Au cas où vous auriez manqué le titre, ou que vous l'ayez vu en pensant l'avoir mal lu, permettez-moi de le répéter: malgré tous ses malheurs, ses guerres et ses blessures, le Moyen-Orient a encore une chance de «changer pour le mieux».
Ces paroles enthousiastes ne sont pas les miennes, mais celles que l'ambassadeur des États-Unis en Arabie saoudite, Michael Ratney, a prononcées à plusieurs reprises à Arab News lors d'une interview exclusive accordée cette semaine dans le cadre de notre émission phare, Franckly Speaking.
L'ambassadeur a admis que le terme «historique» était souvent galvaudé, mais il a néanmoins tenu à l'employer pour décrire le nouveau pacte proposé entre l'Arabie saoudite et les États-Unis selon lequel un accord de sécurité écrit normaliserait les relations, intégrerait Israël dans la région et garantirait aux Palestiniens la création d'un État. «Tous les éléments [...] ont une valeur extraordinaire», a-t-il déclaré. «La véritable valeur réside dans le fait de les prendre tous ensemble.» De tels propos de la part d'un ambassadeur américain revêtent une grande importance, d’où leur traduction en arabe et leur large diffusion en ligne. En outre, M. Ratney n'est pas un ambassadeur ordinaire: avant d’être en poste à Riyad, il était à l'ambassade des États-Unis en Israël et il a consacré près de trente ans à tenter de résoudre les conflits au Moyen-Orient et à lutter contre l'extrémisme violent.
Quelques jours après notre entretien, le président américain, Joe Biden, a déclaré qu'il était temps que la guerre de Gaza prenne fin et a exposé les détails d'un plan de paix raisonnable en trois phases: un cessez-le-feu initial de six semaines pour la libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens, des négociations en vue d’une cessation permanente de toutes les hostilités et, enfin, la reconstruction de la bande de Gaza dévastée. Certains, dont je fais partie, pourraient soutenir que c'est trop peu, et trop tard. Cependant, soyons réalistes: mieux vaut tard que jamais.
Ceux qui brûlent les drapeaux américains et pensent que, en boycottant les hamburgers et les lattés au caramel, ils défendent la cause palestinienne se fourvoient s'ils croient qu'un accord de paix ou une stabilité régionale peuvent être obtenus sans recourir à la diplomatie ni à la pression politique, deux outils dont disposent les États-Unis. Il est indéniable que ces derniers restent la superpuissance la plus dominante dans le monde et qu'elle est la seule à pouvoir exercer une influence significative sur Israël.
Quant à ce dernier, huit mois après le début de cette guerre, tout ce que Benjamin Netanyahou et son cabinet de guerre ont réussi à accomplir, c'est une famine délibérée, la perte de près de 40 000 vies palestiniennes – principalement des civils, des femmes et des enfants – et la réduction des infrastructures de Gaza en ruines et décombres.
Ils n'ont toutefois réussi à atteindre aucun de leurs objectifs de guerre déclarés: les otages restent en captivité, Israël n'est pas plus sûr, et, en ce qui concerne l'éradication du Hamas, le Premier ministre israélien et son gouvernement d'extrême droite pourraient bien avoir semé les graines en y apportant les engrais qui donneront naissance au Hamas 2.0 parmi les générations à venir.
Il est bien connu que Netanyahou a maintenu une politique qui consiste à affaiblir l'autorité palestinienne légitime en Cisjordanie tout en renforçant le Hamas, une politique qu'il poursuit désormais depuis seize ans. Tal Schneider, l’éditorialiste du Times of Israël, a exprimé cette opinion dans un éditorial publié le lendemain de l'attaque du 7 octobre contre Israël, intitulé Depuis des années, Netanyahou a soutenu le Hamas. Maintenant, cela nous explose au visage.
Ce même journal a récemment rapporté que l'Arabie saoudite était en train de retirer les contenus antisémites des programmes éducatifs. Cette démarche, bien que peu surprenante, ne devrait pas être sous-estimée. En effet, le ministère de l'Éducation du Royaume est rarement félicité pour le travail remarquable qu’il a accompli jusqu'à présent. Force est de reconnaître que les réformes saoudiennes sont en cours depuis 2016 et que le Royaume s'efforce de garantir que son système éducatif reflète une perspective à long terme: que le conflit avec Israël ne relève pas de la religion, mais plutôt d’un différend territorial. Une fois résolu, il promet reconnaissance, réconciliation et récompenses pour les deux parties.
Ce journal, par exemple, a publié des articles qui célébraient le judaïsme en tant que composante intégrante de notre tissu social arabe. Nous avons été les premiers à souhaiter aux Juifs «Shana Tova», ou bonne année, et nous avons donné la parole à des rabbins ainsi qu’à des dirigeants communautaires éminents, de Ronald Lauder à Deborah Lipstadt, l'envoyée de Biden pour la lutte contre l'antisémitisme. En réalité, ce sont les actions et la rhétorique du côté israélien qui doivent être prises en compte et scrutées.
Dans une récente chronique du New York Times, Tom Friedman a souligné un changement notable dans la perception que les États-Unis ont de l'Arabie saoudite et d'Israël. Alors que les dirigeants israéliens appellent à une attaque nucléaire contre Gaza, citant des références bibliques qui justifieraient, à leurs yeux, le meurtre de femmes, d'enfants et même d'animaux, les responsables saoudiens, eux, prônent la paix, investissent dans l'intelligence artificielle et envoient la première astronaute arabe musulmane dans l'espace.
En se projetant en 2030, l'Arabie saoudite demeure résolument engagée dans la voie du progrès, invitant des alliés de longue date comme les États-Unis à la rejoindre dans cette entreprise.
Israël est également invité à participer à la Vision 2030. En s’alignant sur l'Arabie saoudite, il peut gagner en légitimité et en reconnaissance dans le monde arabo-musulman, et bénéficier d'un vaste réseau diplomatique. Cette démarche pourrait renforcer l'Autorité palestinienne et poser les jalons d’une coexistence pacifique avec Israël. Ce dernier doit d’ailleurs faire un choix: rester figé dans le passé et coincé en 1967 ou embrasser l'avenir et faire cap vers 2030 avec le reste du monde. Il suffit à Israël de mettre fin aux hostilités, de placer sa confiance dans le plan de paix de Biden et de reconnaître que seule la création d'un État palestinien légitime peut garantir sa sécurité et mettre fin à son isolement, qui ne cesse de croître chaque jour.
Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d’Arab News.
X: @FaisalJAbbas
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com