême droite.
Il est temps de dépasser le cadre de la théorie de la vengeance.
Dr Ramzy Baroud

Cette jeunesse constitue le noyau dur de l’armée israélienne et du mouvement des colons. Ce sont ces jeunes qui conduisent les opérations à Gaza, perpètrent les exactions quotidiennes en Cisjordanie, et agissent comme exécutants dans les campagnes de racisme systémique ciblant les communautés arabes palestiniennes au sein même d'Israël.

Plusieurs observateurs se sont efforcés d’élucider la transformation d'Israël en une société résolument ancrée à droite, et en particulier comment sa jeunesse est devenue le fer de lance d’une forme de nationalisme israélien aux tendances autodestructrices.

L’explication est pourtant limpide. Le radicalisme d’extrême droite en Israël n’est que l’aboutissement logique de l’idéologie sioniste qui, même dans ses expressions les plus "libérales", s’est toujours appuyée sur l’hostilité ethnique, un sentiment de supériorité raciale et une propension à la violence.

Si le sionisme idéologique, sous toutes ses formes, a essentiellement emprunté la même voie de colonialisme de peuplement et d’épuration ethnique, il existait néanmoins des tensions entre les diverses factions de la société israélienne.

Les prétendus libéraux - incarnés par la haute hiérarchie militaire, les milieux d’affaires et certaines formations politiques centristes et de gauche - se sont efforcés de préserver un équilibre précaire entre un système colonial d’apartheid dans les territoires palestiniens occupés et un semblant d’ordre libéral, appliqué de manière sélective aux seuls Juifs en Israël.

L’extrême droite nourrissait d’autres ambitions. Durant des années, la faction droitière israélienne, sous la houlette de Netanyahu, a considéré ses adversaires idéologiques au sein même d’Israël comme des traîtres pour avoir osé participer à un "processus de paix" avec les Palestiniens - bien que ce processus fût d’emblée une mascarade.

La droite cherchait à garantir que la continuité entre ce que l’on nomme "Israël proprement dit" et les implantations juives illégales ne soit pas uniquement géographique, mais également idéologique. C’est par ce biais que les colons ont progressivement migré, au fil du temps, de la périphérie vers le cœur de la scène politique israélienne.

D’avril 2019 à novembre 2022, Israël a traversé une période de turbulences politiques, marquée par cinq scrutins nationaux. Si l’opinion publique s’est principalement focalisée sur le rôle de Netanyahu dans la polarisation de la société israélienne, ces élections constituaient en réalité un affrontement historique entre les différentes factions idéologiques du pays, chacune cherchant à définir l’avenir d’Israël et l'orientation du sionisme.

Le dernier scrutin a vu la victoire des ultranationalistes, aboutissant à la formation du gouvernement le plus stable qu’Israël ait connu depuis longtemps. Au moment où la droite s’apprêtait à remodeler en profondeur les institutions politiques, éducatives, militaires et, crucialement, judiciaires du pays, les événements du 7 octobre sont venus bouleverser la donne.

L’offensive du Hamas et ses répercussions ont initialement ébranlé l’ensemble de la société israélienne: une armée humiliée, des services de renseignement discrédités, une classe politique désorientée, des médias dépassés et une population en proie à la colère.

Cependant, c’est l’extrême droite qui s’est trouvée face au défi le plus conséquent, elle qui était sur le point de modeler l’avenir d'Israël pour les décennies à venir. Dans ce contexte, la guerre à Gaza revêt une importance capitale non seulement pour Netanyahu, mais aussi pour l’avenir du mouvement d’extrême droite israélien dans son ensemble, dont le projet politique et idéologique semble avoir volé en éclats, peut-être de manière irrémédiable.

Cette situation éclaire les paradoxes manifestes au sein de la société israélienne: une défiance envers les motivations de Netanyahu coexistant avec un soutien à la guerre; une critique généralisée de son bilan global parallèlement à une approbation de ses actions concrètes.

Cette apparente incohérence ne saurait s’expliquer uniquement par l’habileté de Netanyahu à influencer l’opinion publique israélienne. Bien que la droite israélienne ait pu perdre confiance en son Premier ministre, son rôle de figure fédératrice demeure crucial. Sans lui, c’est l'ensemble du projet qui risque de s’effondrer - compromettant non seulement les espoirs de rédemption du camp d’extrême droite, mais aussi l’avenir même du sionisme.

Ramzy Baroud est chroniqueur international spécialiste du Moyen-Orient. Auteur de plusieurs livres et fondateur de PalestineChronicle.com, il est également consultant en médias.

X: @RamzyBaroud

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com