2024 est une année charnière. Des personnes de plus de 60 pays se dirigent vers les urnes pour voter lors des élections nationales. On compte, parmi ces événements, les élections générales au Royaume-Uni, qui se déroulent le 4 juillet. On s’attend à ce que le Parti conservateur, qui était au pouvoir pendant les quatorze dernières années, perde le pouvoir.
La récession dont a récemment été témoin le Royaume-Uni ainsi que le piètre rendement des conservateurs lors des élections locales indiquent que le chemin sera ardu pour le parti le mois prochain. Cela ouvre la porte à un éventuel gouvernement travailliste, le premier depuis 2010. La victoire potentielle du Parti travailliste entraînera des répercussions sur la politique britannique au Moyen-Orient, compte tenu des intérêts stratégiques du pays dans la région.
Le prochain gouvernement britannique sera inévitablement confronté à un Moyen-Orient volatil et à la tâche herculéenne qui consiste à façonner une politique étrangère britannique envers la région qui évite les critiques adressées au gouvernement sortant quant à sa position à l’égard du conflit entre Israël et la Palestine au cours des huit derniers mois. Dans son discours annonçant les élections, le Premier ministre du pays, Rishi Sunak, a exclusivement fait référence à la région à travers le prisme de l’extrémisme, faisant abstraction de la grande transition et des possibilités qu’elle offre. Cela fait écho à sa position sur le conflit à Gaza, ce qui a renforcé le sentiment de division idéologique au sein du Royaume-Uni et à travers le monde, mettant la politique étrangère du Royaume-Uni envers la région sous haute surveillance, à la fois dans le pays et à l’étranger.
Plus particulièrement, le Parti travailliste a fait part de son intention de reconnaître un État palestinien dans le cadre d’un processus de paix dans la région, s’il arrivait au pouvoir en juillet. Cette initiative revêt une grande importance compte tenu du précédent soutien du leader du parti, sir Keir Starmer, aux politiques israéliennes à Gaza, notamment par la coupure de l’approvisionnement en eau et en électricité, ainsi que par le refus de son parti de faire approuver un embargo sur les armes en Israël. Ces actions ont suscité de nombreuses critiques à l’encontre du parti, tant sur le plan local qu’international. Le changement de position met en lumière les efforts qui visent à éviter des pertes électorales majeures le mois prochain.
Bien que son point de vue au sujet d’Israël et de la Palestine ait évolué au fil des ans, le Parti travailliste est plutôt connu pour son soutien à la solution à deux États et il a traditionnellement obtenu le soutien des sections propalestiniennes de la société britannique. Cependant, lorsqu’il est au pouvoir, les politiques du parti ne sont pas toujours alignées sur sa philosophie socialiste de gauche. Le gouvernement du New Labour de Tony Blair a été critiqué pour son soutien anormal à l’intervention dirigée par les États-Unis en Irak, qui semblait être plus motivé par l’alignement stratégique du Royaume-Uni sur la politique des États-Unis plutôt que par les préoccupations du pays en matière de paix au Moyen-Orient. On a par ailleurs assisté à une autre forme d’interventionnisme pendant le mandat de Blair au Kosovo et en Sierra Leone. Sa politique internationale se rapproche ainsi de ses prédécesseurs conservateurs.
Plus récemment, le parti n’a pas soutenu ses députés propalestiniens, ce qui a conduit à des accusations d’islamophobie, à l’émergence de candidats indépendants qui étaient auparavant associés au parti et, notamment, aux pertes choquantes des élections locales récentes dans les zones à majorité musulmane où le Parti travailliste avait l’habitude de gagner haut la main.
«La politique étrangère du Royaume-Uni à l’égard de la région a fait l’objet d’un examen minutieux au sein du pays et à l’étranger depuis le 7 octobre.»
- Zaid M. Belbagi
Le parti a également hésité à s’opposer aux conservateurs au pouvoir dans la sphère de la politique étrangère, choisissant plutôt de les contester sur les questions de réforme intérieure comme les soins de santé, l’emploi et les services sociaux. Bien que le soutien du Parti travailliste à l’engagement diplomatique constructif avec l’Iran sur l’accord sur le nucléaire soit prometteur, il peut demeurer limité par l’alignement stratégique du Royaume-Uni sur la politique des États-Unis et d’Israël.
Alors que le conflit à Gaza a déplacé l’attention du pays vers Israël et la Palestine, le Royaume-Uni a également des intérêts stratégiques dans le Moyen-Orient à plus grande échelle, avec plus de 33 milliards de livres sterling (39 milliards d’euros) en échanges commerciaux avec les États du Golfe chaque année et près de 5 milliards de livres sterling (5,9 milliards d’euros) de commerce bilatéral avec l’Égypte, sans parler des soldats et des expatriés britanniques présents dans la région.
En janvier, le parti a lancé le «Conseil du Parti travailliste-Moyen-Orient» afin de renforcer sa compréhension de la région. En outre, David Lammy, le ministre britannique des Affaires étrangères, a effectué quatre visites au Moyen-Orient ces derniers mois à la lumière des escalades entre Israël et le Hamas. Il a également déclaré que le Parti travailliste respecterait la décision de la Cour pénale internationale si elle demandait un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou.
Dans l’ère post-Brexit, le Royaume-Uni a moins mis l’accent sur le Moyen-Orient, réduisant considérablement l’aide au développement international dans la région. L’affaiblissement de partenariats commerciaux substantiels et de l’engagement diplomatique dans la région affecte la crédibilité de l’influence britannique sur la politique mondiale et les institutions multilatérales. La politique du Parti travailliste au Moyen-Orient depuis le 7 octobre, tout comme celle du gouvernement actuel, a évolué en accord avec la position des alliés occidentaux du Royaume-Uni et de la communauté internationale. Cela a nui à l’image de la politique étrangère britannique, perçue comme autonome, solide et influente.
Dans ce contexte, il reste à voir si un gouvernement travailliste sera capable de façonner une politique au Moyen-Orient qui rétablisse l’esprit d’aide au développement et de résolution des conflits. Selon Snell, «Starmer subit une énorme pression pour maintenir une distinction évidente avec la politique propalestinienne de Jeremy Corbyn. Cependant, les excès de l’action militaire israélienne à Gaza l’ont contraint à changer d’approche et pourraient le conduire à la reconnaissance d’un État palestinien une fois au pouvoir, ce qui entraînerait différents défis, mais aussi des opportunités pour le Royaume-Uni».
Le parti devrait se poser des questions et adopter une position à l’égard du conflit israélo-palestinien. Il devrait également accorder de l’importance à la sécurité et à la coopération en matière de développement dans la région d’une manière qui combine les intérêts stratégiques du Royaume-Uni avec son engagement à défendre les droits de l’homme et la prospérité à l’échelle mondiale. Cela sera essentiel pour rétablir la confiance dans l’indépendance et l’efficacité de la politique étrangère du Royaume-Uni au Moyen-Orient.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com