La guerre est une sale affaire. C’est la manifestation d’un échec politique qui fait que les plus vulnérables paient le prix fort de l’incompétence et de l’insouciance de leurs dirigeants. Mais dans ce bain de sang et de destruction, il existe également des actes d’une extrême bonté de la part de ceux qui risquent leur vie pour sauver les autres ou pour fournir une aide humanitaire.
Au cours des huit derniers mois, de nombreuses personnes ont perdu la vie en accomplissant de tels actes d’altruisme, comme l’a clairement illustré la mort horrible, lors d’une frappe aérienne israélienne, de sept travailleurs humanitaires de la World Central Kitchen, alors qu’ils fournissaient de la nourriture aux Gazaouis affamés. Par ailleurs, cent quatre-vingt-neuf employés de l’Unrwa – l’agence des Nations unies qui fournit une aide humanitaire aux réfugiés palestiniens dans toute la région – ont été tués depuis le début de la guerre.
À l’autre bout du spectre, il y a aussi des cas extrêmes de comportements absolument répugnants de la part de ceux à qui la guerre ôte la moindre once d’humanité.
Un exemple d’acte extrême et odieux: celui des voyous d’extrême droite, dont beaucoup sont des colons illégaux basés en Cisjordanie, qui ont attaqué des camions transportant de l’aide humanitaire à Gaza. Par leur comportement brutal, ils bloquent le passage des camions, agressent les chauffeurs et détruisent les biens que des millions de personnes à Gaza cherchent désespérément à se procurer. On devrait leur rappeler que les slogans «tu aimeras ton prochain comme toi-même» et «ce qui t’est odieux, ne le fais pas à ton prochain» sont deux des piliers les plus importants de la religion et de la culture juives.
«Une perte mutuelle d’empathie pourrait être l’un des héritages les plus préjudiciables de la guerre lorsqu’il sera question d’une éventuelle paix future.»
- Yossi Mekelberg
Une grande partie de la société israélienne continue de souffrir d’un traumatisme collectif après les événements du 7 octobre. De nombreuses personnes ont ainsi perdu toute l’empathie qu’elles pouvaient avoir pour le peuple palestinien, en particulier celui de Gaza. Mais il faut fermement rappeler que perdre toute considération pour le bien-être de ses semblables, c’est perdre son humanité, surtout lorsque ceux qui ont subi de terribles pertes s’en prennent ensuite à ceux qui ont également souffert d’une misère considérable. Pour les communautés israélienne et palestinienne, cette perte mutuelle d’empathie pourrait rester l’un des héritages les plus préjudiciables de la guerre lorsqu’il sera question de paix, de coexistence et de réconciliation à l’avenir.
La violence de l’extrême droite en Israël remonte à soixante-quinze ans et elle est utilisée contre des rivaux politiques et des Palestiniens ordinaires. Attaquer et détruire l’aide humanitaire à Gaza n’en est qu’une facette – et des plus odieuses. Certains Israéliens, pour la plupart des colons ou leurs partisans, diabolisent et déshumanisent complètement les Palestiniens et ne respectent ni le droit israélien ni le droit international. Ces sinistres personnes sont déterminées à déclencher davantage de conflits avec les Palestiniens et, probablement, avec d’autres pays de la région, au nom de leur idéologie déformée du nationalisme religieux.
Indépendamment de toutes les preuves du contraire, comme nous le constatons à la fois à Gaza et le long de la frontière avec le Liban, ces extrémistes croient qu’Israël aurait déjà pu gagner ces guerres si le gouvernement avait fait preuve d’une détermination suffisante. Ils croient étonnamment qu’une telle victoire est un impératif religieux et moral.
Ces actions qui visent à bloquer, à vandaliser et à incendier les convois humanitaires ne sont ni spontanées ni irréfléchies – elles seraient tout aussi ignobles si elles l’étaient – mais sont bien coordonnées par une organisation nommée «Tzav 9», avec le soutien d’une petite minorité des membres des familles des otages à Gaza. L’organisation se revendique non partisane, mais elle tient le même discours que l’extrême droite et le mouvement des colons.
On peut comprendre la colère et le chagrin des membres des familles des otages, et même compatir avec eux. Après tout, ils sont pris au piège entre un Hamas qui traite leurs proches avec cruauté et un gouvernement israélien impitoyable pour qui le retour des otages n’est pas une priorité. Mais c’est contre eux que les familles doivent diriger leur colère et non contre les autres victimes de cette guerre.
Le plus préoccupant, c’est que ces voyous politiques ont des représentants à la Knesset et au Cabinet, notamment le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, qui a déclaré le mois dernier que «l’émigration volontaire» des Palestiniens de Gaza devrait être encouragée. Par ailleurs, avec d’autres ministres du Cabinet, il a appelé à la recolonisation de Gaza par les Israéliens. Fait étonnant, le journal britannique The Guardian a rapporté que des membres des forces de sécurité israéliennes avaient informé les groupes qui attaquaient les camions humanitaires de leur emplacement.
«Les situations violentes créent l’espace nécessaire pour des mouvements extrêmes nourris par la haine et la peur de l’autre.»
- Yossi Mekelberg
Si l’on relie cette violence contre l’aide humanitaire – qui reflète l’idée selon laquelle affamer et empêcher l’aide médicale de parvenir aux civils à Gaza est légitime – à l’ambition de recoloniser la bande de Gaza, ainsi qu’à l’expansion des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et au scénario plus large de violence généralisée et endémique des colons, tout cela s’ajoute à un plan de contrôle juif complet de la Terre d’Israël (Grand Israël ou Israël biblique).
Ceux qui promeuvent ces idées ne constituent peut-être pas la majorité dans la société ou le système politique, mais ils sont très efficaces pour exploiter leur base électorale à la Knesset et au Cabinet. Ils sont capables de promouvoir leurs activités idéologiques et criminelles parce que le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, dépend d’eux pour sa survie politique, alors que leurs rivaux politiques et idéologiques sont incapables de les contrer.
L’acte révoltant de soi-disant militants déchirant des sacs de farine, jetant de la nourriture par terre, piétinant des colis d’aide et crevant des pneus de camion a non seulement suscité la controverse à l’étranger, mais a également incité les membres israéliens, arabes et juifs de l’organisation Standing Together à intervenir pour protéger les convois, ce qui a, du moins pour l’instant, été couronné de succès. Néanmoins, il incombe avant tout aux forces de l’ordre de réprimer la violence politique, et plus particulièrement de ne pas collaborer avec elle, qu’il s'agisse de la violence habituelle des colons dans les territoires occupés ou de la dégradation des convois d’aide en direction de Gaza, approuvés par le gouvernement.
L’incapacité et la réticence à mettre un terme à la guerre à Gaza, à soulager les souffrances de millions de personnes et à garantir le retour des otages chez eux font ressortir de nombreuses émotions, tout en permettant aux extrémistes de dicter l’ordre du jour et de retarder encore plus un cessez-le-feu indispensable. Les situations de violence créent l’espace nécessaire pour des mouvements extrêmes nourris par la haine et la peur de l’autre, mais il est du devoir de toute société digne non seulement de les marginaliser, mais aussi de faire en sorte qu’ils ressentent l’application rigoureuse de la loi.
Après tout, les attaques contre les convois humanitaires et la destruction de l’aide qui est vitale aux habitants de Gaza n’incriminent pas uniquement ceux qui les commettent, mais aussi ceux qui refusent de les empêcher.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.
X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.