Guerre de Gaza et médias français de la neutralité au double-standard

Des employés de l'Agence France Presse posent sur les balcons et devant les fenêtres du siège de l'agence à Paris, le 17 janvier 2024, tenant des portraits en soutien aux journalistes de l'AFP travaillant à Gaza. (Photo: AFP)
Des employés de l'Agence France Presse posent sur les balcons et devant les fenêtres du siège de l'agence à Paris, le 17 janvier 2024, tenant des portraits en soutien aux journalistes de l'AFP travaillant à Gaza. (Photo: AFP)
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Publié le Mercredi 03 juillet 2024

Guerre de Gaza et médias français de la neutralité au double-standard

Guerre de Gaza et médias français de la neutralité au double-standard
  • Jamais, même durant la guerre d’Algérie, la confrérie des médias n’avait versé dans une telle connivence avec une armée en guerre – et une armée étrangère
  • La neutralité des Etats, celle de la France et de l’Allemagne, se comprend du point de vue des intérêts réciproques, d’une certaine conception de la diplomatie, ou de l’Histoire.

« La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime » (Elie Wiesel, discours de réception du Prix Nobel de la Paix, 1986). Si la neutralité aide l’oppresseur, que dire alors du double standard ! Pour un Algérien qui vécut la guerre d’indépendance, et qui, plus tard, à la faveur de ses études puis de son métier de journaliste, fit des recherches et constitua plus d’un dossier sur le traitement de cette guerre par la presse française de l’époque, la manière dont les médias français d’aujourd’hui ont traité et traitent la guerre à Gaza pose question : sommes-nous dans le même pays ?

De la complaisance à la connivence

J’avais, par ailleurs, travaillé sur les massacres du 8 mai 1945 à Guelma, ma ville natale, analysant les journaux de l’époque (Le Monde, L'Aurore, La Croix, Le Parisien libéré, L'Humanité, Libération, Témoignage chrétien). Eh bien, il y avait moins de partis pris et plus de respect de la déontologie que dans ce que je vois et entends à la télévision sur les massacres à Gaza !

J’ai déjà écrit, ici, en quoi les médias français ont manqué de déontologie, et, j’ajouterai même que les journalistes des chaînes d’information en continu devraient aller faire un stage de déontologie auprès de l’équipe du journal israélien Haaretz !

Jamais, même durant la guerre d’Algérie, la confrérie des médias n’avait versé dans une telle connivence avec une armée en guerre – et une armée étrangère, qui plus est ! Ainsi, de la complaisance on est passé à la connivence.

                                                               Salah Guemriche

Le comble a été atteint et même dépassé par LCI, avec l’invitation quasi quotidienne du porte-parole de l’armée israélienne ou de l’ancien responsable des Renseignements israéliens. Le journaliste, maître du plateau, se permit en direct et à plusieurs reprises d’appeler son invité par son prénom ! Oui, je le répète :  jamais, même durant la guerre d’Algérie, la confrérie des médias n’avait versé dans une telle connivence avec une armée en guerre – et une armée étrangère, qui plus est !

Ainsi, de la complaisance on est passé à la connivence. Voire !... Le 10 novembre 2023, un peu plus d’un mois après l’assaut meurtrier du Hamas, quand, en fin d’interview, le porte-parole de l’armée israélienne apprend au journaliste que l’assaut « décisif » sur Gaza allait être donné, réaction de l’intervieweur, ce cri du cœur : « Bon courage pour la suite ! ». La suite ? Le monde entier la connaît…

« Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté »

Voilà la conception du journalisme, au pays de la Déclaration des droits de l’homme, conception digne d’un pays en guerre, voire d’un pays affidé. On se serait attendu au moins à une prise de distance, à de la neutralité. Sauf qu’avec près de 40 000 civils tués, il ne saurait y avoir de positionnement neutre ! A ce propos, justement, voici ce que s’était promis Elie Wiesel, lors de son discours de réception du Prix Nobel, en 1986 : « Je jure de ne jamais rester silencieux lorsqu’un autre être humain subira tourmentes et humiliations. On doit toujours prendre parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime ; le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté ».

La neutralité des Etats, celle de la France et de l’Allemagne, se comprend du point de vue des intérêts réciproques, d’une certaine conception de la diplomatie, ou de l’Histoire.

                                                                 Salah Guemriche


Décédé voilà 8 ans jour pour jour, Elie Wiesel n’est donc plus de ce monde pour tenir sa promesse. Mais l’avait-il tenue lors de l’invasion meurtrière de Gaza par l’armée israélienne de l’été 2014 ou lors de l’opération Plomb endurci de 2008-2009 ? 

La neutralité des Etats, celle de la France et de l’Allemagne, se comprend du point de vue des intérêts réciproques, d’une certaine conception de la diplomatie, ou de l’Histoire. Mais on n’est plus dans la simple la neutralité, avec les médias. Et puis, comment, face à des massacres de femmes et d’enfants, concevoir une neutralité de la part de ces journalistes dont la fonction, un supposé sacerdoce, est de rapporter les faits, tous les faits et rien que les faits ? Or, des faits, il n’y eut que ceux autorisés par Israël ! Le martyre de la population gazaouie, « pas vu, pas pris ». Certes, l’armée israélienne, « la plus morale du monde » comme on sait, interdisait toute entrée à la presse internationale sur les lieux des massacres. Mais les ONG avaient leurs images et des journalistes palestiniens aussi, du moins ceux qui ne furent pas assassinés, délibérément ! Mais, pour CNEWS, BFM, LCI, seules les images d’Israël avaient droit de diffusion !


L’armée d’Israël laissée libre de commettre ses crimes de guerre, sans que les pays européens n’aient cherché à faire pression... Durant huit mois, cette armée aura été un électron libre, sans retenue, au nom d’une Loi du Talion qui, par retour, a rendu possible la barbarie. L’éminent Lévi-Strauss disait du progrès : « Plus il s’accroit, moins il devient possible ». Avec les médias de nos jours, on ne pourrait pas dire, hélas : plus une barbarie s’accroit, moins elle devient possible !
 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011). X: @SGuemriche

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