Israël et les limites des lignes de front

Netanyahu sait bien que les lignes de front de la guerre avec le Hezbollah s’étendent du Sud-Liban à Téhéran. (Reuters)
Netanyahu sait bien que les lignes de front de la guerre avec le Hezbollah s’étendent du Sud-Liban à Téhéran. (Reuters)
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Publié le Mardi 30 juillet 2024

Israël et les limites des lignes de front

Israël et les limites des lignes de front
  • Netanyahu croit-il qu’il a reçu le feu vert pour poursuivre les guerres?
  • Croit-il que les mois qui nous séparent de l’élection d’un nouveau président américain sont une occasion de terminer le travail à Gaza?

Que s’est-il passé dans la tête de Benjamin Netanyahu lors de son voyage de retour des États-Unis? Les conclusions auxquelles il est parvenu aux États-Unis auront un impact sur toute la région, y compris le Liban et Gaza. A-t-il conclu qu’il avait rétabli ses liens avec les États-Unis suite à son entretien avec Joe Biden, Kamala Harris et Donald Trump, malgré certaines réserves?

Netanyahu croit-il qu’il a reçu le feu vert pour poursuivre les guerres? Croit-il que les mois qui nous séparent de l’élection d’un nouveau président américain sont une occasion de terminer le travail à Gaza? Pense-t-il que ce qui s’est passé à Majdal Shams, dans le Golan occupé, lui donne l’occasion de poursuivre un travail similaire sur le front libanais?

Les membres du Congrès ont applaudi le visiteur israélien, qui détient désormais le record du nombre de fois où il s’est adressé à eux. Cependant, le nombre de sièges vides était évident. Harris, occupée par sa campagne électorale, n’a pas jugé nécessaire d’assister et d’écouter le discours de Netanyahu.

Le visiteur a-t-il senti que l’Amérique a peut-être changé, même un peu? A-t-il senti que ce qui s’est passé dans les rues et sur les campus universitaires n’était pas un événement de passage, et que l’époque du soutien américain absolu est révolue?

C’est difficile de deviner ce qui s’est passé dans la tête de Netanyahu. On craint que l’attaque sur Majdal Shams ne soit une opportunité rêvée – qui ne se reproduira peut-être plus – de reproduire au Liban, ou du moins sur la frontière libanaise avec Israël, les scènes qui se sont déroulées à Gaza. Telles sont les craintes de ceux qui pensent que c’est l’occasion de mener une bataille pour le retour de 100 000 israéliens dans les colonies et les villages qu’ils ont évacués en raison des attaques lancées par le Hezbollah dans le sillage de l’opération du déluge d’Al-Aqsa.

Netanyahu est conscient que l’époque des guerres-éclair est complètement révolue. Israël n’est plus capable de déclarer la fin d’une guerre à travers une frappe meurtrière puissante. Le type de combattants a changé, et la nature de la guerre a aussi changé. Netanyahu sait aussi que le front libanais a été, et demeure plus dangereux que le front de Gaza. Il sait que le Hezbollah dispose d’un arsenal bien plus important que le Hamas.

Il sait également qu’une attaque sur le Hezbollah rapprocherait Israël d’une guerre avec l’Iran lui-même. Il sait que Téhéran ne tolèrerait pas que le même assaut qu’Israël a mené contre le Hamas soit lancé contre le Hezbollah. Il sait que les lignes de front de la guerre contre le Hezbollah s’étendent du Sud-Liban à Téhéran. Il est conscient que l’implication des pays qui ont soutenu le Hamas pendant la guerre de Gaza doublera lorsqu’il sagit du Hezbollah.

“Netanyahu sait bien que les lignes de front de la guerre avec le Hezbollah s’étendent du Sud-Liban à Téhéran.”
- Ghassan Charbel

Le peuple libanais a entendu au cours des derniers mois, des menaces israéliennes alarmantes. Certains ont confirmé la capacité d’Israël de reproduire à Beyrouth les horreurs de Gaza. D’autres ont évoqué la capacité de l’armée israélienne à ramener le Liban à l’âge de pierre. Ces menaces n’ont pas – malgrès certaines exceptions – été traduites par des actions allant au-delà des règles d’engagement. Washington a réussi à faire en sorte qu’Israël s’engage à ne pas déclencher une guerre régionale de grande ampleur.
La frappe de Majdal Shams a incité les extrémistes du gouvernement de Netanyahu à exiger du premier ministre de mener une guerre totale contre le Liban. Ils ont même demandé que Beyrouth soit entièrement rasée. Les israéliens déplacés du nord ont accusé Netanyahu de ne pas prendre leur situation en compte. D’autres disent qu’Israël est devenu un pays qui manque de sécurité, alors que de nombreux résidents cherchent la sécurité dans d’autres pays, dans un signe de migration inverse.

Dans le cas échéant, une guerre contre le Liban ne sera pas une promenade de santé pour Israël. Au cours des derniers mois, le Hezbollah a donné un exemple de son arsenal, bien différent de celui qu’il possédait lors de la guerre de 2006. À son tour, Israël a demontré sa supériorité technologique en tuant des centaines de combattants du Hezbollah. Ce ne sera peut-être pas une partie de plaisir pour Israël, mais ce sera une catastrophe pour le Liban.

Le Liban est faible à tous les niveaux. Ses institutions s’effondrent. Son peuple est désormais habitué au vide présidentiel. Le parlement libanais est presque paralysé et le gouvernement intérimaire l’est aussi. Le peuple libanais est divisé sur nombreux sujets, y compris la guerre entre le Hezbollah et Israël, alors qu’il s’enfonce dans la pauvreté et est de plus en plus attiré par l’émigration.

L'État libanais n’est plus un acteur sérieux, soit-il dans le sud ou à Beyrouth. Une grande partie de la population estime que le Liban a été contraint d’assumer un rôle régional qui dépasse ses moyens. Au cours des mois derniers, il a été incapable d’appliquer la même politique de désescalade que celle que la Syrie a réussi à mette en œuvre pour éviter une guerre plus large. Nombreux sont ceux qui pensent que si la guerre contre Gaza est plus importante que Gaza, toute guerre plus importante contre le Liban sera beaucoup plus importante que le Liban.

Que s’est-il passé dans la tête de Netanyahu lors de son retour à Israël? Déclenchera-t-il un incendie majeur mais limité, comme il l’a fait avec les Houthis? Ou pense-t-il qu’Israël ne peut coexister avec l’arsenal du Hezbollah à sa frontière? Les appels à agir contre le Liban ne se limitent pas à son camp, puisqu’ils émanent aussi de l’opposition.

Les jours qui viennent prouveront si les États-Unis, perdus entre Harris et Trump, sont encore capables de maintenir leur décision d’empêcher une guerre régionale d’éclater. Ils prouveront s’ils peuvent accélérer la fin de la guerre à Gaza, dans l’espoir de mettre également fin aux guerres qui ont éclaté dans plusieurs pays.

Pour éteindre les flammes, il faudra un tango compliqué entre les États-Unis et l’Iran. Ce dernier est-il prêt à aider à éteindre les flammes? Par quels moyens, et à quel prix?

Ghassan Charbel est le rédacteur en chef du quotidien Asharq al-Awsat.
 

X: @GhasanCharbel
 

Cet article a été publié pour la première fois dans Asharq Al-Awsat.
 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.