La reconnaissance de la Palestine par l'Occident pourrait accentuer la pression sur Israël

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Publié le Dimanche 14 juillet 2024

La reconnaissance de la Palestine par l'Occident pourrait accentuer la pression sur Israël

La reconnaissance de la Palestine par l'Occident pourrait accentuer la pression sur Israël
  • Les Israéliens ne veulent pas d'une solution à deux États. Il faudra les contraindre à l'accepter. Ils ne reconnaîtront un État palestinien que lorsqu'ils n'auront plus d'autre choix
  • La reconnaissance de leur État offrirait aux Palestiniens l'espoir d'une voie politique pour réaliser leur quête de dignité et de liberté

Après la victoire de la gauche aux élections législatives françaises de la semaine dernière, la nouvelle élue Mathilde Panot a déclaré que la France reconnaîtrait l'État de Palestine dans les deux semaines à venir. Cette évolution serait significative, car elle pourrait obliger Israël à s'engager dans un processus politique qu'il a évité depuis des décennies.

Logiquement, la meilleure façon de résoudre le problème qui perdure depuis 1948 est de partager la terre et d'adopter une solution à deux États. Toutefois, du point de vue israélien, la question est loin d'être simple. Pour Israël, la reconnaissance serait une boîte de Pandore. Reconnaître un État palestinien signifierait reconnaître le droit des Palestiniens à la terre, et reconnaître ce droit pourrait entraîner la reconnaissance de leur droit au retour, ce que les Israéliens considèrent comme une menace existentielle.

Un État palestinien porterait également un coup majeur à la version actuelle du sionisme. Un État palestinien soulèverait de nombreuses questions existentielles dans la psyché israélienne. Le sionisme repose sur le principe que la Palestine historique est la terre promise des Juifs. Comment pourraient-ils partager avec d'autres un don fait par Dieu à son "peuple élu" ? Qu'en est-il de la Judée et de la Samarie (la Cisjordanie) ? Vont-ils abandonner cette région pour toujours ? Les questions les plus importantes que la création d'un État palestinien soulèverait pour les Israéliens sont "qui sommes-nous ?" et "pourquoi sommes-nous ici ?". Depuis sa création, Israël tente d'éluder ces questions.

Il existe également un risque perçu en matière de sécurité. Les Israéliens craignent que, si les Palestiniens ne sont plus sous leur contrôle, ils s'organisent et récupèrent les terres qui étaient autrefois les leurs. La Cisjordanie est située sur une élévation surplombant Tel Aviv, ce qui ajoute à l'inquiétude. Bien qu'ils soient assiégés depuis 17 ans dans l'enclave de Gaza, les Palestiniens ont pu organiser des manifestations le 7 octobre. Et s'ils avaient leur propre État s'étendant sur la Cisjordanie et la bande de Gaza ? Même un État démilitarisé ne donnerait pas suffisamment de garanties aux Israéliens. Un État démilitarisé aujourd'hui peut devenir militarisé demain, une fois qu'il se sera établi et qu'il aura noué suffisamment d'alliances internationales.

Le choix optimal pour les Israéliens est de maintenir le statu quo : pas d'État palestinien, et la Cisjordanie et la bande de Gaza restent non annexées. Ils ne veulent pas que les Palestiniens deviennent de facto des citoyens israéliens. Ainsi, ils rejettent à la fois une solution à deux États et une solution à un État.

Les Israéliens ne veulent pas d'une solution à deux États. Il faudra les contraindre à l'accepter. Ils ne reconnaîtront un État palestinien que lorsqu'ils n'auront plus d'autre choix.

                                                           Dr. Dania Koleilat Khatib

Même Yair Lapid, considéré comme le plus libéral des principaux hommes politiques israéliens actuels, cherche à éviter une solution à deux États. Dans un discours à la Knesset, il a insinué qu'un État palestinien était un projet à long terme et qu'il incombait aux Palestiniens de prouver qu'ils le méritaient et qu'ils ne constituaient pas une menace. En résumé, les Israéliens ne veulent pas d'une solution à deux États. Il faudra les contraindre à l'accepter. Ils ne reconnaîtront un État palestinien que lorsqu'ils n'auront plus d'autre choix.

La reconnaissance de la Palestine par l'Occident pourrait accentuer la pression sur Israël pour qu'il en fasse de même. En effet, cette reconnaissance enverrait un message aux Israéliens que l'Occident ne tolérera plus leurs actions sans réserve envers les Palestiniens. Après tout, c'est le soutien de l'Occident qui a permis à Israël de prospérer pendant 80 ans. Israël ne pourra pas refuser un État palestinien reconnu par le monde occidental. Une fois qu'il aura accepté de reconnaître un État palestinien, le reste ne sera plus que des détails à négocier. La reconnaissance est l'étape la plus importante.

Israël a rejeté la récente reconnaissance de la Palestine par la Norvège, l'Espagne et l'Irlande, en prétendant qu'elles récompensaient la terreur. Cependant, Israël lui-même a été reconnu quelques semaines après l'attaque terroriste de Deir Yassin contre des civils innocents. Yitzhak Shamir, l'un des principaux auteurs du massacre, est devenu par la suite Premier ministre d'Israël. Plus les pays occidentaux reconnaîtront l'État de Palestine, plus la pression sera forte sur Israël pour qu'il accepte l'État palestinien comme un fait accompli.

La reconnaissance de l'État de Palestine pourrait également permettre aux gouvernements occidentaux de se réconcilier avec leurs communautés musulmanes. Lors d'une interview cette semaine, le nouveau Premier ministre britannique Keir Starmer a été interrogé à deux reprises sur la perte de voix musulmanes qui a coûté à son parti travailliste quelques sièges lors des récentes élections. Il a tenté d'éluder la question en répondant que le parti travailliste avait tout de même remporté un énorme mandat et qu'il était responsable du changement.

Bien que le parti travailliste ait gagné, M. Starmer doit s'attaquer à la division qui règne dans ses rangs au sujet de Gaza. Reconnaître la Palestine serait le meilleur moyen de se réconcilier avec les factions internes qui ont critiqué sa position. Le manifeste des libéraux-démocrates indique clairement que le parti préconise un cessez-le-feu immédiat à Gaza et souhaite promouvoir une solution fondée sur la coexistence de deux États. Le manifeste appelle à la reconnaissance officielle de l'État de Palestine avec effet immédiat.

En réalité, la reconnaissance de leur État offrirait aux Palestiniens l'espoir d'une voie politique pour réaliser leur quête de dignité et de liberté.

                                                           Dr. Dania Koleilat Khatib

En réalité, la reconnaissance de leur État offrirait aux Palestiniens l'espoir d'une voie politique pour réaliser leur quête de dignité et de liberté. Ce serait le meilleur moyen de contrer le discours du Hamas, qui prône la résistance armée. Le rejet par l'Occident d'un État palestinien valide le discours anti-occidental du Hamas. Le Hamas est arrivé au pouvoir parce que les Palestiniens ont été désillusionnés par l'Autorité palestinienne, qui avait opté pour une lutte politique.

Depuis 30 ans, l'Autorité palestinienne n'a pas été en mesure de réaliser le rêve palestinien d'un État. Dans l'équation israélo-palestinienne, les Palestiniens sont l'élément le plus faible. Ils n'ont aucun moyen de pression sur les Israéliens. Par conséquent, les Israéliens ne se sentent pas obligés de faire des concessions aux Palestiniens. La reconnaissance de l'État palestinien par les pays occidentaux créerait la pression nécessaire pour contraindre Tel-Aviv à accepter un État palestinien et, espérons-le, à le reconnaître.

La déclaration de Mme Panot, membre de l'Assemblée nationale française, est importante. Les politiques occidentales, fondées sur les résultats de la Seconde Guerre mondiale et sur le sentiment de culpabilité de l'Occident, commencent à changer. L'Occident prend progressivement conscience de la calamité qu'il a causée aux Palestiniens et du fait que ces derniers ont droit à la dignité et à la liberté par la création d'un État, comme tout le monde. Ce n'est que le début d'un changement dans les politiques de l'Occident.


 

La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est cofondatrice du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la voie II.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com