Le Liban a-t-il vraiment besoin d'un président? Autrement dit, que peut accomplir un président libanais élu lorsque le pays est contrôlé par le Hezbollah? Et, d’ailleurs, quelle est la marge de manœuvre d’un Premier ministre, d’un député ou de tout autre fonctionnaire dans ce contexte? Le Liban est pris en étau entre un Sud en proie à la destruction, une instabilité persistante au Nord en raison de la situation en Syrie, le tout saupoudré d'un vide politique. Étonnamment – ou non –, ce dernier problème est le moins préoccupant pour le Liban, car la vie peut continuer sans les politiciens. Aucune voix souveraine, du moins pour l’instant, ne cautionne ou n'endosse tacitement les politiques du Hezbollah auprès des Libanais ou de la communauté internationale. Il est donc légitime de se poser la question suivante: pourquoi offrir à nouveau au Hezbollah cet endossement et cette couverture politique? Comment cela pourrait-il profiter aux Libanais?
Ainsi, à l’aune du débat en cours au Liban, on ne peut qu’être en phase avec la position de Samir Geagea concernant l'élection présidentielle. En effet, ce dernier estime qu'il n'est pas nécessaire de procéder à des consultations. Selon lui, le Parlement doit assumer son rôle, celui de voter, séance après séance, jusqu'à ce qu'un président soit élu. Cette approche permettrait de déterminer clairement quelles sont les forces qui détiennent le pouvoir et quelles sont celles de l'opposition. Toute autre démarche assurerait au Hezbollah une couverture politique absolue pour agir selon ses désirs, tout en rejetant la responsabilité de tous les problèmes sur l'État libanais. C'est également la raison pour laquelle, aujourd'hui, Walid Joumblatt ne devrait pas adopter une position centriste affaiblie, mais plutôt rejoindre une opposition unie et ne pas contribuer à dissimuler le rôle ni le statut du Hezbollah.
Le consensus et la formule «ni vainqueur ni vaincu» ont eu des effets dévastateurs sur le pays. Ce consensus a permis de maquiller le système de Ponzi du secteur bancaire libanais. Comme le dit le proverbe égyptien, «Chayelni w’ashayyelak», qui se traduit par «Un service en vaut un autre». Pour les non-arabophones, cette expression est couramment employée pour désigner la corruption et les accords tacites. Elle représente parfaitement la scène politique libanaise. De plus, cette formule n'a profité qu’à une seule partie: le Hezbollah. Les autres communautés ont perdu, et ces «consultations» ne sont rien d’autre qu'un cataplasme.
Bien que les marges de manœuvre soient limitées, les lignes entre l'opposition et la partie au pouvoir ne peuvent plus rester floues.
Khaled Abou Zahr
Aussi faible soit-elle, l'opposition au Hezbollah, même si elle ne peut rien accomplir, demeure indispensable. Les puissances occidentales devraient redoubler d'efforts pour préserver l’opposition plutôt que de soutenir un président qui se pliera aux desiderata du Hezbollah. Bien que les marges de manœuvre soient limitées, les lignes entre l'opposition et la partie au pouvoir ne peuvent plus rester floues. C'est le moins que l'on puisse faire. Le Liban a besoin d'une véritable force d'opposition, capable d'exprimer son désaccord, même si elle ne peut empêcher le Hezbollah de poursuivre ses objectifs.
En outre, une véritable opposition enverrait un message crucial à la France et aux États-Unis: leurs initiatives actuelles et leurs choix de soutien politique ne font que renforcer le pouvoir et le contrôle du Hezbollah. Bien que cela puisse comporter des risques, notamment si ces soutiens se prolongent, cette situation est désastreuse pour toute voix libre au Liban.
Des consultations doivent effectivement être menées afin de se mettre d’accord sur un président de consensus, mais pas entre les membres du Parlement. Il faut engager un dialogue avec l'ensemble de la population et organiser de véritables réunions publiques, où des alternatives au système politique actuel peuvent être discutées. Les avocats, les chefs d'entreprise, les travailleurs et les mères doivent absolument être inclus dans ces discussions, qui pourraient lancer les bases d’un nouveau Liban. On peut légitimement s’interroger sur l'intérêt d’une telle initiative lorsque le Hezbollah contrôle tout et étouffe toute opposition. Pour ma part, je crois qu'il est important de se fixer des objectifs et d’œuvrer avenir meilleur, même dans les moments les plus difficiles. Nous ne devons pas céder au désespoir et à la résignation.
Nous constatons, en effet, qu'une part grandissante de la population reconnaît désormais que le Hezbollah n'est qu'un symptôme, et que le véritable problème réside dans le Pacte national et la Constitution, lesquels maintiennent le pays dans un cercle vicieux. Dans les années 1960, le Liban rayonnait sur les plans économique, culturel et financier. Cependant, ces années de gloire ne suffisent plus à soutenir le système actuel. Mais soyons honnêtes, la réussite des Libanais à cette époque était largement attribuable à la promotion du capitalisme et de la liberté individuelle dans ce pays, malgré la présence d'autres idéologies politiques.
Le Liban a besoin d'une véritable force d'opposition, capable d'exprimer son désaccord même si elle ne peut empêcher le Hezbollah de poursuivre ses objectifs
Khaled Abou Zahr
Malheureusement, la base structurelle était défaillante et a donc été de courte durée. Dès lors, sous le mirage du libertarianisme, la véritable force au Liban a été menée par un militantisme de gauche mêlé à la religion, avec le Hezbollah comme maître du jeu. Il est surprenant de constater que, aujourd'hui, même en ce qui concerne la Constitution, les forces progressistes ne réclament pas de changement et acceptent une constitution instaurée par ce qu'elles qualifient habituellement de «puissances colonisatrices et envahissantes». En toute équité, la solution qu’ils proposent est tout aussi dangereuse et sert les intérêts du Hezbollah, car elle remplace la division sectaire par un pouvoir centralisé qui dépouille chaque communauté de son identité et impose une pensée et des croyances uniformes.
Le Liban a besoin d'un bloc d'opposition uni qui ne reste pas silencieux face à une milice qui usurpe les décisions de paix et de guerre. Les forces d'opposition doivent cesser les guerres intestines, d’être complices de ces actions ou jouer aux boucs émissaires. Il est impératif que quelqu'un, au Parlement, exige une évaluation des actions du Hezbollah. Qu'a réellement accompli le Hezbollah depuis le retrait unilatéral d'Israël du Liban? Quels territoires a-t-il protégés ou conquis? Et, surtout, quelles destructions inutiles a-t-il infligées au pays?
En observant le Sud aujourd'hui, on constate que le Hezbollah poursuit son idéologie transnationale au détriment du Liban. Les habitants du Sud, toutes confessions confondues, se retrouvent pris entre le marteau et l'enclume, sans aucun espoir. Une véritable opposition parlerait en leur nom et pour l'ensemble du pays.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plate-forme d'investissement axée sur l'espace. Il est directeur général d'EurabiaMedia, et rédacteur en chef d'Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com