Il est temps que les musulmans français trouvent leur propre voix

Paris a subi un changement d’atmosphère notable. La Ville Lumière ne vibre plus au rythme des prochains jeux Olympiques, mais plutôt à celui des prochaines élections législatives. Pour beaucoup, cela s'avère encore plus divertissant. En effet, à la suite des résultats des élections européennes ce mois-ci, où les partis de droite ont renforcé leur présence, le président, Emmanuel Macron, a dissous le Parlement. S'en est ensuivi un véritable «jeu de trônes» comique au sein de tous les partis politiques. Disons-le d'emblée, la saison des mèmes bat son plein en France.

L'un des aspects cruciaux des prochaines élections législatives concerne le vote des musulmans français. Nombreux sont ceux qui se demandent quel sera leur choix dans les urnes. Cependant, leur vote ne fait aucun doute. Près des deux tiers d'entre eux voteront pour La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et ses alliés. Cette tendance s’explique par la situation à Gaza et les critiques émises par M. Mélenchon à l'égard d'Israël. Selon les analystes, c'est la raison pour laquelle 62% des musulmans français ont voté pour son parti lors des élections européennes.

Toutefois, ce raisonnement ne correspond pas à la réalité et pour cause: Jean-Luc Mélenchon a obtenu 69% des voix musulmanes au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, alors qu’il n'y avait pas de guerre à Gaza. Force est de constater que c’est un animal politique habile qui sait mobiliser son électorat.

Les musulmans représentent la seule communauté ayant un vote aussi concentré et cohérent. Aucun autre groupe religieux ne soutient aussi massivement un seul parti, avec généralement 30 à 35% des voix allant à une formation politique donnée. Ainsi, le fait que près de 70% des voix musulmanes se portent sur M. Mélenchon constitue une différence significative et notable dans le paysage politique français.

Pourquoi les musulmans ont-ils d'abord soutenu le Parti socialiste dans les années 1980, puis maintenant La France insoumise? En réalité, la gauche a su, à travers divers mouvements, capter le vote musulman. Depuis l'accession de François Mitterrand à la présidence en 1981, une voix au sein du Parti socialiste s’est fait l’écho des préoccupations des musulmans français d'origine africaine. L'association SOS Racisme de Harlem Désir et son célèbre slogan «Touche pas à mon pote», qui symbolisait la lutte contre le racisme avec un badge jaune en forme de main, en est un exemple frappant. Ce mouvement des années 1980 a ancré le vote musulman à gauche.

On peut faire un parallèle avec le vote noir aux États-Unis, traditionnellement en faveur du Parti démocrate. Pour ces deux communautés, le choix de voter en dehors de ce cadre est souvent perçu comme une trahison de leur identité ou une volonté de se conformer aux attentes externes. La gauche, tout en se présentant comme alliée, a aussi pu exercer une contrainte à l’égard de ces communautés. Cependant, malgré ce soutien continu, les musulmans français ont-ils réellement bénéficié des politiques de gauche? Les données sur les inégalités sociales et les difficultés persistantes suggèrent le contraire.

La gauche a parfois limité l’assimilation de cette communauté. En détournant des mots tels que l'humanisme et en stigmatisant les partis conservateurs comme racistes, les musulmans ont été encouragés à rester au sein de leur communauté sans chercher à conquérir activement une part plus équitable du gâteau national.

En observant les résultats des élections européennes avec les résidents français aux Émirats arabes unis (EAU), La France insoumise a obtenu une majorité écrasante. Jean-Luc Mélenchon a également été bien accueilli lors du premier tour de la dernière présidentielle. Les EAU, où une importante communauté de Français d'origine nord-africaine réside, sont souvent salués pour leur environnement positif. C'est pourquoi je vois une grande contradiction – pour ne pas dire une hypocrisie – dans leur vote.

Cela signifie aussi qu'il faut trouver les moyens d'être utile à son pays et ne pas tomber dans le piège de la victimisation. Khaled Abou Zahr

En premier lieu, commençons par ce qui importe le plus pour les gens: leur portefeuille. M. Mélenchon envisage des taxations pouvant aller jusqu'à 90%, tandis que ces Français bénéficient d'une exonération totale d'impôts aux EAU. Plus important encore, ces deux visions sont radicalement opposées. Alors, que souhaitent-ils réellement? Cette situation illustre parfaitement le dilemme de la communauté. Ils ne peuvent pas apprécier le mode de vie et la vision dont ils bénéficient dans le Golfe tout en votant pour l'extrême gauche chez eux. Cela n'a aucun sens; même la situation à Gaza n'explique pas ce phénomène. S'ils aspirent à un environnement propice à l'entrepreneuriat et à la réussite personnelle, ils doivent lutter en ce sens chez eux et réorienter leur allégeance politique.

Il est indéniable que s'intégrer dans un nouveau pays peut s’avérer très complexe. Il faut se battre pour se faire une place. Et cela prend du temps. Il faut des champions pour briser les barrières et ouvrir des opportunités. Cela nécessite excellence et détermination pour faire avancer le pays. Les Italiens l'ont expérimenté avant les immigrés nord-africains, tout comme les Espagnols et les Portugais. Pour chacune de ces communautés, trouver sa place en France a été un défi de taille. Cela signifie aussi qu’il faut contribuer positivement à son pays sans se laisser enfermer dans le piège de la victimisation. En somme, les musulmans français doivent cesser de se percevoir comme d’éternelles victimes de l'oppression.

De plus, chaque musulman français vivant en dehors de son pays est plus français que tout autre pays de son héritage. C'est seulement en France qu'il se reconnecte à ses racines. Lorsqu'il a l'occasion de voyager, c'est son passeport français qu'il brandit fièrement. Être français dépasse les frontières. C’est une identité qui vous accompagne partout. Il est sincèrement souhaitable que la majorité de cette communauté abandonne l’idée de suivre une voix politique unique qui la confine à un statut de perpétuelle victime, pour envisager un avenir de réalisations positives pour les générations futures.

Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plate-forme d'investissement axée sur l'espace. Il est directeur général d'EurabiaMedia, et rédacteur en chef d'Al-Watan Al-Arabi.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com